MACRON, LE PRESIDENT SOLEIL 1ere partie : le temps du « comme si »

par Cazeaux
mercredi 24 mai 2017

Nous le savions jeune, beau, brillant, cultivé, grand orateur, transporteur de foules, expert en finance publique et privée etc. Depuis son adoubement, les louanges pleuvent, ricochent, abasourdissent. A en croire les commentateurs et politiques ralliés à sa cause, Macron regroupe à lui seul les qualités de tous ses plus talentueux prédécesseurs. Un démarrage zéro défaut, que dis-je, plus que parfait. De Gaulle aurait-il enfin son successeur ? Pour y croire, il suffit de faire comme si, comme si tout était vrai, nouvel usage de la méthode Coué. Et cela marche du tonnerre !

- On dirait que moi je suis Jupiter et toi Louis-Philippe.

- On fait comme pour de vrai ? Et ils vont nous croire ?

- Tu verras, ils feront comme si.

Un tel jeu ne saurait durer. Fermez les yeux, fort, fort. Ouvrez : Macron Président ! Alors nous n’avions pas rêvé, ce n’était pas un jeu. Macron est partout, tacticien prodigieux, stratège de génie, grand visionnaire, expert en tout, hyper compétent, grande image de la France, impérial chef des armées etc. Allons ! Ne boudons pas notre plaisir, réjouissons-nous, il était temps ! Voici qu’un grand rénovateur nous est né. Macron a compris, Macron a agi, Macron a réussi. Il est entré dans l’histoire. Mieux que l’hymne à la joie, un tantinet trop germanique, c’est la chanson de Michel Fugain qui eût davantage convenu à la soirée du Carrousel : « Tout va Changer, ce Soir. » Les gens auraient allumé leurs briquets ou vaporettes, faisant des milliers d’étoiles, et l’on aurait pleuré, comme au temps du Big Bazar.

 

ON SE LEVE TOUS POUR MACRON !

La victoire de Macron était prévisible, je fais partie de ceux qui en furent le plus tôt convaincus. Mais qui aurait pu s’attendre à cet unanimisme ? Qu’il lui ait suffi d’être présent au deuxième tour pour triompher, c’est entendu. Il y a gagné sa place sans même atteindre les 25% que je pronostiquais dans mon article du 1er février.

Mais comment pouvait-on s’attendre à cet étourdissement collectif ? Au point où nous en sommes, ce n’est plus tant la victoire de Macron qui décontenance que la disparition à vaste échelle de tout esprit critique. Politiciens, journalistes, politologues, commentateurs de tous poils, tous font « comme si ». De Macron, l’on parle comme s’il s’agissait d’un homme politique expérimenté, parvenu au firmament d’une brillante carrière. Comme si cet homme avait tracé son destin en chef de file d’un courant de pensée, comme si, tel Bonaparte revenant d’Egypte après avoir vaincu l’Autriche en Italie, il avait démontré tant de valeur qu’il soit de toute évidence l’homme de la situation. On parle de Macron comme on aurait pu parler de Mitterrand au lendemain du 10 mai 1981 et comme l’on n’en a pas parlé. Qu’on se souvienne combien le vainqueur de l’Union de la Gauche, ministre une douzaine de fois entre 1945 et 1957 a été l’objet de moqueries, de mépris. L’on ne mâchait pas ses mots pour le rabaisser, avec sa bande de profs barbus à col roulé. Toute cette clique de socialo-cocos, où allait-elle trouver la capacité de gouverner le pays ?

Aujourd’hui, la charge de Premier ministre incombe à un protégé de Juppé qui, la veille du premier tour, raillait encore Macron dans sa chronique à Libération. Un vieux briscard comme Bayrou s’est allié à l’homme en marche après l’avoir mis accusé d’être inféodé aux forces de l’argent. Hulot, qui avait boudé Sarko puis Hollande, s’engage tête baissée au service de Macron, et tant pis pour le nucléaire... De ces deux comme de Bruno Le Maire ou de Le Drihan, la presse parle de « grosses prises » dans la composition d’un gouvernement qui tourne le dos à la vieille politique. C’est une renaissance !

La France avait besoin d’un renouveau de sa classe politique et parce qu’il l’a mieux compris que quiconque et possédait le talent pour cela, Macron a tout naturellement percé. Rien de suspect, d’étrange, d’énigmatique. Comment ne pas s’en remettre, fut-il un inconnu hier encore, à un homme qui a eu l’idée géniale de dépasser le clivage entre gauche et droite ? A un homme qui a parlé d’entrer enfin dans le XXIème siècle et proclamé avec une si belle ardeur que la France avait de grandes capacités en elle ? Le seul fait de dire de telles choses ne vaut-il pas toutes les années d’expériences, toutes les analyses élaborées, tous les combats de longue haleine pour telle ou telle grande cause.

