Marine Le Pen et la tentation du coup d’État
par Fergus
lundi 18 avril 2022
Il y a au moins un point sur lequel Marine Le Pen a été claire jusque-là dans son projet présidentiel : sa volonté d’institutionnaliser la « préférence nationale » par le biais d’un « projet de loi référendaire ». Le problème est qu’en l’état actuel du Parlement, la candidate du Rassemblement national n’a pas l’ombre d’une chance de faire voter ce texte attentatoire aux valeurs de notre pays. Dès lors, soit elle tente de leurrer son électorat en flattant ses passions au détriment de la raison, soit elle masque une tentation de coup d’État…
La Constitution est le garant de l’exercice démocratique de notre vie politique. Suprême référence de notre État de droit, elle ne doit être amendée qu’avec la plus grande prudence et dans le souci constant du respect – pour le présent et le futur – des rapports entre les gouvernants et les personnes, citoyennes françaises ou pas, qui vivent en France. À cet égard, n’oublions jamais les paroles pleines de sagesse du grand Montesquieu qui, dans les Lettres persanes, affirme à propos des lois fondamentales qu’« il ne faut y toucher que d’une main tremblante ».
Or, c’est à ces fondamentaux que Marine Le Pen entend s’attaquer en introduisant le concept discriminatoire de « préférence nationale » dans la Constitution française. Une réforme qui, outre le déni des valeurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 quelle induirait de facto, violerait plusieurs articles de la Constitution de 1958 en vigueur, à commencer par les dispositions du préambule de 1946 sur les rapports de l’État aux personnes vivant légalement sur le territoire français.
Au-delà des questions d’éthique et de morale que poserait une telle réforme – en rupture avec le Droit français constant depuis la Révolution ! –, le projet de Marine Le Pen est confronté à un problème d’ordre juridique. Pour mener à son terme un processus référendaire introduisant la « préférence nationale » dans la Constitution, il conviendrait en effet que la présidente élue (sous réserve d’un succès le 24 avril) procède à une révision préalable de la Constitution afin d’autoriser le chef de l’État à saisir directement le peuple par voie référendaire sur tous les sujets, y compris constitutionnels.
Pour parvenir à cette révision préalable, Marine Le Pen devrait soumettre simultanément le texte de cette réforme aux deux chambres du Parlement, autrement dit l’Assemblée nationale et le Sénat, conformément aux dispositions de l’article 89. Un texte qui, en l’état actuel du droit constitutionnel, devrait être approuvé dans les mêmes termes, à la virgule près, par les deux chambres pour être soumis au vote des Français par voie référendaire*. Et cela sans qu’il soit possible de tenir une Commission mixte paritaire de conciliation comme cela existe pour les textes législatifs ordinaires.
En réalité, Marine Le Pen sait parfaitement qu’il lui serait impossible de mener à bien une telle démarche. Sans même préjuger des résultats du scrutin législatif des 12 et 19 juin – à l’issue duquel l’émergence d’une majorité d’élus RN est hautement improbable –, la présidente se heurterait en effet à coup sûr à un vote négatif du Sénat, Les Républicains et leurs alliés centristes disposant actuellement – et au minimum jusqu’en septembre 2023 – de la majorité à la « Chambre haute » ; sans compter le soutien des sénateurs de gauche qui, compte tenu de l’enjeu, voteraient eux aussi le rejet d’un tel texte. Dès lors, Marine Le Pen devrait abandonner son projet de révision de la Constitution.
La duplicité de la candidate du RN
Qu’à cela ne tienne, la candidate du RN et ses porte-parole affirment qu’elle passerait outre cette difficulté en n’activant pas l’article 89 mais en utilisant l’article 11 qui permet d’engager directement un processus référendaire en contournant le Parlement. Or, le Titre XVI de la Constitution, intitulé « De la révision » est on ne peut plus clair : il ne comporte que le seul article 89 ! Cela signifie que l’article 11, utilisable dans de nombreux domaines, ne peut en aucun cas l’être à des fins de révision de la Constitution. Marine Le Pen le sait parfaitement. La candidate du RN insiste pourtant : à deux reprises dans le passé, souligne-t-elle, il a été fait usage de l’article 11 pour proposer au référendum des textes de nature constitutionnelle. C’est parfaitement exact, mais cela a été fait en toute illégitimité, et au prix de violents remous sociaux et politiques, par le président en exercice : le général De Gaulle.
La première fois en octobre 1962 afin d’instaurer le recours au suffrage universel pour élire le président de la République. Un coup de force dénoncé, dans un climat de très vive tension et d’intenses polémiques, par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. On a même parlé alors de « forfaiture » et menacé le chef de l’État de prison. De Gaulle n’a réussi dans son entreprise qu’en menaçant de démissionner. La seconde fois en avril 1969 sur un projet de régionalisation et de réforme du Sénat. Cette fois-là, De Gaulle a mis dès le départ sa démission dans la balance en transformant de ce fait ce référendum, tout aussi illégitime que le précédent, en plébiscite personnel. Mal lui en a pris : battu, il a quitté ses fonctions pour se retirer à Colombey.
Ces deux épisodes ont montré que l’on ne joue pas sans danger avec la lecture de la Constitution. Et cela malgré le fait que les deux projets soumis par De Gaulle à référendum ne remettaient pas en cause les valeurs de la République. Tel ne serait pas le cas avec le projet de Marine Le Pen, tenante de la « préférence nationale », de l’abrogation du « droit du sol », et de la discrimination des ayants droit aux prestations en fonction de leurs origines. Nul doute à ce propos que le Conseil constitutionnel, en se fondant sur les textes en vigueur et sur un renforcement de la jurisprudence en la matière au tournant des années 2000, serait vent debout contre ce projet. Et il ne fait aucun doute qu’il serait très largement soutenu par les autres institutions de notre pays face à un acte qui relèverait bel et bien d’une « forfaiture ».
Ajoutons à cela que, même élue par le suffrage populaire à la présidence de la République, Marine Le Pen – dénuée de toute expérience exécutive – ne pourrait en aucun cas se prévaloir de la grandeur historique et de la dimension politique d’un personnage comme De Gaulle pour tenter, à son tour, de violer la Constitution au profit de son idéologie obscurantiste. C’est pourquoi l’on peut, en résumé, affirmer que l’on fait face, à ce moment de la campagne, à une alternative simple caractérisée par une évidente duplicité : Soit Marine Le Pen tente de leurrer son électorat en lui faisant prendre ses vessies électorales pour des lanternes démocratiques. Soit elle avance masquée et projette de mettre en œuvre un coup d’État institutionnel pour parvenir à ses fins. Une tentation classique des partis d’extrême-droite !
* Rappelons que les révisions constitutionnelles peuvent être validées par une saisine référendaire du peuple français, mais également par une saisine des deux assemblées réunies en Congrès, le texte devant alors être validé par les 3/5e des élus.