Les primaires, un plus pour la démocratie, ou un simulacre de démocratie de plus ?…
par Daniel MARTIN
mercredi 10 février 2016
La Ve République échappe aux typologies classiques des différents régimes démocratiques. Conçue à l’origine comme un régime parlementaire dans lequel les pouvoirs de l’exécutif sont renforcés, depuis le référendum de 1962 qui a instauré l’élection du président de la République au suffrage universel direct, elle est devenue un régime de type semi- présidentialiste. Le rôle prépondérant du Président de la République s’est d’ailleurs accru avec le quinquennat.
Il est en effet clair que la légitimité du chef de l’État est désormais supérieure à celle des députés, puisque ceux-ci sont élus dans le cadre de circonscriptions territoriales limitées et qu’ils sont divisés en différents groupes politiques. Le chef de l’État, quant à lui, est élu par la majorité de l’ensemble des citoyens du pays et doit représenter ainsi l’ensemble des Français, quelles que soient leurs tendances politiques. La double fonction de fait de chef de l’Etat et de chef de l’exécutif du Président de la République, une exception en Europe.
Avec l’élection au suffrage universel direct, le Président de la République est le moteur du système
L’élection au suffrage universel fait du Président de la république le moteur du système et il apparaît ainsi accumuler tous les pouvoirs. Avec le quinquennat qui précède l’élection de chaque législature, et sauf cohabitation très improbable dans ces conditions, avec une assemblée « godillot », même si cela n’apparaît pas évident, il est à la fois chef de l’Etat et chef de l’exécutif, c’est un avatar de la démocratie Française. Si quelques-uns des pouvoirs de l’exécutif, et non les moindres, recoupent toutefois ceux du Premier ministre, on sait que la pratique gouvernementale a presque toujours créé une distorsion au détriment de ce dernier, le réduisant trop souvent à la fonction d'arbre de transmission impeccable des volontés élyséennes. En cas de désaccord, le président de la République a tout loisir de le congédier, ainsi que le Gouvernement. Le Président de la République a ainsi exigé à plusieurs reprises la démission du Premier Ministre et du gouvernement, sans que l’Assemblée nationale n’ait pour autant adopté de motion de censure. Ce fut le cas pour la démission de Michel DEBRE en avril 1962, celle de Jacques CHABAN-DELMAS en juillet 1972, celle de Pierre MAUROY en juillet 1984, celle de Michel ROCARD en mai 1991 et celle d’Édith CRESSON en avril 1992 ou Jean-Marc AYRAULT le 31 Mars 2014.
La légitimité renforcée du président de la République en fait ainsi la véritable clé de voûte du système politique, alors que son droit de dissolution limite la possibilité pour l’Assemblée nationale de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Ceci s’explique dans la mesure où le parti, où la coalition, majoritaire l’est dans la foulée de la dynamique électorale créée par l’élection du Président de la République depuis l’instauration du quinquennat. Cette responsabilité du Gouvernement devant le chef de l’État constitue l’une des caractéristiques du fonctionnement de la Ve République. Une exception Française en Europe qui fait de la France l’un des pays les moins démocratiques.
Les primaires, un nouvel usage inspiré par les USA
Aux USA il existe deux grandes formes de scrutin pour les primaires : les « caucus » et les « primaires ». L’un de ces deux modes de scrutin est choisi par chaque district. Dans un État, certains délégués seront désignés via un caucus, d’autres par une primaire. LES PRIMAIRES sont ouvertes à tous les électeurs, c’est-à-dire que les sympathisants et les militants qu’ils soient républicains ou démocrates. Tout électeur peut se rendre aux urnes. Ils désignent directement par vote, les représentants de leur État. LES CAUCUS sont uniquement ouverts aux militants de chaque parti (inscrits comme tel sur les listes électorales). Ceux-ci se rassemblent et votent à main levée pour désigner dans chaque circonscription un délégué, ensuite ces délégués se réunissent pour désigner les représentants de chaque État. Ce sont ces représentants de chaque État qui participeront au vote final pour désigner le candidat pour la présidentielle lors de la convention. Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Les-primaires-americaines-mode-d-emploi-2015-05-05-1309374
Inspirée des USA, l’introduction des primaires en France est un nouvel usage qui permet aux partis politique de sélectionner une candidature à l’élection Présidentielle.
