Macron / Le Pen : où était l’extrémisme ?

par Laurent Herblay
samedi 7 janvier 2023

Contrairement à moi, pour certains, il n’y avait pas une hésitation à avoir le 24 avril, Macron valait forcément mieux que Marine Le Pen. Plus qu’une adhésion au président sortant, limitée, c’était le rejet plus fort suscité par Marine Le Pen qui s’exprimait pour deux principales raisons : ses origines d’extrême-droite et la plus grande compétence qu’aurait Macron. Qu’en penser huit mois après sa réélection ?

 

Ce réflexe qui a protégé un oligarchiste égocentrique, incompétent et radicalisé

Sur le premier point, moi qui me suis toujours opposé au FN/RN, je ne peux pas balayer d’un revers de main cet argument. Mais les cinq années passées ont fait évoluer mon jugement, y compris sur ce point. Bien sûr, le RN descend du FN de son père, mais il faut aussi reconnaître que le temps passe, que Jean-Marie Le Pen et les éléments extrêmes semblent être quasiment tous partis, et qu’il y a beaucoup moins à reprocher sur ce point au parti de Marine Le Pen depuis qu’elle est en charge. Aujourd’hui d’ailleurs, son entourage proche est largement composé d’ancien de Debout la République, qui ne sont en aucun cas d’extrême-droite. Certes, le passif du FN canal historique est très lourd, chose que j’ai souvent dénoncé, mais il faut aussi reconnaître que ce n’est pas parce que le RN en est le descendant qu’il est de la même nature. Les partis évoluent et changent complètement : nous l’avons bien vu avec le PS, passé d’un parti porteur de progrès social à un outil des politiques oligarchistes les plus anti-sociales sous Hollande.

Plus important que les questions d’héritage, le terme extrémiste est généralement employé à travers deux angles : la radicalité du programme politique, sur un axe gauche-droite, et la pratique du pouvoir, l’extrémisme renvoyant généralement à une remise en cause du fonctionnement des institutions démocratiques. Mais là encore, sous ce prisme, comment qualifier le RN de parti d’extrême-droite, si ce n’est par une forme de paresse biaisée en faveur du bloc au pouvoir ?

D’un point de vue du programme, le RN est tellement peu extrémiste que Marine Le Pen a pu dire au ministre de l’intérieur qu’elle aurait pu signer son livre et que celui-ci l’a jugé un peu molle dans ses propositions sur l’immigration ! Et plus globalement, le RN est un parti aujourd’hui plus à gauche que Macron sur l’économie, tout en se situant clairement à droite sur les questions de société, mais une droite qui fait généralement plus attention à ce qu’elle dit que ne le faisaient le RPR et l’UDF dans les années 1980. Programmatiquement, le RN n’est pas extrémiste. En revanche, Macron est un extrémiste dans la casse des services publics ou la poursuite d’une coûteuse et inefficace politique de l’offre oligarchiste.

Et tout le problème qu’a révélé le premier quinquennat Macron, c’est que dans sa pratique du pouvoir, ce dernier présente aujourd’hui bien plus d’éléments extrémistes que le RN. Une démocratie fonctionnelle, c’est un exécutif qui rend des comptes, qui se comporte de manière exemplaire, qui respecte et défend ses concitoyens, est ouvert aux autres opinions et qui assume ses responsabilités. C’est aussi un exécutif qui assure et renforce l’état de droit, et défend les libertés publiques. Derrière le qualificatif d’extrémiste, il y a le fait de ne pas, ou peu, rendre des comptes, le règne des copains, compétents ou pas, la porte ouverte aux affaires, à la violence, aux mensonges, ainsi que l’usage de bouc émissaires contre lesquels on dresse une partie de la population par intérêt personnel. On constate aussi souvent que les extrémistes ont un comportement plus cavalier, autocentré et moins respectueux des autres.

Bien sûr, on pourra évoquer la déclaration d’un député RN cet automne. Mais finalement, n’est-elle quand même pas beaucoup moins grave que la violence d’un député macroniste, qui a envoyé un collègue socialiste à l’hosto plusieurs jours en début de mandat, et qui a pu tranquillement finir son mandat et même envisager d’être candidat à nouveau. En matière de violence, c’est la macronie qui est à l’extrême de notre champ politique, tant par la pratique de ses élus, que par sa conception de l’ordre public, lors des Gilets Jaunes. Todd, peu suspect de complaisance avec Sarkozy, ayant pointé que les émeutes de 2005 avaient été gérés de manière bien plus humaine que sous Macron… Et parallèlement, il n’a cessé de protéger les oligarques de notre système, leur accordant un généreux secret des affaires, qui limite le nécessaire questionnement des pratiques contestables du monde des affaires par les journalistes.

Fondamentalement, le quinquennat Macron a marqué une forte dégradation de la pratique démocratique dans notre pays, de la manière volontiers autoritaire qui caractérise en général des partis qualifiés d’extrémiste. Macron, ce sont les affaires qui fleurissent dans tout le cercle exécutif, trop souvent sans conséquence, et dans des mélanges de genre qui interrogent pour deux ministres régaliens. Même si la Cinquième République a une dimension monarchique, Macron l’exploite au-delà de la décence et de principes démocratiques sains. Ses interventions sont soit des allocutions, dont il peut abuser, soit des interviews avec des journalistes très peu incisifs, en général sans donner une deuxième occasion, si ce n’est à Caroline Roux, dont la prestation le 14 juillet lui a valu deux émissions spéciales après, tant elle avait été à son service, taisant des polémiques (sur le Stade de France, ou les OATi) et appuyant même les propos du président sur le SMIC au lieu de l’interroger. C’est aussi un refus de faire campagne pour la présidentielle, par l’exploitation de la guerre en Ukraine et ainsi échapper au nécessaire questionnement démocratique.

Toujours dans sa pratique du pouvoir, à son passif, on peut pointer son usager immodéré du conseil de sécurité, qui lui permet de gouverner en toute discrétion, sans la transparence et le suivi démocratique habituel. On peut également l’usage immodéré, et souvent profondément malhonnête, des bouc-émissaires, à la manière d’un FN canal historique, notamment en matière sociale, à l’égard des chômeurs, trop souvent présentés comme des feignants vivant de notre générosité excessive. On peut également évoquer sa façon détestable d’incriminer les non vaccinés, qu’il a dit vouloir emmerder, quelques jours à peine après un faux mea culpa sur ses excès de langage. Macron n’a pas été moins outrancier et vulgaire que Trump dans la forme, ne cessant de mentir (les masques, Fessenheim, le chômage, les non vaccinés…), de mal se tenir (avec le Premier ministre du Japon, McFly et Carlito…).

Bref, aujourd’hui, s’il y a un extrémiste dans notre paysage politique, c’est bien plus Macron que Marine Le Pen. Et les huit premiers mois de son mandat confirment malheureusement ce constat calamiteux : c’est un Trump qui aurait fait l’ENA et mènerait une politique encore plus nocive pour son pays. D’ailleurs, ceux qui contestent ce jugement sont bien incapables de rentrer dans le fond des choses et des 10 raisons que j’avais avancées en avril pour lui faire barrage, préférant une confortable posture politiquement correcte plutôt que de vraiment s’interroger sur ce qui valait le mieux pour la France…


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