Macron toujours plus loin dans l’Absurdistan autoritaire

par Laurent Herblay
samedi 17 juillet 2021

La majorité des médias a applaudi l’intervention du président lundi soir, et son « acte d’autorité ». Mais, derrière le débat parfois extrêmement vif et excessif, entre soutiens et opposants au passe sanitaire, beaucoup de critiques posées se sont exprimées. En cause : les nombreuses aberrations pratiques de ces annonces, ainsi que la philosophie très autoritaire de la gestion de crise de l’Elysée. Ne sommes-nous pas entrés dans une nouvelle phase de cet Absurdistan autoritaire dénoncé outre-Rhin ?

 

Illibéralisme bureaucratique et arbitraire

La première chose frappante dans les annonces de Macron, c’est à quel point elles étaient arbitraires et parfois même impraticables, imposant de nombreux rétropédalages dès le lendemain. Mais à quoi bon prendre autant de temps pour décider, et faire une allocation enregistrée ,et sans contradiction, si c’est pour ne pas s’être assuré du caractère applicable de ce que l’on dit ? S’exprimant de la sorte moins d’une fois tous les deux mois, le président devrait mieux se préparer pour éviter le festival de contre-annonces dès le lendemain, qui donne un sentiment d’amateurisme assez effarant. Il n’aura pas fallu 24 heures pour réaliser que les délais annoncés étaient impraticables pour des adolescents, qui n’ont accès à la vaccination que depuis mi-juin, et repousser pour eux au 30 août la mise en place du passe sanitaire. L’insouciance à l’égart des contraintes de l’organisation de la vie des Français est assez révoltante.

Comme le pointe bien Jack Dion, dans Marianne, il est aussi assez effarant d’apprendre le lendemain que le délai d’obtention du passe est réduit de deux à une semaine après la dernière injection, distinguant notre pays de tous les autres pays européens. En effet, entre le délai pour obtenir une vaccination, celui prévu avant la deuxième, et les deux semaines de carence après la dernière piqure, les dates annoncées pour l’usage du passe sanitaire, le 21 juillet pour les établissements accueillant plus de 50 personnes, et début août pour les transports, cafés et restaurants, viennent beaucoup trop tôt. Une personne qui n’avait pas encore été vaccinée le 12 juillet ne peut pas avoir son passe avant la mi-août au mieux ! En raccourcissant le délai pour obtenir son passe après la dernière vaccination, le gouvernement bidouille une solution qui permet de réduire le délai d’une semaine, mais ce ne ne sera pas valable ailleurs

En catastrophe, le gouvernement a également ajouté une exception pour les personnels des établissements recevant du public, qui auront eux-aussi jusqu’au 30 août pour obtenir leur passe. Cet été, des personnes qui n’ont pas leur passe pourraient donc théoriquement exiger de leurs clients la présentation du passe ! La France est de nouveau un Aburdistan autoritaire, pour reprendre la critique de Die Zeit à l’automne dernier. Pour couronner le tout, il est assez étrange d’exonérer les lieux de culte du nouveau dispositif… L’arbitraire de l’exécutif est d’autant plus révoltant que le 30 avril, Macron affirmait encore que « le passe sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours », promesse confirmée par la députée Yaël Braun-Pivet le 11 mai, pour qui « le passe sanitaire ne pourra pas concerner les actes du quotidien ».

Plus globalement, se pose la question de la nécessité de ces nouvelles restrictions et obligations. Certes, le variant delta se répand à grande vitesse, et semble plus contagieux, mais la Grande-Bretagne, où le nombre de cas a été multiplié par 15 en moins de deux mois, garde son calme, et après avoir repoussé le jour dit de la libération, a fini par le confirmer pour lundi prochain, devant l’impact limité du variant sur les hospitalisations. Affirmer que le passe sanitaire est la seule alternative à un nouveau confinement ne repose sur rien, à date : avec une très large majorité de la population à risque aujourd’hui vaccinée, le risque n’est-il pas très limité ? Ici, on peut se demander si l’Elysée n’a pas fait un choix uniquement politicien, écoutant seulement les sondages qui indiquent qu’une part importante de la population est favorable à la vaccination obligatoire des soignants ou à l’extension très large du passe sanitaire.

Comme le dit Arnaud Benedetti, Macron exploite la crise sanitaire politiquement. Le climat de peur et de crise provoque un réflexe légitimiste favorable au pouvoir en place et permet aussi d’occulter des sujets qui pourraient le mettre en difficulté. En outre, parce qu’une majorité de Français, dans ce climat, semblent plutôt favorables à des mesures autoritaires, il peut tenter d’en faire son socle électoral pour 2022, d’autant plus que ses électeurs sont largement sur cette ligne. La « guerre civile » entre certains partisans et opposants du passe vaccinal lui est favorable car celui dont la majorité n’a attiré que 3% des inscrits aux régionales peut alors espérer ralier à son panache autoritaire une cohorte d’électeurs bien plus large. Et plus le débat est vif, plus sa position de chef de la ligne autoritaire se renforce, expliquant sans doute son choix d’une ligne dure, dont le principal intérêt n’est pas sanitaire, mais bien électoral.

