Macron et le vote anti-RN : un faux paradoxe

par LATOUILLE
samedi 23 avril 2022

J’avais entrepris d’écrire et de publier ce billet bien avant l’échéance du 24 avril mais je me suis épuisé à essayer de trouver un sens à cette situation électorale proprement ubuesque. Comment des personnes qui ont vilipendé pendant des mois durant la politique d’Emmanuel Macron peuvent-elles vouloir voter pour lui et le porter au pouvoir pour cinq ans encore ? Pareillement, comment des personnes dites de gauche peuvent-elles être tentées par un vote pour le Rassemblement National ? Comment au seul prétexte de faire barrage à un candidat désigné comme étant d’extrême droite peut-on, alors qu’on est dans une idéologie socialiste, voter pour un candidat capitaliste et ultralibéral ? Et, comment certains de ces « démocrates » peuvent-ils s’abstenir de voter ou voter blanc ? Il semble qu’il y ait de l’incohérence dans ces positions en tout cas au moins autant que du paradoxe.

Cette situation n’a aucun sens politique, du moins au sens commun accordé au mot politique c’est-à-dire un engagement pour une idéologie de gestion du présent et de l’avenir d’une société, mais elle revêt énormément de sens affectif et émotionnel. Je ne parle pas là de « l’affection » que tel ou tel électeur porte à l’un ou l’autre des candidats et à leurs propositions qui l’amène à voter pour le candidat qu’il affectionne. Ce que je voudrais évoquer c’est l’affection que les personnes ont pour leur vie et pour elles-mêmes ce qui corollairement impacte leur choix électoral et peut les amener à voter en opposition à leurs convictions.

Les gens cherchent avant tout la sécurité pour satisfaire et garantir leurs besoins élémentaires et pouvoir chercher à obtenir le superflu. Rares sont ceux, de nos jours, qui militent pour une idéologie et la vivent pleinement. Comme pour les candidats, malgré leur déclaration d’intention envers la société et le pays, qui loin d’annoncer un projet de société égrènent une liste semblable à une liste de courses, les électeurs puisent dans la liste des propositions et des intentions de l’un et de l’autre et les enfilent jusqu’à ne choisir que le candidat qui aura permis de fabriquer le collier le plus long c’est-à-dire celui qui contient les plus de « perles » susceptibles de garantir les intérêts de l’électeur et de le rassurer. Finalement, au niveau individuel surtout, la politique apparaît comme étant un chapelet de compromis en lien avec les intérêts de chacun. La politique serait devenue un objet, oserai-je dire un outil, de la vie quotidienne des gens : qui des candidats et de leurs propositions me permettront de satisfaire au mieux mes intérêts ? Nous sommes loin des passions mues par un idéal philosophique.

Si l’électeur est à la recherche de sécurité puis choisit celui des candidats qui le rassure, le vote s’établira dans une relation du sujet (l’électeur) à l’objet de protection de ses intérêts (le candidat). L’électeur voit et vit le candidat et ses propositions comme objet émotionnel si l’on considère que le mot émotion existe pour « désigner des phénomènes comportementaux et expérientiels qui sortent de l’ordinaire[1] ». L’électeur trouve chez le candidat l’objet qui lui permet de nommer ses peurs et d’élaborer une protection, une assurance face à la situation angoissante. Cette situation crée de l’émotion, laquelle suivant Tcherkassof et Frijda « est en premier lieu le produit conjoint de deux modalités déterminantes : l’évaluation et les “intérêts”. L’évaluation affective et cognitive d’un objet ou événement en détermine sa pertinence vis-à-vis d’un ou plusieurs intérêts du sujet. Les émotions se caractérisent également par la préséance des réponses à l’événement – modalité qui traduit leur prévalence sur les conduites en cours – et par la production d’une attitude préparatoire sous la forme d’une “disposition à l’action” qui pousse le sujet à modifier sa relation à l’objet ou l’événement. » Notamment si nous suivons Kant qui invitait à « interpréter ce que nous appelons émotions comme des états de folie passagère. Autrement dit, “émotion’” n’est pas une catégorie solide. Ni ne le sont, du reste, les catégories émotionnelles différenciées par les noms de colère, joie, peur, ou angoisse ». L’émotion génère donc des dispositions à l’action qu’Anna Tcherkassof et Nico H. Frijda ont résumées dans un tableau où sont mis en regard la disposition à l’action, le type de relation et les termes émotionnels. Par exemple nous lisons : accepter (disposition à l’action) ==> accepter la relation (type de relation) ===> intérêt, affection, curiosité, plaisir (termes émotionnels). C’est donc dans ce cadre et avec ce canevas de construction de l’analyse qu’il faut regarder une situation électorale aussi curieuse que celle de ce deuxième tour de l’élection présidentielle en France en 2022.

