Les Républicains : Bruno Retailleau, le candidat de l’unité ?

par Sylvain Rakotoarison
samedi 3 septembre 2022

« Cliver, c’est facile. Mais quand on dirige, il y a souvent beaucoup plus de courage à rassembler qu’à opposer. » (Bruno Retailleau, le 2 septembre 2022, dans "Le Figaro").



Le parti Les Républicains (LR) est actuellement en pleine restructuration : dans l’opposition depuis 2012, il vient de perdre une troisième fois consécutive l’élection présidentielle, et pas de justesse, sa candidate Valérie Pécresse n’a même pas atteint 5% des voix. L’enjeu est donc son existence elle-même. Heureusement pour lui, il a su redresser les prévisions les plus pessimistes aux élections législatives, même s’il se retrouve derrière le RN et FI parmi les groupes d’opposition.

Son président depuis 2019, Christian Jacob a jeté l’éponge et LR se choisit donc cette année un nouveau président. La limite des dépôts de candidature a été fixée au 2 octobre 2022 (dans un mois) et l’élection aura lieu les 3-4 et 10-11 décembre 2022. L’objectif des cadres est d’éviter de recommencer la division fatale de 2012 entre Jean-François Copé et François Fillon.

La situation de LR de 2022 est pourtant très différente de 2012. En 2012, c’était un parti de gouvernement, avec une culture de gouvernement et beaucoup de responsables politiques avec beaucoup d’expérience, en particulier de chef d’exécutifs locaux ou de ministre. De plus, il y avait une grande force militante, dopée par l’élection présidentielle, 250 000 adhérents. En 2022, c’est très différent car beaucoup en sont partis à cause de ses dérives droitières, pour soutenir Emmanuel Macron. D’autres, un très petit nombre, ont rejoint, au contraire, des partis extrémistes, soit Éric Zemmour, soit Marine Le Pen. Et qu’en est-il des quelque 60 000 adhérents restants ? Sans doute des opposants irréductibles à la politique du gouvernement. C’est cet anti-macronisme viscéral des militants que doivent prendre en compte les parlementaires LR prêts à collaborer avec la majorité présidentielle.

Éric Ciotti a tout de suite annoncé sa candidature pour présider LR : il est arrivé en premier lors de la primaire présidentielle de décembre 2021 et entend bien capitaliser cet exploit. Il est le favori, adoptant une ligne sécuritaire très dure, et envisageant sérieusement des alliances avec le RN. Complètement opposé à cette ligne, le jeune député du Lot Aurélien Pradié, par ailleurs actuel secrétaire général de LR, devrait aussi présenter sa candidature sur une ligne beaucoup sociale. Pour lui, c’est une erreur d’être obsédé par la sécurité alors que les vrais problèmes sont d’abord le pouvoir d’achat, or, LR devrait défendre beaucoup mieux les classes moyennes qui ne sont jamais aidées et qui sont toujours assommées par les mesures fiscales et sociales de tous les gouvernements depuis quarante ans.

À l’évidence, un duel Ciotti vs Pradié ne semble pas avoir l’accord de la plupart des parlementaires LR, d’autant plus qu’Éric Ciotti est le favori. Selon un sénateur LR, entre 45 et 65 sénateurs quitteraient LR si Éric Ciotti était élu président du parti. Un nouveau schisme en perspective.

Il faut dire aussi qu’il n’y a plus de personnalité hors du commun, née pour gagner l’élection présidentielle et à l’ambition dès le plus jeune âge, dont le volontarisme se traduit aussi par la capacité de rassembler des personnalités très différentes. Sauf peut-être deux encore adhérents : Jean-François Copé et Laurent Waquiez. Ces deux-là, anciens ministres et chefs d’exécutifs locaux (maire de Meaux pour l’un, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes pour l’autre), à l’ambition élyséenne assumée, auraient pu être ces présidentiables qui manquent tant. Mais les deux se sont consumés bien trop vite à leur heure de gloire, l’un après l’échec de 2012 (période 2012-2014) et l’autre après l’échec de 2017 (période 2017-2019). Aucun des deux ne souhaite ainsi s’exposer à nouveau dans une conquête d’abord d’un parti puis de l’Élysée, du moins pour le moment. En outre, leur image dans l’opinion est très négative. Ils préfèrent prendre du champ et attendre des jours meilleurs.

