Macron, ou le « hold-up » politique du siècle

par Fergus
mardi 6 juin 2017

En sport, on parle de « hold-up » lorsqu’une victoire revient à une équipe ou un joueur qui n’avait en théorie aucune chance de l’emporter. Or, après avoir gagné l’élection présidentielle, Emmanuel Macron – inconnu des Français il y a 3 ans et sans parti il y a 14 mois ! – est en passe de disposer à l’Assemblée Nationale d’une très large majorité. Du jamais vu sous la Ve République...

Après qu’Emmanuel Macron ait gagné, lors des scrutins des 23 avril et 7 mai, une élection présidentielle réputée quelques mois plus tôt « imperdable » par Les Républicains, voilà le nouveau chef de l’État en passe de réunir sous les couleurs de son parti La république En Marche une très large majorité de députés au service de ses projets politiques. Une situation tellement impensable à l’aube de cette année 2017 que l’on peut qualifier cette probable et très large majorité absolue de « chambre introuvable », pour reprendre l’expression employée par Louis XVIII pour désigner le parlement d’août 1815 constitué, contre toute attente, d’une majorité d’élus « ultras » dévoués à la cause de la monarchie. C’est donc bien d’un « hold-up » politique qu’il s’agit dans la mesure où, pour légitimes que soient les résultats des deux rendez-vous électoraux, personne n’aurait misé le moindre centime sur un tel scénario il y a 6 mois

Comment en est-on arrivé là ? Emmanuel Macron est, à l’évidence, un produit du libéralisme décomplexé soutenu par les puissances de l’oligarchie et servi par un marketing parfaitement huilé. Mais il est absurde d’affirmer qu’il a été lancé dans l’aventure politique dans l’optique de devenir président de la République dès 2017. Cela n’aurait eu aucun sens, et c’est plutôt un investissement des grands groupes financiers et industriels pour l’avenir qu’il faut voir dans ce personnage au look de premier de la classe version Harvard ou Yale. Car Emmanuel Macron était, selon toute probabilité, « programmé » pour 2022. Dès lors, le lancement de son parti le 6 avril 2016 puis sa campagne présidentielle ne visaient – dans un contexte où la victoire de LR était acquise du fait de la déroute annoncée du PS – qu’à lui donner une assise électorale solide pour lancer LA véritable offensive élyséenne lors du prochain rendez-vous présidentiel dans 5 ans, après qu’Alain Juppé ait effectué son unique mandat.

Les circonstances imprévisibles de cette campagne atypique ont fait le reste en écartant de la route du pouvoir tous les prétendants a priori destinés à se disputer la présidence : Qui aurait pu prévoir l’élimination de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé lors de la primaire de la droite et du centre ? Qui aurait pu prévoir la piteuse élimination de Manuel Valls au profit de Benoît Hamon lors de celle de la gauche socialiste et radicale ? Qui aurait pu prévoir la révélation dévastatrice de l’affaire Fillon ? Qui, surtout, aurait pu prévoir l’entêtement suicidaire des caciques Républicains à maintenir la candidature du sulfureux Sarthois alors que le retour d’Alain Juppé aurait replacé le candidat LR en situation de grand favori du scrutin ? Même un professionnel des fictions télévisées pas très regardant sur la crédibilité n’aurait jamais osé écrire un tel scénario ! Ajoutons à cela que Juppé à la place de Fillon, Macron n’aurait jamais dépassé 10 % des suffrages, eu égard à un positionnement libéral très proche en matière de projet !

Un clivage dépassé

À ces faits se sont en outre ajoutés deux éléments qui, à n’en pas douter, ont joué un rôle prépondérant dans la réussite présidentielle d’Emmanuel Macron : D’une part, le rejet d’un nombre croissant d’électeurs pour les caciques des vieux partis de gouvernement qui les ont si souvent trompés au cours des dernières décennies en tournant délibérément le dos à leurs engagements une fois au pouvoir. D’autre part, l’appétence pour un positionnement « ni de gauche ni de droite » qui est apparu à beaucoup de Français comme une synthèse de la réalité ressentie d’un clivage partisan dépassé, car devenu artificiel, entre des socialistes et des républicains positionnés peu ou prou sur une même ligne libérale privilégiant le service des puissants au détriment de celui des classes populaires.

