Medef, Montaigne, Ifrap : leur inquiétante stratégie du choc (2/2)

par Laurent Herblay
vendredi 5 juin 2020

S’il y a quelque chose de surréaliste à voir les pires tenants du système faire des propositions aussi injustes socialement que dangereuses économiquement, il ne faut sous-estimer leur impact. Parce que ces mesures risquent d’être à l’agenda de Macron, il faut veiller à bien décrypter leurs arguments afin de mieux tenter de les mettre en échec en démontrant leur nocivité.

 

Un aller sans retour vers la situation étasunienne
 
Malheureusement, il faut reconnaître que le discours de l’institut Montaigne et de l’ifrap n’est pas totalement malhabile. Leur premier argument est le besoin de travailler plus. C’est assez malin après une période de confinement, où plus de douze millions de Français ont été au chômage partiel. Le thème d’un rattrapage qui appellerait un effort de tous peut sembler logique. En outre, devant les difficultés des entreprises, du fait de l’effondrement de certains marchés, il est assez logique d’imaginer que les salariés pourraient être amenés à faire des efforts pour leur permettre de redémarrer. Parce que le confinement a provoqué une crise économique extrêmement violente, cela nourrit des discours de régression sociale pour en compenser les effets. Ce raisonnement est encore renforcé par les reportages sur les difficultés des entreprises à faire face aux coûts supplémentaires liés à la crise sanitaire.
 
Même si dans quelques exceptions, cela pourrait avoir du sens, et encore, en fonction des conditions, ce discours est très majoritairement faux. D’abord, il ne faut pas oublier que l’Etat, par le dispositif de chômage partiel, coûteux et imparfait, mais approprié, à condition de chasser les abus, compense une partie de la baisse d’activité des entreprises en prenant en charge les salariés qui n’ont plus d’activité. Ensuite, travailler plus ne sera pas forcément nécessaire, car dans bien des domaines, l’activité perdue ne sera pas rattrapée : les repas au restaurant qui n’ont pas été pris en avril et en mai sont malheureusement perdus à jamais. S’il ne s’agit pas de produire davantage que la normale après le confinement, pourquoi faudrait-il demander plus d’heures de travail aux salariés ? Enfin, alors que le chômage monte, n’y-a-t-il pas le risque d’accélérer les destructions d’emplois en augmentant la durée du temps de travail ?
 
Plus globalement, même s’il peut paraître juste de demander une contribution aux salariés, cette logique est un cercle vicieux si elle s’applique largement. En effet, si un plus petit groupe de salariés parvient à maintenir son salaire en travaillant plus longuement, alors la demande globale baissera, ce qui enfoncera l’économie dans la récession. En outre, il ne faut pas oublier que les profits des entreprises sont au plus haut : il y a donc globalement de la marge pour amortir la crise et les entreprises ont également intérêt à ne pas saborder leur demande. Bien sûr, il y a des cas particuliers, des activités moins rentables, d’autres davantage touchées par la crise et certaines entreprises plus fragiles. Là, il revient à l’Etat de bien cibler les dispositifs pour éviter les effets d’aubaine et apporter son concours financier à ceux qui en ont vraiment besoin. On peut craindre que l’aide n’arrive pas toujours là où il faut.
 
Les propositions de l’ifrap sont proprement ridicules, pour ne pas dire plus, d’un point de vue financier. Mais comment peut-on demander aujourd’hui une aide sans limite pour les entreprise, des baisses massives de la fiscalité et plus de contraintes budgétaires ? Où l’ifrap pourrait trouver les dizaines de milliards nécessaires pour appliquer ses idées, alors même que bien des services de l’Etat souffrent d’un manque de moyens, comme le montre la situation de l’hôpital, malheureusement guère différente de celle de l’école ou la police ? Jamais l’ifrap ne dit souhaiter réduire les retraites, le nombre de lits d’hopitaux ou le nombre de profs… Ce programme est de la pure pensée magique, totalement déconnectée de la réalité. En réalité, les propositions de l’ifrap sont un simple agenda catégoriel, celui des plus riches, et encore, uniquement ceux qui ne se soucient pas le moins du monde de l’intérêt général et n’ont que faire que les soignants et les professeurs soient si mal payés. Ce n’est qu’un agenda d’oligarques égoïstes.
 
Ce que souhaitent ces gens, c’est continuer à pousser notre pays dans la direction complètement folle prise par les Etats-Unis, un pays où la régression sociale a produit une régression de la condition humaine, faisant gagner un « prix Nobel d’économie » à Angus Deaton, qui a théorisé les dégâts humains monstrueux de ce système économique, les « morts de désespoir ». Malheureusement, les arguments de ces gens s’appuient aussi sur des faits non mis en perspective (hausse de la dette publique, niveau de la dépense publique) qui leur permettent de donner un minimum de crédit à leurs histoires. Et en s’appuyant sur la gestion critiquable de la crise sanitaire par l’Etat et les difficultés de nombreuses entreprises après le confinement, une énième version de la politique de l’offre a une opportunité. Ici, il faudra rappeler le bilan calamiteux de cette politique sous Hollande (baisse des taxes et démantèlement du droit du travail), au coût budgétaire et social extraordinairement élevé et aux effets économiques totalement dérisoires.
 
Il est donc essentiel de continuer à décrypter le discours de ces gens-là pour démonter les incohérences et les zones d’ombre de leurs discours. La politique de l’offre demain, ce serait une nouvelle baisse de toutes les retraites (préparée par la réforme Macron), moins de moyens pour l’hôpital et une poursuite de la chute de notre Education Nationale. La politique de l’offre est une absurdité dans un marché unique où le SMIC est cinq fois plus bas que le nôtre, à moins de vouloir la convergence là aussi.

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