C’est là qu’intervient Bruno Retailleau. Les Français en ont entendu parler surtout à partir de la campagne présidentielle de 2017, il était le bras droit de François Fillon dont on le disait très proche (politiquement, géographiquement, sociologiquement) au point aujourd’hui de présider le club politique des fillonistes, Force républicaine. Mais les plus observateurs le connaissaient déjà à la fin des années 1990 avec une autre perception, comme le dauphin de Philippe de Villiers.



Là encore, ils ont des proximités géographiques, ils sont du même département, la Vendée. Bruno Retailleau est originaire d’un village qui n’est pas loin du lieu où Philippe de Villiers a installé le parc du Puy-du-Fou. Et c’est dans ce cadre, en 1977, comme cavalier bénévole pendant ce spectacle, que Bruno Retailleau a fait la connaissance de Philippe de Villiers qui est devenu son mentor politique. Son village est Saint-Malô-du-Bois (1 600 habitants) dont le père de Bruno Retailleau a été le maire mais jamais lui, il s’était promis de ne jamais être le maire car il voyait son père épuisé par cette tâche.

Le courant est bien passé avec Philippe de Villiers qui l’a chargé d’un projet pour une partie du parc et il l’a adoubé politiquement : en 1988, il avait alors 27 ans, il a été élu conseiller général de la Vendée, réélu sans arrêt jusqu’en mars 2015 (le président du conseil général était Philippe de Villiers, de 1988 à 2010, qui l’avait poussé sur son canton de Mortagne-sur-Sèvre). En mars 1993, il a été élu suppléant du député Philippe de Villiers, et comme ce dernier, élu député européen en juin 1994, a démissionné pour cause de cumul, Bruno Retailleau est donc devenu député à l’âge de 33 ans, de 1994 à 1997 (député non-inscrit puisqu’au MPF). À l’origine, Philippe de Villiers était au PR (membre de l’UDF) mais en 1994, il a quitté l’UDF pour s’opposer à la construction européenne avec une sorte de poujado-populisme dans l’expression.

Ayant perdu son mandat parlementaire (Philippe de Villiers étant revenu dans sa circonscription), Bruno Retailleau s’est fait élire conseiller régional en mars 1998 jusqu’en mars 2004, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire d’un président qui s’appelait …François Fillon (de 1999 à 2002), successeur du baron du gaullisme Olivier Guichard, ancien maire de La Baule.

Sa véritable émancipation date de septembre 2004, quand il s’est fait élire sénateur de la Vendée, réélu en septembre 2014 puis septembre 2020. D’abord non-inscrit puisque membre du MPF comme son mentor, il est devenu un grand notable provincial, surtout lorsqu’en 2010, Philippe de Villiers a pris la décision de se retirer de la vie politique. Bruno Retailleau était son premier vice-président et a été élu président du conseil général en novembre 2010, réélu en mars 2011 après les élections cantonales de mars 2011, jusqu’en mars 2015 où il a quitté cette instance départementale pour ne pas trop cumuler (il venait d’être élu président du groupe LR au Sénat, j’y reviendrai plus loin). Un président de département en même que sénateur, c’est la trajectoire très classique d’un élu local qui a réussi.



Mais entre-temps, en 2009, ce fut le clash politique entre Bruno Retailleau (appelé par François Fillon au gouvernement mais il a répondu négativement) et Philippe de Villiers qui y a vu une trahison politique. Philippe de Villiers l’a alors exclu des instances du Puy-du-Fou et Bruno Retailleau a quitté le MPF en 2010 pour se rapprocher de l’UMP auquel il a adhéré en février 2012, soutenant la campagne de Nicolas Sarkozy. Il fut aussi élu président de la fédération UMP de la Vendée. Le 22 novembre 2016 sur France Inter, il a expliqué : « Si j’ai quitté Philippe de Villiers, c’est pour sa radicalisation. ».

Le 7 octobre 2014, Bruno Retailleau a créé la surprise en se faisant élire président du groupe LR au Sénat, renversant le président sortant et ancien ministre Roger Karoutchi et battant aussi l’ancien ministre Gérard Longuet. Ensuite, sans surprise, il s’est fait réélire le 27 septembre 2017 et en septembre 2020.