Car, comme le rapporte une scientifique dans Alternatives Economiques, « les réticences face au vaccin sont socialement construites ». Elle rapportait par exemple que le taux de double vaccination fin mai était de 65% pour les médecins, contre 47% pour les infirmiers et 40% pour les aides-soignants. Sur les réseaux sociaux, une autre scientifique rapportait la corrélation très forte entre le niveau de revenus et le taux de vaccination. Ce faisant, il faut bien constater qu’il y a une dimension politique à se vacciner et accepter les innombrables contraintes mises en place par le pouvoir. Plutôt que de réduire les critiques à du complotisme imbécile, mieux vaudrait interroger cette nouvelle fracture sociale, où une partie importante des classes populaires en vient à refuser par principe toute injonction venue du haut. Plus de modestie du prétendu président-épidémiologiste, très vaccino-sceptique jusqu’en décembre, moins de contradictions, et plus de confiance auraient probablement permis une campagne de vaccination plus sereine.

Les réticences actuelles à la vaccination sont largement le produit de notre histoire récente, des scandales alimentaires et médicaux trop nombreux, qui cassent la confiance entre le peuple et ses dirigeants. Et il faut reconnaître que les trop grandes variations du discours de l’exécutif depuis le début de la crise, ou le refus extraordinaire d’admettre certaines réalités (le fiasco vaccinal européen ou le fiasco des masques) ne contribuent pas à créer un climat de confiance. Une partie des élites, notamment macronistes, se complait dans un discours de prétendus experts voulant imposer la raison à un peuple stupide alors que leur expertise a été totalement infirmée par les derniers mois. Certains ne semblent même plus vouloir convaincre, se contentant d’arguments extraordinairement exagérés pour défendre la vaccination obligatoire ou l’extension du passe sanitaire. Mais ce faisant, ils continuent à nourrir la défiance.

Le Figaro a donné une vraie place à des critiques réfléchies de ces mesures, qui montrent que la réduction fréquente de l’opposition au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale à des complotistes anti-vaccins dénonçant une dictature, est totalement abusive. Mathieu Slama y voit « une entrée dans une société répressive », dénonce « l’état d’exception permanent », « la bureaucratisation à l’extrême des rapports sociaux » et « la création de deux catégories de citoyens ». Maxime Tandonnet évoque « le retour de l’Absurdistan » et souligne que « la France est en train de rompre avec les principes fondamentaux d’égalité et de liberté sous l’impact de la panique » et parle de « nouvelle fracture ». Enfin, François-Xavier Bellamy y voit « une remise en cause profonde et inédite de notre modèle de société » et s’inquiète que « l’accès à un espace public (soit) différencié selon nos données de santé  », dénonçant la « caricature de ceux qui osent s’en inquiéter ». Laure Mandeville, journaliste du Figaro qui a fait une couverture aussi approfondie qu’équilibrée de la présidentielle étatsunienne, s’inquiète qu’ « au nom de la santé et la sécurité, le ‘doux’ despote dont parlait Tocqueville introduit des mesures privatives de libertés incroyables  ».

Plus globalement, les choix de Macron pose un vrai problème de société, tant il prend le parti de l’autoritarisme, lui qui était sensé représenter les idéaux de liberté. En fait, cette crise sanitaire le fait apparaître comme le dirigeant de l’UE le plus autoritaire, de nos incroyables attestations, qu’aucun autre pays n’a mis en place, aux restrictions les plus fortes au mouvement des citoyens, avec le couvre-feu le plus dur, en passant par l’utilisation la plus large du passe sanitaire sur le continent. Et même si le contexte est très différent, cela fait penser à la citation de Franklin, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ». Il est frappant de constater à quel point Macron prend si souvent le parti de la contrainte, de l’interdiction, et de la peur au lieu de chercher à parler à l’intelligence des Français. Et ici, le passe sanitaire en devient d’autant plus inquiétant qu’il ressemble un peu trop aux outils déployé par la Chine pour surveiller sa population. Crainte que la promotion du préfet de Paris Didier Lallement au grade de commandeur de la légion d’honneur mercredi renforce…

C’est un goût très amer que laisse cette intervention du 12 juillet. Entre un amateurisme totalement coupé des contraintes de la vie des Français, qui a imposé de nouveaux rétropédalages, et un autoritarisme qui interroge de plus en plus nos voisins, en Suisse, après l’Allemagne, je crois que les sondages se trompent encore quand ils indiquent un soutien aux mesures de Macron. Il lui sera difficile de se draper dans le drapeau de la liberté en 2022, tant il l’aura foulé aux pieds pendant son mandat.


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