Les prolos bleus Marine

par Bruno de Larivière
mercredi 29 février 2012

Le Monde se lance à nouveau dans sa quête du Graal : comprendre le vote FN. Pour ce faire, un journaliste a mené l'enquête en région parisienne. Malheureusement, les préjugés ont la vie dure...

"Aux portes des pavillons où séduit Marine Le Pen" est le dernier opus du Monde consacré aux Français oubliés, les périurbains. On suit des militants PS qui tractent en Seine-et-Marne, dans des 'bastions' de l'UMP : ah, la métaphore militaire ! On s'attendait à sonner chez des imbéciles, semblent dire les intéressés. Maintenant on peut vous montrer qu'en plus, ils sont racistes. Le mépris suinte. En revanche, Thomas Wieder ne précise pas si le terrain de l'investigation se situe à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone urbanisée.

Dans l'article latéral, c'est heureusement beaucoup plus soigné... Le but du journaliste est de relier le vote avec le lieu d'habitat, aux confins de la région parisienne. J'avoue mon désintérêt face aux analystes en cuisine électorale, mais il y a des faits à analyser. Surtout, Thomas Wieder isole une idée simple : le vote FN culmine dans les couronnes périurbaines. C'est dire le malheur provoqué par des décennies d'impérities, le désaveu des élus de tous bords. Et que l'on ne vienne pas parler de surprises [et aussi Bertrand de Chin-Quentin] :

" Ce 'survote' frontiste de la France périurbaine n'est pas une nouveauté. En 1995, 2002 et 2007, c'est déjà là que Jean-Marie Le Pen avait obtenu ses meilleurs résultats. Mais l'écart avec son score national était alors beaucoup plus ténu : 2 points de plus, pas davantage."

Par la suite, j'ai un peu de mal, parce que Thomas Wieder explique l'importance de la géographie... Et interroge un directeur de l'IFOP. Celui-ci tient le discours du Normand des caricatures. Peut-être que les périurbains sont contents. Ou peut-être pas.

" [Les populations] sont là par choix autant que par contrainte. Le choix, c'est celui de la verdure, de la mise à distance de la grande ville et de ses nuisances. La contrainte, c'est celle du prix du foncier et de l'immobilier. Pour pouvoir acheter un petit pavillon à la propriété, les ménages modestes doivent aller de plus en plus loin. "

Nulle trace d'une bulle immobilière, des temps de transport, des accompagnements d'enfants, et plus généralement de toutes les difficultés financière et/ou matérielle rencontrées par les périurbains : citadins ou non... Les ruraux ont la qualité de vie et les ennuis qui vont avecMichel Bussi (université de Rouen), le géographe arrive un peu tard. Il doit cependant expliquer l'inexplicable en cinq phrases : le vote FN dans ces zones périurbaines. Comme s'il n'y avait qu'une grille d'interprétation pour décrire une carte électorale ! Je retiens l'association entre "le repli sur soi" et "le rejet de l'autre".

Droite et gauche ont creusé le fossé séparant les Français entre eux. Il n'y a là aucun critère racial, pas de tri dans les mairies distribuant les permis de construire entre Français de souche et Français issus de l'immigration du Nord : l'argument du FN ne tient pas une minute pour justifier la prétendue mise à l'écart des premiers, de toutes façons impossible à définir. La frontière passe en revanche entre accédants à la propriété d'un côté, locataires de l'autre. Ceux qui ont acheté un pavillon prendront de plein fouet le retournement du marché immobilier, tout en continuant à rembourser leurs prêts pendant des décennies.

De la même façon qu'il est illusoire d'étudier les cités séparément des autres couronnes périurbaines - exemple à Grigny - il faut intégrer les communes frontistes dans une vision d'ensemble. Sans oublier que la télévision abaisse en une seconde les barrières hermétiques entre populations : exemple en novembre 2009. Les racailles cibles de la haine d'un ouvrier d'origine polonaise - "mais qui s'est intégré, lui," dit sa femme - interviewé par Thomas Wieder ne viennent jamais dans son jardin. Ils se côtoient parfois dans les mêmes trains de banlieue... Le journaliste Patrick Buisson, conseiller du candidat Sarkozy sur la stratégie à adopter pour capter l'électorat frontiste, appuie cyniquement à l'endroit douloureux. A l'autre bout de l'échiquier, les arrières-pensées fleurissent aussi.

L'illustre auditeur de Patrick Buisson n'en déduit que des slogans. En France, on réinvente la société (et la ville) à chaque élection. Les perdants et les mauvais n'éprouvent aucun scrupule à se représenter, malgré la maigreur des bilans. Les prolos bleu marine attirent alors brièvement l'attention, comme en 2002, jusqu'à la suivante. Les 28 % de Français périurbains finiront-ils par voter à l'unisson ? Pour l'heure, je déplore le niveau de violence verbale : exemple.

*

A 21h30, je ne peux que ré-ouvrir cette tribune. Un commentateur de l'article du Monde me donne en effet des munitions inattendues. Je le cite in extenso, sans oser le nommer. Tout le XIXème remonte à la surface de cette critique voilée de l'article sur ces périurbains décidément bien médiocres. Les petits-bourgeois aspirent au bon goût et au raffinement. Ils ne parviennent qu'au clinquant vulgaire. Et en plus, ils regardent la télévision. Peut-être apprécieraient-ils d'aller à la Comédie Française ? Le commentateur n'en souffle mot...

"C'est beaucoup plus simple que cela : le rêve de l'accession à la propriété, conjugué à la volonté d'avoir un petit jardin caché derrière une haie imposante de thuyas + l'infotainement en permanence : on a peur du reste du monde. Les bobos n'y sont pour rien."


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