Parallèlement, il a pris le leadership politique aux régionales, réussissant à remporter les élections régionales sur les sortants du parti socialiste : il a donc été élu président du conseil régional des Pays de la Loire de décembre 2015 à septembre 2017, reprenant le siège laissé par François Fillon onze ans plus tôt. En septembre 2017, il a démissionné pour être en conformité avec la loi sur le cumul des mandats et a transmis cette présidence à Christelle Morançais dont le nom fut cité en avril 2022 comme éventuelle future Première Ministre d’Emmanuel Macron réélu.

Depuis 2014, Bruno Retailleau est donc une personnalité qui compte au sein de l’UMP puis de LR. Bras droit de François Fillon, la victoire de celui-ci à la primaire LR de 2016 l’a plongé dans la lumière. Il était même considéré comme premier ministrable de François Fillon, du moins, l’un de ses principaux ministres potentiels en cas d’élection. De plus, il est connu pour être particulièrement unitaire. Le 5 septembre 2015 à La Baule, Bruno Retailleau avait réussi l’exploit de réunir sur la même photo Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon.



Très apprécié des parlementaires (et surtout des sénateurs), il a tout été, à 61 ans, en politique, tout été sauf député européen, maire et surtout ministre. Sur le plan idéologique, il est finalement très peu différent d’Éric Ciotti, classé à l’aile droite, mais à la différence du député de Nice, il fait partie de la droite conservatrice traditionnelle, catholique, bourgeoise, libérale, totalement hostile à toute forme de complaisance avec le RN.

Présent au fameux meeting du Trocadéro du 5 mars 2017, il est resté fidèle jusqu’au bout à François Fillon, au même titre que Jérôme Chartier et Valérie Boyer (qu’on voit sur les images avec Éric Ciotti), malgré l’affaire Pénélope. Après 2017, il reste le meilleur représentant de François Fillon au sein de l’appareil. Son problème est qu’il s’est montré parfois velléitaire : ainsi, il avait hésité à se présenter à la présidence de LR en 2019, après la démission de Laurent Wauquiez. De même qu’en 2021, il avait hésité à se présenter à la primaire LR pour l’élection présidentielle. Il avait néanmoins obtenu le principe d’une primaire, soutenu aussi par Gérard Larcher, le Président du Sénat, pour déterminer le candidat LR.



L’élection interne de décembre 2022 l’a placé encore dans cette hésitation. Celle-ci peut être formulée de cette manière : Bruno Retailleau préside actuellement le groupe LR au Sénat, le groupe majoritaire, et dans la configuration parlementaire actuelle, avec l’absence de majorité absolue à l’Assemblée Nationale, il considère que le groupe LR majoritaire au Sénat aura une influence décisive dans la rédaction des projets de loi durant cette législature et il entend donc continuer à exercer cette influence.

Toutefois, pendant l’été 2022, Gérard Larcher l’a convaincu qu’il était le seul à pouvoir empêcher l’élection d’Éric Ciotti qui signerait la mort de LR et sa disparition au profit d’une entité proche du RN. Surtout, Gérard Larcher l’a rassuré sur un point, qu’il a confirmé dans "Le Figaro" le 30 août 2022 : « Je ne vois aucune incompatibilité entre la présidence du groupe et la présidence des Républicains. Bruno Retailleau a toutes les qualités pour présider notre mouvement. ». Du reste, il est notable aussi que des sénateurs d’origine centriste, comme l’ancien ministre Marc-Philippe Daubresse, annoncent leur soutien à la candidature de Bruno Retailleau.

Dans une interview au journal "Le Figaro" mise en lien le soir de ce vendredi 2 septembre 2022, Bruno Retailleau s’est donc lancé et a annoncé officiellement sa candidature à la présidence de LR : « Je veux bâtir ce grand parti de droite, populaire et patriote, qui manque aujourd’hui à la France ». Un parti entre la Macronie et l’extrême droite.

Il a considéré que le renoncement de Laurent Wauquiez à briguer cette présidence le plaçait dans une situation telle qu’il devait y aller. Même si Laurent Wauquiez venait d’exprimer quelques sympathies pour Éric Ciotti, l’objectif de Bruno Retailleau serait bien entendu de soutenir la candidature de Laurent Wauquiez à l’élection présidentielle de 2027, servie par un parti en ordre de marche. C’est pourquoi le sénateur de la Vendée a insisté sur le fait qu’il n’était candidat contre personne, pas même contre Éric Ciotti : « Dans notre état de faiblesse, un choc frontal pourrait nous briser. ».

