Lionel et Ségolène

par Jean-Michel Aphatie
jeudi 8 février 2007

Pour être franc, je suis un peu déçu. Il est 8 h 53 quand je commence à écrire ce texte. Une vingtaine de réactions, déjà, à l’intervention de Lionel Jospin, ce matin, sur RTL, et pas une pour m’engueuler, me conspuer, sur le thème, vous êtes socialiste, vous l’avez laissé parler, vous étiez nul, on ne vous a pas entendu, couché, d’habitude vous la ramenez plus, surtout avec les invités de droite, etc.

Que se passe-t-il, amis blogueurs ? Seriez-vous malade ? Ou bien absorbés par la lecture de Marianne qui dans son 667e dossier sur la manipulation scandaleuse de l’opinion publique démontre enfin de manière incontestable que la roulure journalistique se vautre aux pieds de qui vous savez dans l’impatience folle d’entrer à sa suite dans le grand palais de la République pour se goberger sans retenue de petits fours aux frais du contribuable ? Oui, mais alors, si tous les journalistes sont sarkozystes, pourquoi cette complaisance avec Lionel J. ? Pouvez-vous éclairer notre lanterne, JFK ?

Lionel Jospin sur RTL, je vous explique.


Le dialogue avec lui, comme avec d’autres personnages du débat public, est constant, et d’ailleurs très simple. Il consiste à vérifier de mon côté, à intervalles réguliers, si la personne en question a l’intention ou pas d’intervenir dans le débat public. C’est ainsi que dans le courant du mois de janvier, j’ai appelé Lionel Jospin. Il m’a indiqué à l’époque qu’il n’envisageait pas d’intervenir mais qu’il prenait note de l’intérêt de RTL s’il se décidait à le faire.

Samedi, vers midi, mon téléphone sonne. Lionel Jospin. Il m’indique que les emprunts répétés de Nicolas Sarkozy à l’histoire de la gauche, ses propos sur le travail dévalorisé par les socialistes lui paraissent justifier une réponse. Si RTL le souhaite, il peut la formuler sur l’antenne. Je lui indique notre intérêt pour ce projet, en lui précisant que dans cette hypothèse, nous parlerions aussi de la campagne des socialistes menée par Ségolène Royal. Il convient de ceci, en précisant toutefois que son souhait principal, c’est de parler de la captation historique du candidat de l’UMP et me demande de prendre cela en compte. J’acquiesce et nous convenons lors de cette conversation de nous retrouver sur RTL jeudi matin.

A l’écoute de l’interview, ce cadrage est apparu nettement.
Personnage devenu rare sur la scène publique, Lionel Jospin est devenu un personnage fort. Choisissant les thèmes et les moments de ses interventions, il en détermine le contenu. Ce matin, la démonstration qu’il voulait faire, et qu’il a faite, était simple.
Oui, les citations répétées de Jean Jaurès et de Léon Blum par Nicolas Sarkozy peuvent perturber l’électorat de gauche et devenir dangereuses pour la candidate du Parti socialiste. Il convient donc d’y répondre avec le poids de la fonction passée, sans céder aux facilités de la polémique, mais en traitant au fond la question de l’emploi et de son cadre juridique.

Pour résumer, Lionel Jospin a expliqué ce matin qu’il y avait un abus intellectuel à s’abriter derrière les figures d’anciens dirigeants socialistes pour justifier le projet d’un contrat de travail unique qui, selon lui, détruirait les protections juridiques dont bénéficient actuellement les salariés sous contrat à durée indéterminée. Cette thèse, il l’a minutieusement exposée, au micro, avec une certaine fluidité intellectuelle qui a conféré à la fois de la gravité et de l’intérêt à son raisonnement.

Ce n’est que ceci effectué que la place s’est libérée pour quelques questions directement liées à la campagne socialiste. Pourquoi ne marche-t-elle pas ? Le verra-t-on, lui, Lionel Jospin, aux grands rassemblements prévus par les socialistes, à commencer par celui du 11 février où Ségolène Royal devrait énoncer son programme, ou ses grandes lignes ? Prudent dans ses réponses, Lionel Jospin a contourné les sujets, notant juste qu’on ne le verrait plus à ses réunions publiques pour une raison que l’on peut comprendre mais dont l’énoncé étonne : "Les éléphants, a-t-il dit, j’ai passé l’âge." Il faut comprendre cette phrase comme illustrant sa volonté durant cette campagne électorale. Il interviendra, il sera présent, mais avec le souci de son statut et de son passé, loin de la mêlée, avec le souci d’une hauteur de vue qui pourra séduire ou irriter, voire mélanger les deux sentiments.

La dernière question de l’interview, je l’ai tirée du sublime récit, à lire dans le Point de cette semaine par ceux que le talent ne rebute pas et la jalousie n’étouffe pas, de Bernard-Henri Lévy d’un dîner qu’il a fait vendredi dernier avec Ségolène Royal. BHL cite la phrase suivante de la candidate socialiste : "Je comprends Lionel Jospin, qu’une fille comme moi, qu’une Bécassine réussisse des choses où il s’est lui, cassé les dents, je conçois que ça le fasse rager."
La question a un peu déstabilisé Lionel Jospin. L’humilité peut-être de la candidate socialiste, son naturel à admettre une position un peu humiliante, l’utilisation aussi directe d’un patronyme dévalorisant. Il a tourné la difficulté en citant un journaliste - il n’a pas dit son nom à l’antenne mais a précisé ensuite qu’il pensait à Laurent Joffrin, le nouveau directeur de la rédaction de Libération - qui avait promu la candidature de Ségolène Royal pour aujourd’hui en stigmatiser la vacuité.

En sortant du studio d’ailleurs, dans un rire qui voulait démontrer qu’il n’y avait pas d’agressivité dans son propos, Lionel Jospin a dit que cette dernière question était "nulle", il a répété le mot plusieurs fois, ce qui était une manière de masquer l’émotion que la justesse de la citation, au fond, provoquait chez lui.

Le petit déjeuner a été sympathique mais assez court. Lionel Jospin n’a voulu répondre à aucune question concernant la campagne, ses acteurs. Il a bien accepté de parler encore du contrat de travail, des 35 heures, de sa participation récente à un colloque sur l’environnement. Mais sur la politique, rien. Souriant, décontracté, agréable, mais bien décidé à demeurer, ce matin en tout cas, dans le rôle qu’il s’est dévolu en ces temps d’élection présidentielle.


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