Marine Le Pen est-elle aussi « méchante » que son père ?

par samuel_
lundi 21 mars 2011

 Il y a un mois ou deux, Marine Le Pen prononçait à Tours son premier discours comme présidente du Front National. Sur le pupitre devant elle, on pouvait voir la flamme bleue-blanc-rouge qui sert d'emblème au parti. Cette flamme qui dans beaucoup d'imaginaires, est une bien méchante flamme, qui rêve de devenir un grand incendie de « haine » et de « racisme », comme il y en a déjà eu dans l'Histoire.

 Pour le croire, il fallait donc entendre la fille de son père, énoncer les trois mots, « liberté, égalité, fraternité », d'une voix se voulant assurée, mais légèrement tremblante, surtout peut-être en prononçant le mot « fraternité ».

 Il fallait entendre aussi le contenu de son discours. L'importance de l'État, qui doit protéger d'une concurrence à armes trop inégales, sur le coût du travail. Et qui doit jouer un rôle de providence, en offrant des services publics de qualité. L'importance de la souveraineté populaire, entravée aujourd'hui par l'institution européenne, qui n'est pas démocratique, et à laquelle tant de pouvoirs auparavant nationaux ont été confiés. Souveraineté populaire entravée aussi par une institution française plutôt démocratique, mais qui ne l'est peut-être pas parfaitement. L'importance de l'idée de Nation, comme principe au sein d'une même société, de fraternité et de culture commune. Et bien sûr pour clore le discours, l'amour revendiqué de la France. En un mot le glaive, la couronne et la crosse (qu'on peut voir comme les symboles de la force collective, de la souveraineté, et de la culture commune, sur la représentation imagée du « corps social » figurant en première page de l'édition originale du Léviathan de Hobbes).




La représentation du « corps social » dans l'édition originale du Léviathan de Hobbes.


 Toutes ces choses qui se retrouvent fréquemment dans les pensées politiques souverainistes, de tendance socialiste ou gaulliste, comme celles de Mélenchon, Hamon, Chevènement ou Dupont-Aignan. Toutes ces choses que par contre les deux partis dominants ont largement abandonnées, à part parfois dans leurs discours au moment des élections, comme Chirac et sa campagne de 1995 centrée sur la "fracture sociale", Sarkozy clôturant sa campagne de 2007 en lisant des discours à tonalité gaulliste écrits par Guaino, et leur promettant comme le loup montrant patte blanche, de les "protéger", ou le PS qui promet aujourd'hui aux naïfs qui voudront bien le croire, de "réindustrialiser" la France... sans protéger son industrie de la concurrence sur le coût du travail avec les pays émergents, et sans modifier la politique monétaire restrictive menée par la Banque Centrale Européenne.

 Il y avait donc de quoi perturber ceux qui aiment ces idées souverainistes, mais qui ne peuvent voir la flamme du Front National, sans ressentir mécaniquement le frisson que l'on ressent devant tout ce qui évoque la haine fanatique, comme une croix gammée ou un masque du Ku Klux Klan.

 Marine Le Pen est-elle encore au service du « Diable » ? On pouvait d'autant plus se le demander, que l'oratrice est restée très floue sur la question par laquelle le Front National bascule du « côté obscur ». Peut-on être pleinement français, au même titre que n'importe quel autre français, tout en ayant des origines maghrébines ou africaines ? Marine Le Pen n'a pas répondu clairement à la question, et elle a même laissé entendre de manière très floue, que sa réponse à elle était peut-être un « oui ».

 Mais ce « oui » est trop flou et hypothétique, pour sortir clairement Marine Le Pen du camp du « Mal ». Non seulement il est flou et hypothétique dans ses discours, mais en plus elle ne l'a pas inscrit clairement dans la ligne de son parti, et elle n'a pas exclu de ce parti tous ceux, cadres ou simples militants, qui ne sont pas clairement d'accord avec ce « oui ».

 Si Marine Le Pen transformait de cette manière son discours et son parti, il deviendrait injuste de la traiter comme une « méchante sorcière », et peut-être même qu'elle pourrait être remerciée d'avoir su donner une traduction qui ne parjure pas la parole de la France, aux souffrances, colères, aspirations, de ceux qui votent Front National.

 Mais on pourrait encore être en désaccord avec Marine Le Pen, comme avec tout autre dirigeant politique « normal », sur la question de la culture française. On peut voir la culture française comme quelque chose de figé, un ensemble de valeurs, de manières d'être, de références communes, stable et venu d'en haut, auquel les français d'origine étrangère récente devraient peu à peu se conformer. Ou bien, on peut voir la culture française comme une œuvre collective en perpétuel renouvellement. Chaque auteur de cette fresque à 60 millions d'auteurs devant accepter que d'autres mains que la sienne y mettent des choses qu'il ne contrôle pas, pourvu que ces choses soient mises dans un esprit de communion. On peut accorder une plus ou moins grande importance à l'histoire millénaire du « corps social » français, et à la mémoire que celui-ci devrait avoir de cette histoire, et à l'héritage qu'il devrait conserver, et à la contribution que devrait avoir sa mémoire dans l'idée qu'il a de lui-même. Sur ces questions Marine Le Pen semble opter, comme Éric Zemmour, pour une idée figée et très passéiste de la France, qui risque de rendre bien difficile et peut-être excessivement violente, la construction d'une identité commune pour tous les français d'aujourd'hui.


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