Le timing est parfait pour Bruno Retailleau puisqu’il a annoncé sa candidature la veille des Journées des Jeunes Républicains à Angers, sorte d’université d’été de LR et rentrée politique du parti dont la question sur l’organisation monopolisera certainement tous les esprits dans les débats internes. Il l’a annoncée aussi le lendemain d’une visioconférence (le 1er septembre 2022 à 18 heures) avec l’ensemble du groupe LR au Sénat qu’il préside et qui lui a assuré le soutien de la quasi-unanimité des sénateurs.

Roger Karoutchi, qui fut son adversaire malheureux en 2014 (pour la présidence du groupe sénatorial), le soutient désormais : « Bruno Retailleau a pour lui en magasin la capacité de dire "je suis un type de droite, très ferme sur le régalien, mais j’accepte le débat". Je ne dis pas qu’Éric Ciotti ne saurait pas le faire, mais Bruno a l’expérience. Comme ni l’un ni l’autre ne sont candidats pour 2027, on a besoin d’un président de parti qui va faire en sorte d’ouvrir les portes et les fenêtres et de rassembler. ». Quant à Marc-Philippe Daubresse, il est déjà conquis : « Sa façon de parfaitement piloter le groupe au Sénat, avec tous les courants, est finalement une approche intéressante de ce que l’on peut rencontrer aux Républicains. Après l’enjeu essentiel est de plaire aux militants. ». Et vis-à-vis des militants, Éric Ciotti a une grande avance.

Bruno Retailleau devra donc aussi s’attendre à trouver une opposition à sa démarche. Alors qu’il était déjà question de sa candidature pour la primaire présidentielle, en octobre 2020, il avait reçu les critiques de deux personnalités importantes de LR avant de finalement renoncer. Ainsi, Jean-François Copé s’insurgeait en disant : « Pitié, pas lui ! » en estimant : « Il représente la tendance du parti la moins porteuse et la moins génératrice de toutes nos difficultés depuis Fillon. C’est la spirale de l’échec assurée. ». Quant à Aurélien Pradié, il était sans concession : « On a déjà testé cette ligne avec Fillon en 2017 et Bellamy en 2019, ça nous a rapporté 10% ! Si la grande famille gaulliste à laquelle j’appartiens devient un Tea Party à 10%, je me casse et rachète un club de surf sur la côte basque. Ma droite est celle de l’espérance, celle qui parle d’écologie, de justice sociale, celle qui a défendu les femmes avec la loi Veil, pas celle de la punition ! ». Ces deux propos ont été rapportés par "Valeurs actuelles" à l’époque (octobre 2020). Entre-temps, Valérie Pécresse a été choisie comme candidate contre Éric Ciotti, et a fait pire que cette ligne Fillon-Bellamy.

Que prône Bruno Retailleau ? Il l’avait résumé rapidement dans une interview accordée à Emmanuel Galiero dans "Le Figaro" publié le 24 mai 2022 : « L’enjeu, pour la droite, c’est d’abord la clarté. En voulant tout concilier, la droite a tout perdu. Nous devons repartir de l’essentiel. Ce qui fonde la politique, c’est une vision de l’homme dans son environnement. À l’heure où les problèmes de pouvoir d’achat et de communautarisme taraudent nos concitoyens, surtout les plus modestes, je crois que la droite doit repenser ensemble la question sociale et la question identitaire, en reposant cette question fondamentale : qu’est-ce qu’une politique qui garantit la dignité de chaque Français et l’unité entre tous les Français ? Et je pense que notre modèle de civilisation, qui a pour cadre la nation et pour moteur la liberté, fournit la base indispensable à cette réflexion. ».

La présence de Bruno Retailleau dans la compétition interne renforce l’incertitude de son issue. S’il n’est pas question de candidature à l’élection présidentielle, peut-être finalement que Bruno Retailleau vise un autre objectif, Matignon. Chef de parti, LR pourrait devenir la majorité de remplacement si jamais le Président de la République prenait le soin de dissoudre l’Assemblée durant son second quinquennat. À cet égard, l’opposant à Emmanuel Macron n’a jamais insulté l’avenir…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 septembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bruno Retailleau.
Caroline Cayeux.
Christophe Béchu.
Aurélien Pradié.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
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René Capitant.
Patrick Devedjian.


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