Les Verts sont dans le fruit
par werbrowsky
mercredi 6 décembre 2006
2006 restera peut-être comme une date essentielle pour la présence des écologistes dans la vie politique, en France comme ailleurs. Al Gore et Nicolas Hulot ont ouvert une nouvelle voie, mais une candidature verte aux élections présidentielles est-elle réellement crédible ?
L’écologie a fait son entrée en
politique il y a plus de trente ans déjà. La génération contestataire, née de
1968, a transposé sur le terrain de la protection de la nature son combat
contre la société en place. Lutte contre la société de consommation, contre le
capitalisme, contre l’exploitation du Tiers monde, à peine émancipé et déjà
soumis à une nouvelle forme de tyrannie : le marché des matières premières.
René Dumont est le premier écologiste à s’être présenté aux élections
présidentielles, en 1974. C’était un scientifique réputé, expert auprès des
organisations internationales, et très largement marqué à l’extrême gauche,
déjà. Même si son résultat est resté plus que modeste (1,32% des voix au
premier tour), il a marqué le lancement de l’écologie politique en France. Dès ses
débuts, les partis écologistes se sont déchirés pour décider s’il fallait se
positionner, à droite ou à gauche, ou bien refuser toute alliance pour créer
une "troisième voie" indépendante.
Antoine Waechter, leader du parti Vert, a choisi la politique du
"ni-gauche, ni-droite", avec un certain succès. Le meilleur résultat
électoral jamais atteint a été obtenu en 1993, lorsque trois formations
écologistes se sont présentées simultanément aux élections législatives. Le
cumul des voix, tous mouvements confondus, avait atteint 11,63%. Cet axe a été
abandonné ensuite, Waechter marginalisé, ainsi que Brice Lalonde, et les
résultats sont devenus plus qu’irréguliers. Il faut attendre la campagne de
Daniel Cohn-Bendit, aux élections européennes de 1999, pour retrouver des
niveaux similaires. Mais la candidature de Mamère en 2002 n’a recueilli que 5%
des suffrages, et Dominique Voynet plafonne à 1 ou 2% des intentions de vote
actuellement.
Plus largement encore, deux tendances contradictoires s’affrontent. Les premiers prônent une rupture totale avec la société actuelle, pour en finir avec le monde industriel. Les seconds pensent que la science peut remplacer les techniques actuelles par de nouvelles solutions propres et renouvelables. Pour caricaturer, c’est le grand écart entre Greenpeace d’un côté et Al Gore de l’autre. Le débat ne fait que commencer et risque de se prolonger durant quelques dizaines d’années encore.
A-t-on réellement évalué ce que signifierait une "gouvernance écologiste" ? Si l’écologie était au centre de nos décisions, elle ne pourrait se contenter des mesures actuelles, comme l’utilisation d’énergies renouvelables, la gestion des déchets et le recyclage. Les "gestes citoyens" proposés actuellement dans le cadre du "Défi pour la Terre" semblent bien insuffisants à inverser la tendance. De même les promesses de Kyoto sont-elles déjà obsolètes. Bien d’autres domaines de nos sociétés seraient affectés. L’organisation de l’Etat devrait répondre aux contraintes nouvelles en limitant le déplacement des fonctionnaires, en favorisant le télé-travail et en réduisant de façon drastique l’utilisation de carburants par ses forces armées. Les entreprises devraient supprimer la climatisation, renoncer aux grands immeubles vitrés, dévoreurs d’énergie. Des pans entiers de l’économie s’effondreraient progressivement ou brutalement. Le tourisme de masse sera-t-il encore possible dans un monde sans pétrole ? La pétrochimie, la plasturgie, les industries automobile et aéronautique auront-elles un avenir ? Que dire encore de l’attitude des pays émergents, comme la Chine et l’Inde, désirant adopter notre mode de vie à une échelle quatre fois plus grande ?
Il semble que, malgré les dangers imminents pesant sur notre environnement, les électeurs n’aient qu’une confiance limitée dans les capacités des partis écologistes à peser sur les décisions politiques. Les nominations des ministres de l’environnement successifs, de Robert Poujade (à ne pas confondre avec Pierre, son homonyme) nommé dans le deuxième gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, en 1971, jusqu’à Nelly Olin, n’ont certainement pas contribué à améliorer leur image auprès des électeurs. On se souvient des bourdes médiatiques, les plus récentes, de Roselyne Bachelot ou de Dominique Voynet. La participation des écologistes à la gestion de la Ville de Paris, aux côtés de Bertrand Delanoé, fournit d’autres raisons de se méfier de leurs positions.
