Mélenchon et l’Iran : la grotesque manipulation de l’extrême-droite
par Alan C.
lundi 20 février 2012
Mélenchon accusé d'impérialisme, d'atlantisme et de sionisme par des groupuscules d'extrême-droite : la ficelle est un peu grosse.
Il y a quelque jour, face aux micros de Radio France, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle, tenait les propos suivants sur la situation politique de l'Iran :
« [à propos d’un possible frappe nucléaire israélienne sur l’Iran] Je ne sais pas, je suis pas lié aux services de renseignement israéliens. Ce n’est pas acceptable. Mais d’un autre côté il faut aussi entendre quelque chose : ce qu'a dit M. Ahmadinejad n'est pas acceptable. C'est la première fois qu'on voit un pays, et pourtant il y en a des pays qui sont en tension entre eux, certains armés de l’arme nucléaire, comme c’est le cas pour le Pakistan et l’Inde. Mais à aucun moment le Pakistan ou l’Inde ne se sont armés en disant ‘j’ai l’intention de détruire mon voisin’. Là, c’est la première fois qu’on voit un pays dire : ‘si on a une bombe, on ira taper sur Israël’. Personne ne peut accepter une chose pareille, que sur le plan international, quelqu'un décide qu'il va détruire (et à coup de bombes atomiques) son voisin [...]. Moi j'ai pas peur de le dire : un régime théocratique est toujours un danger pour le reste de l'humanité. Partout où on met des religieux au pouvoir, il faut s’attendre à des abominations, eh bien voici que l’Iran confirme que c’est abominable de mettre des religieux au pouvoir. »
Ni une ni deux, l'extrême-droite s'empare du sujet et orchestre une manipulation assez grotesque pour le faire passer pour ce qu'il n'est pas. Première offensive de la part du groupuscule Egalité & Réconciliation (E&R) d'Alain Soral, ancien cadre du FN et proche ami de Dieudonné, qui accuse carrément Mélenchon de relayer la "propagande anti-iranienne". Le site du groupuscule en question propose un extrait vidéo au titre bien faisandé : "Mélenchon le pro-sioniste anti-islamiste". Mazette !
Pour ceux qui ne le savent pas, E&R se revendique de "la gauche du travail et de la droite des valeurs", théorise une espèce de passage du communisme au nationalisme, et prétend combattre le politiquement correct en balançant sur son site internet des dizaines de communiqués reprenant fidèlement les chevaux de bataille traditionnelle de l'extrême-droite franchouillard : antisémitisme (sous couvert d'antisionisme, ce qui n'a évidemment rien à voir), dénonciation hystérique de la franc-maçonnerie, idéologie complotiste et bien entendu charges en règle contre les leaders des partis de la gauche radicale, hier Besancenot, aujourd’hui Mélenchon. La particularité d’E&R est cependant de raconter n’importe quoi avec beaucoup d’aplomb : leur matériel de propagande titre ainsi « vive le nationalisme » et arbore des photos du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, du président russe Vladimir Poutine, des cubains Che Guevara et Fidel Castro et du président vénézuélien Hugo Chavez. Mais bien sûr… Remarquons au passage et pour la gouverne de Soral que Mélenchon n'a pas été invité au dîner du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF), qui lui reproche d'avoir soutenu le boycott des produits israéliens en solidarité avec le peuple palestinien. Quelle belle preuve de sionisme de sa part...
Mais E&R n’est pas le seul groupuscule, à la droite de la droite, à promouvoir cette manipulation assez grotesque. AgoraVox étant ouvert à tout le monde, nous voyons depuis quelques semaines fleurir articles et commentaires de militants de l’Union populaire républicaine (UPR), parti dont les revendications recoupent étroitement les discours de Jean-Marie Le Pen : nationalisme, départ de l’Union européenne, sortie de l’euro et bien entendu, « nécessité évidente de rétablir des contrôles aux frontières nationales, sans quoi toute politique de maîtrise des échanges commerciaux, financiers et migratoires est vaine ». Si ce parti prétend rassembler des adhérents de gauche comme de droite, leur président et candidat à l’élection présidentielle, François Asselineau, a derrière lui une carrière politique ancrée 100 % à droite : énarque et haut fonctionnaire, il a été ministre de l’industrie sous Balladur en 1993, a ensuite gambergé dans des cabinets auprès de pas mal de ministres de droite, puis a rallié Charles Pasqua et la direction de son parti, le RPF, avant de fonder son nouveau groupuscule à l’ADN fortement nationaliste et europhobe, l’UPR, donc.
