Les réformes institutionnelles : le cas de l’Assemblée nationale et du Sénat

par Martin sur AgoraVox
mardi 16 octobre 2007

M. Nicolas Sarkozy et M. François Fillon ont décidé qu’un comité de personnalités, incontestables pour leurs compétences, fera des propositions sur la modernisation des institutions politiques françaises. Ce comité sur les réformes institutionnelles, présidé par M. Édouard Balladur, rendra ses conclusions fin octobre 2007.

Le fil conducteur du présent article est tissé autour des questions suivantes :


Que les personnalités de ce comité sont incontestables pour leurs compétences - cela est peut-être vrai. Que ce comité prépare des propositions de réformes de manière à ce qu’elles conviennent aux partis politiques qui depuis des décennies alternent au pouvoir - cela est probable. Que la volonté majoritaire des citoyens n’est pas la préoccupation principale de ce comité - cela est certain.

En appliquant les règles fondamentales de la démocratie [1] (voir les notes en fin de l’article), les réformes institutionnelles devraient :


Le Sénat et l’Assemblée nationale ne servent-ils pas surtout à donner une caution publique pseudo-démocratique aux décisions légales et à fournir un revenu aux cadres méritants des partis politiques dominants ?

Le mot « pseudo-démocratique » n’est pas choisi au hasard.

En démocratie, chaque décision politique doit être conforme aux souhaits de la majorité des citoyens qui désirent exprimer leur volonté sur la décision.

Dans le système politique actuel les politiques sont élus, ensuite ils prennent des décisions, écrivent des lois, signent les traités internationaux, engagent des dépenses que des générations futures devront rembourser, etc., sans vérifier si la majorité de la population est d’accord avec chacun de leurs actes, et même souvent en sachant que la majorité de la population n’est certainement pas d’accord avec certains de leurs actes.

Un exemple qui confirme que la « pseudo-démocratique » qui est actuellement en place - celle où les gouvernements et les parlements décident ce que bon leur semble et celle où les groupes de pression minoritaire dictent les décisions [2] - ne respecte pas la volonté de la majorité des citoyens : le vote sur la Constitution de l’Union européenne, dans la version proposée aux citoyens européens en octobre 2004. En France, cette Constitution avait été approuvée par le président de la République française, puis avait été approuvée par 92 % des parlementaires de l’Assemblée nationale française, avant d’être rejetée par 55 % des électeurs français lors du référendum de mai 2005. Même en Espagne où le référendum à donné un « oui », c’était 77 % de oui de la part de citoyens alors que le Parlement avait approuvé à 94 %. Ces exemples flagrants démontrent que les parlements ne sont pas une garantie suffisante du respect de la démocratie.

En démocratie véritable, les politiques qui ont reçu le mandat du peuple, devraient dans chacune de leurs décisions refléter la volonté de la majorité des citoyens. Dans le monde, il existe des systèmes politiques, qui sont fidèles aux principes fondamentaux de la démocratie, qui permettent l’exercice permanente de cette vérification de la conformité entre les décisions politiques et la volonté de la majorité des citoyens.

La question que l’on peut se poser est : quels seraient les éléments de la réforme des institutions qui nous rapprocheraient de la démocratie véritable ?


L’Assemblée nationale française et le Sénat français n’ont-ils pas une portée de plus en plus réduite face au droit communautaire de l’Union européenne qui prend une part de plus en plus prépondérante dans le droit applicable en France ?

Les faits que démontre le présent article sont les suivants :


Comment sont fixées les règles selon lesquelles fonctionne la société française ? Quelle est l’origine des textes de droit qui sont en vigueur en France ? La souveraineté française est progressivement réduite avec le pouvoir législatif qui est transféré par pans entiers vers les institutions de l’Union européenne.

En quarante ans, la somme des charges de travail des parlementaires français - députés et sénateurs - a été fortement réduite. Une grosse proportion des textes législatifs français ne sont plus que des transpositions des directives rédigées par la Commission européenne. Sur ces textes il n’y a plus à faire de proposition de loi, de débat contradictoire ni de rédaction originale : il suffit de les traduire en français et de les ajuster selon la structure et la formulation des articles de loi français. À ces textes sur lesquels la charge de travail a diminué, s’ajoutent les textes dont il n’y a plus du tout à s’occuper : ce sont les règlements rédigés par la Commission européenne qui sont directement applicables dans les États membres, sans transposition [3].

Les députés et les sénateurs ne peuvent désormais proposer des lois que dans des domaines de plus en plus restreints. De plus en plus, le travail de création de lois est fait en amont, hors Assemblée nationale, de sorte qu’au mieux les parlementaires et les sénateurs ne font qu’arranger, en termes juridiques français, les textes de lois qui ont été décidés par les instances de l’Union européenne.

Dans la préparation de ces textes européens, bien avant qu’ils n’arrivent à l’Assemblée nationale, et avant même qu’ils ne soient adoptés par les instances de l’Union européenne, cette dernière fait intervenir des organismes spécialisés qui dans les États membres agissent en liaison avec les ministères. En France, ce travail incombe au SGAE - Secrétariat général des affaires européennes (qui a succédé en octobre 2005 au SGCI). Le SGAE participe à la préparation des textes de droit communautaire qui remplacent une part de plus en plus grande du droit purement local. Le SGAE a donc repris une partie du travail qui auparavant incombait aux parlementaires français [4].