A quand faut-il revenir pour trouver pareil engouement ? A De Gaulle ? A Napoléon ? Sa référence à Jupiter et des commentaires-flatteries allant jusqu’à prétendre qu’il pourrait transformer du plomb en or, une telle débauche de superlatifs ferait plutôt penser à notre Roi Soleil. Et quel mauvais esprit faudrait-il avoir pour se montrer perplexe à l’égard de ce grand ralliement, de cette union du peuple autour de ce grand président ? Le mien, peut-être.

 

LE REVERS DES APPARENCES

Parler d’opération orchestrée au plus haut niveau de l’Etat – Macron Président : le coup de maître de Hollande – peut sembler extravagant ou par trop mécaniciste. Ma théorie formule toutefois une explication logique à ce qui dépasse a priori l’entendement :

A ce bref passage en revue, je voudrais ajouter un regard plus appuyé sur deux points :

  1. la réalité de ce gouvernement, présenté comme révolutionnaire ;
  2. la doctrine institutionnelle de Macron (sera l’objet d’un 2e article)

 

LE GOUVERNEMENT "SOCIETE CIVILE"

Composé de vingt-deux membres, la parité homme-femme étant respectée, il présente une moyenne d’âge de 55 ans, qui ne s’accorde guère avec la jeunesse tant célébrée du Président. Mais c’est surtout le faux-semblant de société civile qui est à souligner. La presse distingue onze professionnels de la politique et onze personnes issues de la société civile. Voyons ceci de plus près :

Les onze politiques « officiels » sont : Gérard Collomb, Jean-Yves Le Drian, François Bayrou, Sylvie Goulard, Richard Ferrand, Bruno Le Maire, Gérard Darmarin, Jacques Mézard, Annick Girardin, Marielle de Sarnez, Christophe Castaner.

Notons parmi eux, cinq vieux briscards qui n’expriment guère la volonté de renouveler les « visages » : Gérard Collomb, Jacques Mézard, Bayrou & Sarnez et notre Dany Boun version senior, Le Drihan. La révolution macronnienne atteint vite ses limites quand il s’agit de ménager de précieux alliés…

Viennent ensuite ceux qui ne sont pas présentés comme des politiques alors qu’ils le sont.

 

Nicolas Hulot : il n’a cessé de « flirter » avec le monde politique. Dès 2002, il devient un conseiller de Chirac. En 2007, il est avec les Verts pour préparer la présidentielles et renonce de peu à faire acte de candidature, ce qu’il fera en 2011, s’opposant à Eva Joly lors des primaires d’Europe Ecologie les Verts. En 2012, enfin, il est nommé par Hollande "envoyé spécial pour la protection de la planète". Une telle implication ne ferait pas de lui un politique ? Et son statut de personnalité internationale en matière de défense de l’environnement le cantonnerait au statut de citoyen « issu de la société civile » ?

 

Elisabeth Borne : au prétexte qu’elle est devenue pdg de la RATP, poste dévolu à des hauts-fonctionnaires engagés politiquement, elle est présentée comme une sorte de manager, ce qui a valeur du si prisé label société civile. En réalité, cette « corpsarde » de Polytechnique, ingénieure des Ponts & Chaussées, a passé le plus gros de sa carrière dans les cabinets ministériels : Education nationale avec Jack Lang puis Lionel Jospin, Premier Ministre (conseillère transports de Jospin en 1997) et enfin directrice de cabinet de Ségolène Royal (Ecologie) en 2014

 

Muriel Pénicaud :  Après un début de carrière comme fonctionnaire territoriale puis au ministère du travail où elle devient curieusement directrice sans être énarque ou avoir atteint par promotion interne, le grade d’administrateur civil. Elle entre ensuite au cabinet de Martine Aubry (1991-1993) et c’est ensuite une série de confortables pantouflages au sein de grands groupes : BSN Gervais Danone et Dassault, à des postes de direction et des sièges en divers conseils d’administration. Ce qui n’empêche pas Chirac de la nommer première présidente de l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (2006-2009) et membre du Haut conseil du dialogue social. Alors, le label société civile a de quoi faire sourire…

 

Mounir Mahjoubi Benjamin du gouvernement et (seul) Arabe de service. Militant du Parti socialiste de 2002 à 2015, il s’engage en 2006 dans la campagne numérique de Ségolène Royal, puis en 2012 auprès de François Hollande. Début 2016, ce dernier le nomme à la présidence du Conseil national du numérique (CNNum). Tout est dit. On nous parle de quelques start’up que Mahjoubi aurait créées. Mais rien n’est dit sur ce qu’elles sont devenues.