La formule retenue en France diffère quelque peu de celle des USA, mais avec 643 801 Km2 et 66 millions d’habitants contre 9,6 millions de Km2 et 320 millions d’habitants, la France a une superficie d’environ 14 fois inférieure avec 5 fois moins d’habitants que celle des USA. Les primaires à la Française ne désignent pas des délégués chargés ensuite d’élire leur candidate(e), mais directement les candidat(e)s. Cette disposition semble, à priori, plus démocratique, mais est-ce vrai pour autant ? Ce nouvel usage diffère avec l’esprit de la Constitution de la 5 ème République, selon laquelle, sous réserve d’avoir recueilli 500 signatures dans au moins 30 départements différents (50 signatures maximum par département) de Députés, Sénateurs, Députés Européens, Maires, conseillers Régionaux, départementaux, un homme ou une femme peut faire acte de candidature directement devant le peuple Français. Certes, cela suppose aussi d’avoir le soutien, au moins, d’un parti politique, ou de disposer d’un réseau d’ami(e)s qui partagent l’engagement du ou de la candidate sur l’ensemble du territoire, ne serait- ce que pour collecter les signatures nécessaires. Dans le cadre du nouvel usage des primaires, bien qu’une candidature à la fonction Présidentielle ne fasse pas obligatoirement l’objet d’un passage par cette formule, les exemples de 1988 avec Raymond BARRE ou 1995 avec Edouard BALLADUR ont démontré que si un candidat ou une candidate veut avoir une chance d’accéder à la fonction suprême, il, ou elle est contraint(e) de passer préalablement sous « les fourches Caudines » des partis politiques, notamment les deux plus importants. Ces partis ont beau clamer qu’ils associent une population qu’ils souhaitent la plus large possible, mais en réalité, les primaires ne sont circonscrites qu’à leur zone d’influence électorale.
Avec ce système des primaires celui qui obtiendra l’investiture finale, n’est-il pas « l’apparatchik » qui contrôle le parti dominant ?
Quelle que soit la formule d’élargissement de l’électorat à Gauche ou à Droite que va choisir le parti, ou groupe de partis, celui ou celle qui aura en final les « préférences » de l’électorat concerné, sera généralement « l’apparatchik » qui maîtrise le mieux le parti dominant dans lequel il a su tresser les liens utiles, ainsi qu’à l’extérieur, en particulier avec certains lobbys et les médias les plus influents. Mais l’importance des liens tissés à l’extérieur est surtout vrai pour les deux principaux partis, dont sera issu le, ou la futur(e) Président(e). Pour les autres, c’est essentiellement à l’intérieur du parti le plus important, en cas de coalition, que la partie se joue entre les concurrents.
Lors des premières consultations primaires qui furent organisées par Europe Ecologie Les Verts, ainsi que par le Parti Socialiste pour les élections Présidentielles de 2012, la victoire d’Eva JOLY avec les Verts contre Nicolas HULOT, malgré la sympathie populaire dont il bénéficiait et qui était bien plus forte que sa concurrente qui semblait ignorer ce qu‘était l’écologie, ou celle de François HOLLANDE contre ses concurrents Socialistes, confirme cette réalité. Nul doute que le même scénario se reproduira si l’on ne change pas les règles. Le problème c’est le risque accru de confier les clés d’un pouvoir politique « puissant », que confère la Constitution de la Ve République, à un « apparatchik » sans envergure et dont les convictions politiques se résumeraient à un opportunisme de circonstance, imposé par les lobbys des puissances de la finance et du monde des affaires, relayés par les médias à leur service. C’est d’ailleurs l’impression qu’ont donné les deux derniers Présidents de la République. Il serait donc urgent de mettre un terme à cette situation.
