Logique de crise

par LM
vendredi 26 septembre 2008

Notre grand président n’est pas resté en rade de promesses à Toulon : s’il a annoncé des fins de mois très difficiles et beaucoup de soupe à la grimace, il a également assuré que l’Etat ne laissera tomber personne. Un discours aussi grave que l’heure, moins bling-bling que son auteur.

« Le mal est profond. » Cette phrase seule résume à merveille le discours de Toulon de Nicolas Sarkozy, homme d’Etat de l’année selon nos amis américains. Profond, oui, le mot est faible. La crise financière qui ne fait peut-être que s’ouvrir va sans aucun doute frapper fort, et large. Nul ne devrait échapper aux conséquences des délirantes acrobaties des soi-disant spécialistes de la finance et des marchés financiers mondiaux. Partout dans le monde, et notamment aux Etats-Unis, des Jérôme Kerviel très bien payés, surpayés diront certains, justement rémunérés prétendront d’autres, ont fini par mettre sens dessus dessous l’économie mondiale, qui ne sait plus à quel sein se vouer. Tout plonge, tout coule, tout sombre, et chacun va en payer les pots cassés. Chacun, sauf les employés de ces grandes compagnies, réembauchés illico presto après la faillite de leurs entreprises, et souvent à prix d’or par d’autres boîtes toutes aussi peu regardantes sur les « régulations » aujourd’hui préconisées à tout va. Les responsables, les principaux acteurs en tout cas du naufrage actuel ne souffrent et ne souffriront en aucun cas de cette catastrophe, ils vont continuer dans les mois et les années à venir à gagner grassement leur vie, sans attendre, sans moment de répit ni de doute. Une anomalie choquante qui pourrait bien finir par provoquer de sévères désordres dans certaines sociétés dites riches, qu’elles soient américaines ou européennes. Il faut savoir jusqu’où aller trop loin. A trop prendre les gens pour des cons, même les plus cons finiront par s’en rendre compte, et ça finira sans doute mal.

Nicolas Sarkozy le sait, lui qui se trouve soudain embarrassé pour le coup d’avoir été désigné homme d’Etat de l’année par ses amis américains l’année la plus horribilis depuis longtemps. Ça tombe mal, ça donne beaucoup de responsabilité, comme dirait Nicolas. C’est peut-être aussi une certaine forme d’humour américain qu’on ne connaissait pas encore. L’homme de l’Etat de l’année du krach, du plus grand krach peut-être depuis celui de 1929, tu parles d’un palmarès, tu parles d’une médaille ! Alors, tout ainsi auréolé, que peut faire notre bien-aimé chef de l’UMP ? Pas grand-chose. Promettre, tout au plus, devant un parterre gouvernemental visiblement pas totalement convaincu qu’on ne laissera tomber personne. « On », c’est l’Etat, bien sûr. L’Etat qui ne lâchera pas ses petits épargnants, promis juré. Oui, mais comment les aidera-t-il ? Avec quel argent ? Parce que ces promesses sont bien belles, mais ce sont celles du patron d’un Etat annoncé quasiment en faillite depuis quelques mois. Les caisses sont vides, archi vides, d’où sortira-t-on de l’argent pour écoper ? D’un fonds secret ? Des réserves du Sénat, maudit Sénat pour Raffarin ? Du préjudice moral de Bernard Tapie ? Où Sarkozy trouvera-t-il l’argent pour aider les épargnants, pour remplacer les banques qui risquent de ne plus vouloir prêter ? Ce qui est sûr, c’est que, dans l’immédiat, de tels effets d’annonce ne coûtent rien et, par les temps qui courent, c’est déjà ça de pris : les promesses demeurent gratuites, elles sont bien les seules.

Pour le reste, Sarkozy a raison, tout va mal. Les chiffres du chômage repartent dans le négatif, la croissance s’annonce de plus en plus en berne, et le pouvoir d’achat va en prendre un coup, un de plus. On le savait déjà, Sarkozy l’a répété hier, comme on confirme au malade en phase terminale qu’il n’y a plus d’espoir. Fini le bling-bling, fini l’opulence, sauf pour les sénateurs de Larcher, fini les yachts, fini le Fouquet’s, le temps est à la crise, à la logique de crise, comme en 1991 il était à la « logique de guerre » quand Mitterrand à la télévision était venu annoncer que dans le ciel de Bagdad les nuits n’allaient plus tarder à s’illuminer d’explosions meurtrières. Logique de crise, oui, on y est, on ne peut plus se cacher. Et même si les Américains font semblant d’y pouvoir quelque chose, en gonflant leurs biscottos de quelque 700 milliards (le Congrès américain, pas contre le principe attend des précisions), rien n’y fera, on n’y échappera pas. Dans quelques jours sans doute le prix du baril repartira à la hausse, le prix de l’immobilier continuera à s’effondrer, et grosso modo les pauvres n’auront plus d’autres horizons qu’un peu plus de pauvreté, sans trop d’espoir. « Le laisser faire, c’est fini. Il faut tirer les leçons de la crise. Le monde est passé à deux doigts de la catastrophe. » Sur ce dernier point, Sarkozy se trompe, la catastrophe est sans doute devant nous, nous n’y sommes que d’un orteil, le reste va suivre. Nous sommes dans les grands vents qui précèdent de quelques minutes la vraie tornade, mais le pire est encore devant. Pas à deux doigts, mais bien là. Et ça va secouer.

Hier à Toulon, le mari de Carla était bien loin de ses problèmes quotidiens : loin des pelouses souillées de Christian Clavier, loin du tout à l’égout compliqué de sa belle-famille, loin des couverts en plastique de Borloo, loin du préjudice moral ruineux de son ami Bernard. Il lui faut aujourd’hui parer au plus pressé, contenir tant qu’il le pourra les mécontentements, faire comme si tout cela dépendait encore de lui. Seulement voilà, cette crise (pas la dernière, pas la première) démontre une fois de plus une évidence : le pouvoir appartient à ceux qui manipulent l’argent. Définitivement. Les politiques en sont réduits à compter les caisses.


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