On voit alors que la référence à un front républicain n’a plus beaucoup de sens dans un contexte désidéologisé où l’individu à plus d’importance que le collectif, où les peurs et les intérêts des individus l’emportent face au bien commun. Dans cette situation, en nous inscrivant dans la ligne de pensée de Jean-Marie Barbier, nous pouvons avancer que l’action « peut être définie comme le processus de perception/transformation du monde et de perception/ transformation de soi transformant le monde, dans lequel et par lequel est engagé un être vivant dans ses rapports avec son environnement. » L’individu est alors engagé dans une dialectique de reconstruction de sa pensée entre « ce qu’il fait au monde et ce que le monde lui fait, tout en devant considérer ce qu’il se fait à lui-même en faisant ». L’individu se place donc dans une attitude de transformation, de lui-même et du monde, où ses affects sont amenés à n’être plus que des transformations d’une pulsion initiale d’action.

Dans ce contexte on comprendra qu’il n’y a rien de vraiment paradoxale à ce que des électeurs puissent voter à l’encontre de leur conviction de départ. Toutefois il faut relever que dans ce processus émotionnel où l’individu se confronte à lui-même, où comme dit Jean-Marie Barbier il met en place « l’exercice d’une activité de conscience, de reconnaissance de soi par soi », l’électeur doit faire preuve d’une extraordinaire autonomie qui devrait lui permettre d’échapper à toute forme de manipulation. Ça n’a pas été le cas dans cette élection où autant Emmanuel Macron que l’ensemble des politiciens et de très nombreux journalistes, en diabolisant Marine Le Pen et le Rassemblement National, ont créé une situation propice au rejet de Marine Le Pen et à la déification d’Emmanuel Macron. A-t-on évoqué l’appartenance d’E. Macron au système bancaire international, la disparition de son capital engrangé durant 4 ans dans une banque ? A contrario, combien de fois a-t-on rappelé que Marine Le Pen est la fille de Jean-Marie Le Pen ? Mais la manipulation est plus présente dans la vie politique que la persuasion, il suffit de suivre les débats politiques et lire (ou entendre) les médias. Finalement on est amené à voir que les électeurs les plus autonomes, et sans doute les plus honnêtes vis‑à‑vis d’eux-mêmes donc les plus cohérents, sont ceux qui votent blanc ou qui s’abstiennent de voter au second tour.

Ne faudrait-il pas un vote blanc massif pour remettre un peu d’ordre dans le système électoral et dans la démocratie comme l’évoque José Saramago dans la quatrième de couverture de son livre « La Lucidité » : « Panique électorale : à l’heure du dépouillement, 83 % des électeurs ont voté blanc. Le chaos s’installe, le gouvernement crie à la conspiration et déclare l’état de siège, le pouvoir se lance dans une chasse aux sorcières et la presse se déchaîne contre les coupables désignés. Seul, dans la panique, un commissaire affronte la troublante vérité… ». À coup sûr cela entraînerait un processus émotionnel salutaire.

 

[1] Anna Tcherkassof, Nico H. Frijda, LES ÉMOTIONS : UNE CONCEPTION RELATIONNELLE, L’Année psychologique, 2014/3 Vol. 114 | pages 501 à 535


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