Les « prisons secrètes » de la CIA : L’Europe en quête de vérité...

par Daniel RIOT
jeudi 1er décembre 2005

L’affaire des éventuelles « prisons secrètes » de la CIA prend de plus en plus d’ampleur. Il faut à la fois s’en affliger et s’en réjouir. S’en réjouir, parce que lumière doit être faite. Les démocraties se renient et offrent de vraies victoires aux terrorismes quand elles combattent les semeurs de haine et de mort par des moyens contraires aux valeurs qu’elles proclament. « Être démocrate, c’est être délivré de la peur », écrivait Istvan Bibo, trop peu connu... « N’ayez pas peur », exhortait Jean-Paul II. « La peur est mauvaise conseillère » : c’est bien perçu, mais de moins en moins appliqué. S’en affliger, parce que le courage n’est pas au rendez-vous. Ni au plan international, ni dans les sphères gouvernementales nationales.

Une remarque : c’est un journal, le Washington Post, donc la presse, qui a soulevé ce scandale. Les pourfendeurs des médias devraient peut-être y réfléchir.

Un autre constat : dans cette affaire, le Conseil de l’Europe, qui prêche si souvent dans le désert, pèche trop souvent par excès de prudence, lui qui est si méprisé par ignorance, affiche plus de détermination et de clarté que l’Union européenne et que les gouvernements européens. Il faut écouter son secrétaire général, son Assemblée parlementaire, son Commissaire aux droits de l’Homme, l’excellent Gilles Roblès...

Une troisième constatation : l’embarras, les non-dits et les ambiguïtés du gouvernement américain et des dirigeants des pays européens visés.

Ainsi, hier, le directeur de l’Agence centrale de renseignement américaine, Porter Goss, a affirmé que la CIA en savait "beaucoup plus qu’elle ne peut le dire" sur Oussama Ben Laden et Abou Moussad Zarqaoui , mais il a reconnu ne pas savoir où ils se terraient. C’est parler pour ne rien dire. A la limite de l’impudeur. Oussama doit sourire...

Il nie tout recours à la torture, se refusant pourtant à porter un jugement sur « certaines » techniques d’interrogatoire utilisées par ses services. C’est encore ne rien dire. Et commettre les mêmes fautes que d’autres en d’autres circonstances. « Nous avons tous des cadavres dans nos placards », disait jadis le ministre britannique Georges Brown. Ce n’est pas une raison pour multiplier les placards.

A la question posée par la chaîne ABC, de la nécessité" de disposer de prisons secrètes dans différentes parties du monde, dont l’Europe de l’Est, Porter Goss a répondu : "Nous menons une guerre contre le terrorisme, et nous nous en tirons assez bien". Là, le cynisme devient intolérable. Il ne dit rien mais il avoue tout, même s’il affirme que la CIA "n’emploie pas la torture (...) car la torture est contreproductive".

Le problème de ce haut responsable, c’est de savoir ce que veut dire le mot « torture » : la technique de la « suffocation », par exemple, c’est quoi ? Comme la gégène en Algérie à l’époque des « événements », en Grèce sous les colonels, en Espagne dans les geôles de Franco, et ailleurs. « Viva la Muerte » se traduit en toutes les langues, et se crie à toute époque...

Autant les criminels des réseaux terroristes doivent être neutralisés, et payer leurs crimes, autant cette lutte ne doit pas être menée avec des méthodes et des pratiques qui vident de sens les valeurs dites «  démocratiques ». Ou alors, c’est le retour généralisé à la sauvagerie, avec une barbarie généralisée, où personne n’a plus de leçon à donner à personne.

Dans ce contexte, le groupe socialiste du Parlement européen a bien fait de fortement critiquer les dirigeants européens qui ne "font rien" pour mettre au clair l’affaire des prisons secrètes de la CIA sur leur territoire, et d’appeler la Commission européenne, dotée d’un pouvoir d’initiatives que Baroso semble avoir mal compris, dans ce domaine comme dans d’autres, à agir.

"Il est inacceptable que des dirigeants européens ne fassent rien, alors que les informations continuent de circuler sur l’existence de ces camps de prisonniers et sur l’utilisation d’aéroports européens pour le transport de prisonniers de la CIA", a indiqué notamment Martin Schulz, président du groupe socialiste au PE, dans un communiqué de presse."Nous avons besoin d’une action de la Commission (européenne) et des ministres afin de régler cette question une fois pour toutes et afin de rassurer le public. Mon groupe a pris la tête de la réponse européenne aux informations publiées dans le Washington Post en demandant une enquête de la Commission".

Le président du deuxième plus important groupe au Parlement européen a même insisté sur le fait qu’il chercherait à créer une commission d’enquête du PE, s’il n’était pas satisfait de la première enquête. "L’existence de telles prisons constituerait une violation flagrante des droits de l’Homme et des critères de l’UE. Toute prison de ce type devrait être fermée immédiatement".

Lundi, le commissaire européen à la Justice, Franco Frattini ,a menacé les États membres de l’UE de leur retirer leur droit de vote au Conseil européen, si l’existence des prisons de la CIA se confirmait. Il se fondait alors sur les articles du traité de Nice, prévoyant que les États membres s’engagent à respecter les fondements des libertés et des droits de l’Homme, et sur l’article 7 qui autorise le Conseil européen -réunissant les chefs d’État et de gouvernement- à priver de leur droit de vote les États qui les enfreindraient. Voilà une bonne initiative, avec de bonnes références.

La constitutionnalisation de cette charte des droits aurait donné encore plus de poids à cette menace. Mais les adeptes du non ne pouvaient pas penser à tout... Pardon aux cocus du non, c’est un floué du oui qui écrit ces lignes. Une Europe politiquement constituée aurait plus de poids dans ce type d’affaire, comme dans d’autres domaines, qu’une Europe en miettes et en panne. Assumons ! Le pire, en l’état, c’est que les floués du oui se cassent plus la tête que les cocus du non pour tenter de réparer les dégâts du non. Mais nous sommes tous sur le même Titanic. Blair et Bush dirigent l’orchestre. Où est l’iceberg ? Devant nous. Nous continuons, ou nous réagissons ?


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