Macron, du « en même temps » au tout et n’importe quoi
par Laurent Herblay
samedi 9 janvier 2021
Hollande a été moqué pour sa propension à construire les synthèses illusoires qui ont mené le PS là où il est. Et si le « en même temps » de Macron se révélait être une version encore plus dysfonctionnelle de la synthèse de son ancien chef, beaucoup trop large pour garder la moindre cohérence ? C’est bien ce que semblent indiquer ses dernières longues prestations dans Brut et l’Express.
Mécontenter tout le monde en cherchant à plaire à tous
Il faut dire qu’à la base, le « en même temps » macroniste n’a jamais été extrêmement clair. C’était sans doute volontaire, lui ayant permis d’attirer des personnes aux idées très différentes, du communautariste socialiste Aurélien Taché, jusqu’au sarkozyste Gérald Darmanin. Tout au plus, par rapport à la synthèse hollandienne, on peut distinguer un glissement à droite, avec la volonté de concilier les attentes de l’aile droite du PS avec celle d’une droite de moins en moins modérée. Après tout, en 1992, des personnalités venues de la majorité et de l’opposition d’alor avaient fait tribune commune pour Maastricht, et la pensée unique désignait ainsi une ligne Bérégovoy Balladur, austéritaire et eurolibérale. En somme, cette synthèse existe depuis plus longtemps que Macron a le droit de vote.
Mais en trois semaines, dans deux longues interviews, le président a donné une tonalité beaucoup plus extensive à son « en même temps ». Bien sûr, il a souvent eu l’habitude de déborder largement du cadre de son cercle de pensée, principalement par la droite, sans se soucier le moins du monde de la cohérence ou la logique de ses propos. Mais là, il est allé particulièrement loin, comme le pointe Jacques Julliard dans le FigaroVox, qui parle de « confusionniste » et se demande si « ces changements de pied permanents ont pour but principal de convaincre la gauche qu’il a raison de mener une politique de droite ». Le terrorisme et l’insécurité ont été déjà largement utilisés pour parachever la droitisation électorale du macronisme et asphyxier LR. D’où deux projets de loi forts, sur la Sécurité Globale, et la lutte contre les séparatismes, portés notamment par le très sarkozyste ministre de l’Intérieur.
Mais entre l’épisode du tabassage du producteur de musique par des policiers, les polémiques légitimes contre certains aspects de la loi Sécurité Globale et la gestion très autoritaire de la crise sanitaire, Macron a a sans doute craint d’être allé un peu loin dans la droitisation de son discours pour l’avenir. C’est sans doute pour cette raison qu’il a pris le temps d’accorder ces deux très longues interviews, dans le but évident d’équilibrer son positionnement. Mais à vouloir donner des gages à des parties aussi différentes de l’opinion, le président semble bien avoir complètement brouillé son message. Il est délicat de vouloir incarner l’ordre, tout en paraissant faire un procès en racisme aux forces de l’ordre pour ne pas perdre l’électorat jeune, comme il a tenté de le faire début décembre sur Brut.
D’un côté, il dit vouloir lutter contre les séparatismes et la « cancel culture » parce qu’il dit ne pas croire à l’idée que l’on efface ce que l’on est. De l’autre, il appelle à établir une liste de facto raciste de personnalités de couleur pour rebaptiser les noms de rue, une des demandes phares des partisans de cette « cancel culture », comme le pointe Eugénie Bastié. Cela est d’autant plus choquant que la France n’a rien à voir avec les Etats-Unis, comme en témoignait Joséphine Baker à son arrivée en France. Pire, il a récidivé dans l’Express quelques jours plus tard en évoquant le « privilège blanc » ! Pour quelqu’un qui dit vouloir lutter contre le séparatisme et a fini par dénoncer l’islamisme radical, après des années d’atermoiements, il est étonnant de reprendre sans filtre des éléments de langage de la frange la plus communautariste de la France Insoumise ou des apôtres de la cancel culture !
Si Jacques Julliard évoque élégamment « la scolastique médiévale, et notamment le célèbre « sic et non » (oui et non) d’Abelard », cela peut aussi renvoyer plus basiquement aux dissertations façon thèse / anti-thèse de Sciences Po, avec l’oubli de toute synthèse… Si la rentrée a remis la crise sanitaire sur les devants de l’actualité, avec le recul, les deux derniers mois de 2020 laissent l’impression d’un gloubi-boulga diforme et indigeste entre provocations droitières assez révoltantes et amatrices de Gérald Darmanin, et terrain sémantique cédé par le président aux communautaristes les plus durs. A force de vouloir s’adresser à tout le monde, Macron semble être nulle part et prend à long terme le risque de déplaire à tous avec un discours aussi protéiforme, allant de Obono à Sarkozy. Zemmour n’a pas tort de dire qu’il cherche à concilier l’inconciliable et que cela pourrait causer sa perte.
Plus de trois ans et demi après son élection, le macronisme apparaît comme un mélange biscornu, aussi conformiste qu’opportuniste du pire de la droite et de la gauche réuni. Nous avons les mêmes gesticulations qui avaient dominé le mandat de Nicolas Sarkozy, matinées de reprises du pire de la gauche anglo-saxonne. Et entre les fiascos à répétition de la gestion de la crise sanitaire et l’impasse de sa politique économique, cela ne semble pas un cocktail forcément gagnant pour 2022…