Les Verts ont très nettement choisi la gauche, et souvent, l’extrême gauche, quitte à radicaliser leurs positions. La droite a cherché, sans succès jusqu’à présent, à contrebalancer ces positions par des écologistes plus proches de leurs tendances.
L’arrivée de Nicolas Hulot dans le jeu politique bousculera peut-être les choses. Mais une fois de plus, cette candidature potentielle pose la question du positionnement de la question écologique sur le plan politique. S’agit-il, une nouvelle fois, de tenter d’influencer les décisions des partis majoritaires en participant à leurs gouvernements, ou bien faut-il que l’écologie devienne, au contraire, le courant unitaire rassemblant des membres de bords politiques différents dans son sillage ?
La réponse que semble proposer Al Gore dans son discours récent est de recentrer l’ensemble des décisions politiques en les analysant sous l’angle environnemental. Il suppose préalablement que nous n’avons plus le choix ni le temps d’attendre, en raison de l’urgence devant laquelle nous nous trouvons. Certains hommes politiques en campagne ont rebondi sur cette base en proposant de créer un poste de "super-ministre-bis" du gouvernement. Peut-on réellement croire que nos élites dirigeantes subordonneront désormais leurs décisions, économiques, sociales, politiques, au diktat d’un ministère supérieur hiérarchiquement ? En France, les postes essentiels du gouvernement, en dehors du ministère de l’Intérieur dont les pouvoirs sont très étendus, sont réservés à l’économie et aux finances. Les ministres en charge de ces postes disposent d’un pouvoir immense sur leurs collègues, en parfaite adhésion avec les décisions prises par le Premier ministre. On a bien vu, lorsque Jean-Louis Borloo a lancé ses généreux plans pour lutter contre la précarité, que les lignes budgétaires nécessaires ne suivaient pas, rendant toute décision inopérante. Malgré les discours actuels, on peut craindre que l’écologie ne subisse le même destin, une fois l’élection remportée, à droite comme à gauche. Pour peser effectivement, les écologistes devraient disposer d’un parti fortement structuré et implanté localement, au même titre que l’UDF, par exemple. A défaut, il faudrait qu’ils obtiennent des succès électoraux majeurs, pour entraîner une dynamique en leur faveur, lors des élections législatives. Ce ne sera apparemment pas le cas, cette fois-ci encore.
La possibilité d’une candidature de Nicolas Hulot rejoint, sur le plan de la communication, les situations de ses concurrents, Sarkozy et Ségolène. Surmédiatisés, ils occupent tout le champ et ne laissent la place à aucun autre candidat. L’élection présidentielle se livre aujourd’hui uniquement à coups de sondages et d’effets de manche. Contrairement aux campagnes électorales précédentes, liées aux actions militantes - collage d’affiches, distribution de tracts sur les marchés, réunions publiques... - les choses semblent se dérouler uniquement sur Internet et à la télévision. Quel sera l’effet d’une élection obtenue sur de telles bases ? N’accentuera-t-elle pas, davantage encore, le fossé entre les élites et le peuple ? Ségolène progresse dans les sondages et les intentions de vote parce qu’elle a réussi à faire croire "aux gens de la rue" qu’elle était proche d’eux. Sarkozy tente de combler son retard dans ce domaine en proclamant, à toute heure, que "les Français savent" qu’il a raison. Pendant ce temps, les questions fondamentales concernant l’avenir de notre planète, la santé de notre population et le développement de nos économies, restent sans réponse. Au moment où tout le monde se rend compte que les changements climatiques deviennent tangibles et nous affectent directement, les hommes politiques écologistes semblent subitement aphones. Sans doute trop occupés à s’entredéchirer ou à tenter de survivre, eux aussi, dans la jungle politique. Les Verts sont entrés dans le fruit de la politique, mais, pour l’instant, ils n’ont pas encore prouvé qu’ils étaient capables de répondre aux grands enjeux qui se présentent à nous.