Les primaires de 2017 auront lieu en Novembre 2016 pour les Républicains, si vraisemblablement elles sont élargies à l’UDI, au Modem et à d’autres petits Partis divers Droite, dans ce cas, il semblerait aujourd’hui que plus l’électorat des primaires serait élargi, plus les chances d’investiture de Nicolas SARKOZY seraient faibles. A Gauche, au PS comme chez les Verts, au PC et au Front de Gauche, rien n’est encore décidé, sachant que la décision de François HOLLANDE de se représenter ou non qui n’est pas encore prise vient perturber leur stratégie. L’initiative d’une primaire à gauche pour désigner une candidature unique afin de faire face au soit disant « péril FN » ne changera rien sur le fond. Car, celui ou celle qui obtiendra le plus de voix et sera désigné, ne peut qu’être issu du Parti dominant, à savoir du PS. (C’est vrai à Droite avec les « Républicains »). La seule certitude, c’est qu’une candidature unique de la gauche issue du PS a plus de chance d’être au second tour que la même qui devrait compter avec des candidatures concurrentes. Encore que… Suivant le choix de la candidature PS qui aurait été fait lors de ces primaires, rien n’est acquis.
Des candidat(e)s qui sont surtout sélectionné(e)s et imposés par les puissants lobbys et leurs clubs
On peut noter que tous les candidats potentiels au PS, dont François HOLLANDE, ainsi qu’à Droite chez les Républicains, sont membre du « siècle » filiale Française de « Bilderberg » et de la « French American Foundation », filiale du « Council on Foreign Relations », dont le programme 2008-2013 est connu sous le nom de « Nouvel Ordre Mondial ». Deux clubs parmi les plus discrets mais les plus influents dans le monde et en France, en particulier dans le monde des médias, des affaires, de la finance et de la politique... Des rumeurs circulent que parmi les prétendants, Mrs. JUPPE et HOLLANDE auraient leurs faveurs… le FN, dont à l’évidence ses responsables ne font pas partie, pour l’instant, de « Bilderberg » et de la « French American Foundation » ne s’inscrit pas dans le processus des primaires. La candidature de Madame LE PEN, sans réelle opposition à la tête de ce parti Nationaliste et populiste au fonctionnement très centralisé, s’imposant de fait. Il en est de même pour les écologistes non EELV, notamment au Mouvement Ecologiste Indépendant de WAECHTER (MEI), mais aussi d’autres organisations qui refusent de s’inscrire dans une primaire, y compris avec EELV.
En 2012 déjà, ces « clubs », dont le « siècle » avaient exprimé leur préférence pour François HOLLANDE
Lors des élections Présidentielles de 2012, un dîner du « Siècle » a eu lieu le mercredi 25 avril 2012 entre les deux tours de l’élection. Les élites de la politique, des médias, de l'industrie et de la finance se sont réunis autour d'un buffet de rois pour se négocier dans l'ombre la France de l'après 6 Mai. C'est là qu’en présence de certains hiérarques UMP et PS qu'il aurait été décidé que la présidence devait passer de SARKOZY à HOLLANDE. François HOLLANDE jugé plus docile aux suggestions du « Bilderberg » que Nicolas SARKOZY, trop « électron libre » et trop proche d’Angela MERKEL. En effet, « Bilderberg » ne veut pas d’une cogestion franco-allemande de l’Europe, mais impose une gestion transatlantique du monde occidental. Sur ce point, il rejoint l’objectif de la « French American Foundation », organisation en charge de former et de coopter les futurs politiciens français. Ce qui expliquerait la petite phrase de SARKOZY sur son retour dans le civil et le peu de vitalité manifesté par l'état-major de l'UMP pour le soutenir à partir de ce jour-là, voir liens : (http://www.morpheus.fr/spip.php?article342) et (http://www.lepouvoirmondial.com/media/01/01/4171268918.pdf). On peut mieux comprendre les raisons pour lesquelles, pour 2017, ces deux clubs très discrets, mais particulièrement influents semblent préférer, parmi leurs adhérents, JUPPE chez les Républicains ou HOLLANDE pour la gauche, car ils apparaissent les mieux aptes pour servir leurs intérêts...