Il n’y a pas d’estimation officielle sur la part que prend le droit communautaire (droit de l’Union européenne) dans le droit appliqué par les tribunaux nationaux des États membres. La difficulté de l’estimation vient du fait que de nombreux textes sont directement applicables (les traités fondateurs de l’Union européenne et les traités ultérieurs, ainsi que les règlements) alors que d’autres - les directives - doivent être transposés en texte de loi locale. La part de la législation française couverte par les textes ayant pour source le droit communautaire (directement applicable ou transposé) atteint-elle déjà 80 % ou 90 % ? On ne le sait pas. La souveraineté française n’est peut-être désormais limitée qu’à 10 % ou 20 % du droit appliqué en France ; on ne le sait pas exactement.

Par contre, si on se limite uniquement au travail d’adaptation des textes de l’Union européenne en lois locales, il apparaît que la proportion du droit communautaire dans la production législative est d’environ 60 à 70 % des textes nouveaux adoptés par l’Assemblée nationale [5].

En somme, au moins les deux tiers du travail législatif des parlementaires français ont été délocalisés en partie dans le SGAE et surtout dans les institutions de l’Union européenne.


La proportion du droit communautaire dans la production législative est donc d’environ deux tiers des textes nouveaux adoptés par l’Assemblée nationale. Sur cette partie de leur activité le Sénat et l’Assemblée, qui ne produisent pas ces textes de droit, ne font même pas un double emploi avec des instances en amont, qui sont les véritables producteurs de ces textes de droit communautaire. On ne peut pas parler de double emploi avec les instances en amont puisque les parlementaires français ne sont même pas à l’origine de ces textes et ne les rédigent même pas : ils ne font qu’en discuter avant d’obligatoirement les mettre en application - mais à quoi bon discuter et faire semblant de prendre des décisions puisque la France est obligée de mettre en application ce droit communautaire sans pouvoir en rejeter les dispositions.

Les parlementaires français ne consacrent donc plus qu’un tiers de leurs temps à produire les textes législatifs purement français.

À terme, la part du droit communautaire s’accroissant, on pourra se poser la question suivante : ne faut-il pas réduire les dépenses générées par l’Assemblée nationale française et le Sénat français si leur rôle se réduit de plus en plus à entériner les textes décidés ailleurs ?

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Notes :

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[1] Le mot démocratie vient de la langue grecque antique (dèmokratia) : de dêmos qui signifie « peuple » et de kratos qui signifie « puissance », « souveraineté ».

Le concept de démocratie est ancien. La définition en a été donnée en Grèce il y a des millénaires.

La démocratie, la démocratie véritable, est assurée par deux conditions indissociables :

Toutes les redéfinitions, des variantes de sens, qui ont depuis été attachées au mot « démocratie » ne sont donc que des falsifications. La démocratie technocratique, la démocratie des élites, la démocratie des oligarques, la démocratie parlementaire, la démocratie participative, la démocratie représentative - tout cela sont des tentatives de masquer diverses formes de l’oligarchie sous des dénominations « démocratie quelque chose ».

Il faut préciser que la démocratie véritable, qui est donc dans la pratique basée sur la démocratie directe - avec la possibilité donnée aux citoyens de déclencher les référendums - n’élimine pas les éléments de « démocratie représentative » ni les éléments de « démocratie participative ». La démocratie directe laisse aux uns et aux autres la possibilité de faire des propositions et laisse aux politiques la responsabilité de gérer les affaires de la communauté au quotidien. Mais elle exerce sur les politiques et sur les lobbies (c’est-à-dire sur les groupes de pression) le contrôle permanent du respect de la règle démocratique : « pour toutes les questions qui touchent la communauté c’est la volonté de la majorité des citoyens qui décide ».

Comme exemple à suivre pour mettre en place la démocratie véritable, on peut citer le système politique suisse, qui à tous les niveaux de décision politique (local, régional, fédéral) respecte les règles de la démocratie véritable.

Lorsqu’on n’est pas d’accord avec la véritable définition de la démocratie, on peut toujours citer tel personnage politique qui aurait donné une autre définition de ce qu’est la démocratie, mais ce n’est que sa définition de la démocratie, une définition fausse fabriquée pour correspondre au système politique qu’il souhaitait voir mis en place.

On peut être pour ou contre la démocratie véritable, mais lorsqu’on est contre, lorsqu’on préfère un autre système politique, il ne faut pas abuser en lui donnant le nom de « démocratie ».

[2] Lisez mon article publié sur AgoraVox « Comment contrer les lobbies de toute sorte et comment aller vers la démocratie ».

[3] Les actes juridiques de l’Union européenne sont énumérés sur ici

[4] Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) est présenté ici



[5] La proportion du droit communautaire dans la production législative est d’environ 60 à 70 % des textes nouveaux adoptés par l’Assemblée nationale.

Cette estimation a été pour la première fois rendue publique dans le rapport « À armes égales » de Bernard Carayon, qui date de juillet 2006. Lien :

Citation de la page 29 : « Dans la majorité des cas, la loi a pour objet d’appliquer une disposition communautaire, soit au titre d’une transposition formelle, soit parce que la matière est de compétence communautaire. Cette proportion serait comprise entre 60 et 70 % des textes nouveaux, selon le secrétariat général du gouvernement. On ne peut toutefois, en ce domaine, que s’en remettre à des estimations. Ni l’Assemblée nationale ni le secrétariat général pour les affaires européennes, rattaché au Premier ministre, ne tiennent le décompte consolidé des textes législatifs d’origine européenne. »

Le ministère français de la Justice a confirmé cette estimation. Vous pouvez le vérifier dans l’article « Le droit communautaire, une influence croissante sur le droit national », qui est daté du 23 mars 2007 et dont la dernière phrase est : « La proportion du droit communautaire dans le droit français est comprise entre 60 % et 70% des textes nouveaux ». Lien


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