Ces précisions étant faites, le nombre de politiques, passe de onze à quinze. Examinons à présent les autres membres pour nous rendre compte à quel point leur label société civile est à relativiser.

 

Agnès Buzyn Professeur en médecine, épouse du directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, Agnès Buzyn a été nommée, en mars 2016, présidente du collège de la Haute Autorité de Santé, par François Hollande. Bien sûr, l’obtention d’une telle position est sans rapport avec une quelconque implication politique.

 

Françoise Nyssen 66 ans, propriétaire des Editions Acte Sud. Certes cette fille de millionnaire belge qui s’est payé le luxe de créer de toutes pièces sa maison d’Edition à Arles, n’a jamais eu d’activité politique connue. La presse ne tarit pas d’éloges sur sa nomination, confondant sans doute les auteurs édités chez Acte Sud avec sa patronne, pas du tout littéraire de formation ni de métier. Recrutée par son père pour assurer la gestion financière du groupe familial en duo avec son mari Jean-Paul Capitani, sa tasse de thé est plutôt l’école alternative qu’elle a créée : Le Domaine du Possible, fondée sur la méthode Steiner-Waldorf, pangermaniste raciste du début du XXe siècle, fondateur de l’anthroposophie, la doctrine ésotérique et mystique d’une mouvance sectaire bien connue comme telle par les associations de lutte contre les dérives du même nom. Accordons à cette bobo d’un genre spécial d’appartenir, par défaut, à la société civile… mais une société douteuse bien éloignée de celle du Français moyen dont on risque de reparler…

 

Jean-Michel Blanquer Directeur de l’ESSEC, c’est un haut-fonctionnaire de l’Education Nationale qui a été notamment recteur d’académie et directeur-adjoint du cabinet du ministre Gilles de Robien. Là aussi, n’ayant pas eu de mandat public électif, il bénéficie du label société civile selon les critères d’En Marche…une société civile « haut de gamme », très proche du pouvoir.

 

Frédérique Vidal Professeur des universités, une scientifique, elle est directrice de département de l’UNS, Université Nice Sophia Antipolis. Accordons-lui le label.

 

Laura Flessel Quintuple médaillée aux JO, cette escrimeuse est membre du Conseil économique, social et environnemental, et du Conseil national du sport. La presse en fait tout un plat comme si c’était la première fois que le portefeuille des sports était dévolu à un(e) champion(ne). De Maurice Herzog à David Douillet, en passant par Chantale Jouano, François Lamour, également champion d’escrime, Guy Drut ou Roger Bambuck, la liste des champions ayant occupé cette position est longue. Peut-on parler de société civile ? Le cas se discute.

 

Marlène Schiappa Ecrivaine, journaliste et créatrice du blog Maman Travaille, elle a commencé son implication en politique dès 2001 comme candidate aux municipales de Paris. En 2014, elle devient adjointe au maire de la ville du Mans, le PS Jean-Claude Boulard. En 2015, la secrétaire Laurence Rossignol la fait entrer à son cabinet, qu’elle quitte pour rejoindre la campagne présidentielle de Macron. De fait, nous avons affaire à une politique et non à une « société civile ».

 

Sophie Cluzel Responsable associative très impliquée dans la défense des enfants handicapés, étant mère d’une trisomique. Le label société civile est ici justifié.

 

Au total, nous avons donc en réalité, non pas onze mais seize membres du gouvernement au label « politique » et parmi les « société civile », qui passent de onze à six, deux sont des hauts fonctionnaires et une est membre du Conseil économique et social. Enfin, la totalité des vingt-deux ministres et secrétaires d’Etat appartient aux strates sociales supérieures. Pas une seule profession intermédiaire ou modeste n’y est représentée.

 

Dans un prochain article, j’aborderai, en deuxième partie de cette réflexion sur notre Président Soleil, la doctrine institutionnelle dont il n’a pas tardé à dessiner les contours. J’entends montrer que Macron, qui affiche sa volonté de concentrer le pouvoir exécutif en sa personne, ceci au détriment du pouvoir législatif, s’inspire, comme il se dit, du modèle gaullien. Gaullien et pas gaulliste. En effet, si la Constitution de la Vème République résulte bien des réflexions des partisans du général et de la référence que fut le discours de Bayeux de 1946, la pratique qu’en fit De Gaulle fut toute personnelle.

Cette mise au point sur les vraies fausses racines de la Ve République sera l’occasion de faire tomber un autre « comme si » à propos du rôle véritable des ministres.

 


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