Présider la République française est une chose, pouvoir la gouverner en s’appuyant sur une majorité de parlementaires en est une autre, et là aussi le défi était a priori redoutable à relever pour ce président à la tête d’un parti sans référence ni assises, composé principalement de novices mêlés à des transfuges du parti socialiste et de l’aile modérée de la droite. Dès lors, obtenir une majorité, a fortiori absolue, relevait de la mission impossible semblaient dire d'éminents analystes politiques au soir et au lendemain du 7 mai. Impossible ? Apparemment non si l’on en croit les différentes enquêtes publiées à ce jour. Toutes montrent un net effet d’amplification du score réalisé par Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle. Avec des estimations allant de 28,5 à 31 %, LREM se situe effectivement entre 4,5 et 7 points au-dessus du résultat du candidat En Marche le 23 avril, et entre 7 et 9 points devant Les Républicains ! On savait les Français légitimistes, ils le démontrent une fois de plus : malgré le manque d’expérience du nouveau président et l’inconnue d’une majorité sans repères, ils affichent une volonté de cohérence en s’apprêtant bel et bien à donner au chef de l’État les moyens législatifs de la politique qu’il entend conduire.

À cet égard, l’enquête publiée le vendredi 2 juin et réalisée conjointement par l’Ipsos et le Cevipof (lien) est d’autant plus impressionnante qu’elle s’appuie sur un échantillon de plus de 8 700 personnes certaines d’aller voter, soit 4 à 6 fois plus que les enquêtes habituelles. Avec un nombre de députés LREM compris dans une fourchette allant de 395 à 425 élus, c’est vers un raz-de marée macroniste que l’on semble aller si l’on en croit cette étude, et cela au détriment d’anciens partis de gouvernement laminés (LR et PS) et de partis populaires (FI et FN) en net recul par rapport à leurs attentes. À noter que cette projection a été réalisée en croisant les intentions de vote partisanes au niveau national avec les résultats enregistrés au 1er tour de la présidentielle dans chaque circonscription, le tout pondéré par les conditions spécifiques de qualification au 2e tour des élections législatives*.

Des partis minoritaires laminés

Comment expliquer un tel chamboulement de l’Assemblée Nationale au profit d’un parti né il y a seulement un peu plus d’un an ? Par un phénomène simple : la volonté de cohérence des Français conjuguée au rejet des pratiques politiques à l’ancienne. Il en résulte que dans la grande majorité des circonscriptions, les candidats LREM, profitant pleinement de l’effet d’amplification naturelle du score présidentiel, devraient se qualifier pour le 2e tour. Dès lors, grâce à leur positionnement identifié comme centriste, ces candidats bénéficieront de gros reports de voix venues : d’un côté, des électeurs de droite qui ne veulent pas d’un élu de gauche ; de l’autre, des électeurs de gauche qui ne veulent pas d’un député LR-UDI. Quant aux candidats de la France Insoumise et du Front National, ils devraient payer dans ce contexte très favorable à LREM le fait que l’abstention limitera fortement le nombre des triangulaires*, beaucoup plus favorables à leurs couleurs que des duels du fait de la dispersion des voix. Pour mémoire, il y avait eu 495 duels en 2012, et seulement 82 triangulaires et quadrangulaires.

Entre la présidentielle et les législatives, c’est donc bien un « hold-up » au sens sportif du terme qui devrait être finalisé au soir du 2e tour des législatives le 18 juin. Avec pour conséquence un traitement inique des partis minoritaires comme je l’ai écrit le 29 mai dans Législatives : vers un déni de démocratie. Or, l’étude Ipsos-Cevipof évoquée ci-dessus montre que ce déni pourrait être encore plus prononcé qu’on pouvait le présumer. Il suffit pour s’en convaincre de comparer la moyenne des sièges attribués dans cette enquête à l’alliance LREM-Modem, soit 410, au total des moyennes de sièges attribués aux différents partis : moins de 170 pour toutes les autres formations, du FN à la FI et au PC en passant par LR et l’UDI, le PS et ses alliés, sans oublier quelques indépendants ! Jamais aucun président n’a disposé d’une telle assise parlementaire depuis De Gaulle en 1958 !

Encore faudrait-il, du côté des macronistes, ne pas vendre la peau de l’opposition avant que les Français n’aient voté les 11 et 18 juin. Nul ne sait en effet si les projections Ipsos-Cevipof seront confirmées ou non dans les urnes. À cet égard, les inquiétudes nées dans l’opinion des révélations sur le contenu des ordonnances relatives à la future Loi Travail pourraient quelque peu tempérer l’enthousiasme en faveur de La République En Marche. Mais sans doute pas au point d’empêcher Emmanuel Macron de sabler le champagne au soir du 2e tour des législatives. À ce jour, les jeux ne sont toutefois pas faits, et il appartient encore à chaque électeur de peser sur les choix du gouvernement selon sa sensibilité.

Pour se qualifier au 2e tour des législatives, il est nécessaire d’avoir obtenu au moins 12,5 % des inscrits du 1er tour. Cela signifie qu’il faudra, pour se qualifier, avoir réussi un score de 1er tour situé entre 18 et 23 % selon les circonscriptions, compte tenu du taux local d’abstention.


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