Sans compter le rôle de certaines grandes écoles, véritables structures de formatage…
JUPPE et HOLLANDE, comme d’ailleurs d’autres prétendants ont été formaté à l’ENA, véritable structure génératrice de consanguinité entre la haute fonction publique, le monde des affaires et la politique. A lire le livre » La Nomenklatura française, de Sophie COIGNARD et Alexandre WICKHAM écrit en 1986. On ne peut pas dire que la situation a changé depuis, il suffit d’observer les compositions successives des Gouvernements et des cabinets Ministériels : (http://www.livrenpoche.com/la-nomenklatura-francaise-e292348.html)
L'ENA (Ecole Nationale d'Administration) une exception Française de plus a été créée par l'ordonnance No 45-2283 du 9 octobre 1945 du Gouvernement Provisoire de la République Française, alors présidé par le général DE GAULLE pour « démocratiser » l'accès à la fonction publique et former les futurs hauts fonctionnaires et élites de la France. Mais de cet objectif initial se dresse aujourd'hui un bien piètre constat, qui pose la question de l'utilité de l'ENA et de son efficacité réelle, ainsi que son adaptation aux nouveaux besoins de la société française, de plus en plus contestée et contestable. De nombreuses voix se font entendre, dont plusieurs anciens énarques, pour réclamer sa suppression. Par exemple, lorsque la « noble institution » fête ses 70 ans en 2015, c'est le moment choisi par le député UDI Michel ZUMKELLER pour déposer une proposition de loi visant à supprimer l'établissement. François BAYROU avait déjà prôné sa suppression en 2007, la même idée ayant été réclamée, notamment par Jean-Michel FOURGOUS Député UMP, Hervé NOVELLI, ancien Ministre, Louis GISCARD d’ESTAING, Député UMP, mais également par de célèbres anciens élèves, comme l'ancien président de la République Jacques CHIRAC ou les ex-Premiers ministres Alain JUPPE, Michel ROCARD ou Laurent FABIUS. (http://www.europe1.fr/politique/un-depute-propose-de-supprimer-lena-2530547) Le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) avaient également appelé l'ENA à « penser à prendre sa retraite »…
Pour conclure
Les primaires pour désigner le candidat ou la candidate à l’élection Présidentielle Française, auxquelles sont associés les citoyens de leur sphère électorale qui le souhaitent et qui donnent l’impression d’une meilleure démocratie participative, ne sont que la mise en scène d’un scénario écrit par les maîtres de la Finance, des affaires et des puissants médias à leur solde.
Nous devons modifier en profondeur nos institutions pour changer de République par une nouvelle Constitution qui intègre en priorité, parmi ses fondamentaux, la moralisation de la vie publique, la rénovation de la démocratie, notamment par l’élection dans les assemblées d’un quota de citoyens par tirage au sort, le référendum révocatoire, la limitation de la durée et l’interdiction de tout cumul de mandat. De même que l’écologie dans sa globalité, avec les défis du XXIe siècle qu’elle suppose. Faute de quoi, nous allons tout droit vers un cycle généralisé de violence et de répression. Les contraintes écologiques avec les problématiques démographiques, les dérives confessionnelles de la société incompatibles avec la laïcité et des mesures, soit disant préventives, prises sans une réelle analyse préalable de leur efficacité et sans avoir apprécié toutes les conséquences du danger, ce n’est pas un simulacre de démocratie de plus qui garantira ce qui nous reste encore de liberté.