Récemment, un militant de ce parti et un autre rédacteur ont posté sur AgoraVox TV et AgoraVox tout court la vidéo de l’intervention de Jean-Luc Mélenchon mise au point par E&R pour accuser celui-ci d’avoir carrément des poussées bellicistes et de vouloir agresser l’Iran. Je vous laisse relire la phase exacte de Mélenchon, qui ne parle nulle part d’agression militaire. Mais apparemment il faudrait être en mesure de lire entre les lignes… Mélenchon veut donc porter atteinte à la souveraineté énergétique de l’Iran et se rend même coupable se sympathies à l’égard des Etats-Unis parce que sa déclaration, en gros, reviendrait à fomenter une invasion de l’Iran dirigée par l’OTAN ! Mazette ! N’oublions pas également quelques attaques contre le positionnement laïc de Mélenchon, qui aurait apparemment tort de dénoncer le caractère théocratique du régime iranien et le fait de placer des religieux au pouvoir. Le message est clair : apparemment un régime théocratique, qui plus est aussi réactionnaire et dictatorial que celui de l’Iran, ça ne mérite pas d’être dénoncé, c’est même mal de s’en prendre à lui ! On savait que l’extrême-droite n’aimait pas la démocratie, mais cette prise de position en faveur de régimes politiques dirigés par des responsables religieux, qui plus est à caractère islamiste, est quelque chose de singulièrement nouveau dans cet espace de l’échiquier politique…
Rétablissons quelques vérités :
- Le régime iranien n’est pas seulement une théocratie, c’est aussi une dictature autoritaire et répressive. Après l’élection présidentielle de 2009 ayant conduit à la réélection parfaitement frauduleuse d’Ahmadinejad, d’immenses manifestations ont secoué le pays et se sont soldées par des exécutions sommaires, une répression d’une violence indescriptible et une série de procès politiques dignes des plus grandes mascarades du régime stalinien. Et ça, ce n’est pas de la propagande anti-iranienne, mais bien la situation telle qu’elle se présente encore sur place. Soral et les militants de l’UPR préfèrent donc la dictature iranienne au peuple iranien, à bon entendeur.
- Un régime théocratique n’est JAMAIS quelque chose de souhaitable pour la population d'aucun pays. Le fait que certains à l’extrême-droite combattent la dénonciation de ce type de régime dans le discours d’un leader de gauche, indique clairement quel camp ces gens-là choisissent : celui de l’obscurantisme religieux, de la dictature de cléricaux fondamentalistes et tout ce que cela implique, à savoir l’interdiction de la diversité des opinions et des croyances, la dictature des pratiques liées à la religion d’Etat, la répression de toute contestation populaire sous couvert de légitimité religieuse du régime, lequel serait l’émanation de la volonté divine. Des réalités là encore fort éloignées des idéaux pour lesquels se sont battus les guérilleros de Che Guevara !
- Le régime iranien a effectivement des intentions hostiles à l’encontre d’Israël. Oui, le régime israélien est lui aussi belliqueux, oui, il faut que ça cesse, et il faut condamner les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par ce régime en Palestine. Mais ça ne passera pas par la guerre. Quand on est un progressiste comme Mélenchon, on ne peut que vouloir la paix entre les peuples, et le fait que le régime iranien veuille se munir de l’arme nucléaire dans le but de planifier une attaque à l’encontre d’un pays voisin quel qu’il soit n’est JAMAIS quelque chose de normal ou de souhaitable. De même que les habitants de l’Iran ne sont pas tributaires des exactions du gouvernement de ce pays, le peuple israélien n’est pas responsable de la politique de son gouvernement et n’a pas à payer pour ça. C’est précisément ce que Mélenchon a dit dans son intervention, où il n’est question nulle part d’agression armée contre l’Iran, pas plus que d’alliance militaire de quelque ordre que ce soit avec les Etats-Unis d’Amérique.
Bref, on se fout du monde, et manque de pot, ça ne passe pas. En outre, malgré les tentatives de manipulation grotesques de ces micro-partis d'extrême-droite, les positions du Front de gauche en matière de politique étrangère sont claires. J’en veux pour preuve les propositions formulées à la page 73 du programme du Front de gauche, l’Humain d’abord. Chapitre 8, « la France pour changer le cours de la mondialisation » :
- Retrait des troupes françaises d’Afghanistan ;
- Retrait de la France de l’OTAN ;
- Reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France et par l’UE.
Puis, p. 75 : « la France rompra avec l’alignement atlantiste, la politique de force et d’intervention militaire et avec les logiques de puissance, pour agir en faveur de la paix […] nous agirons pour la dénucléarisation, pour le désarmement multilatéral et contrôlé de tous les types d’armement dans l’esprit de la Culture de paix promue par l’Unesco et la charte des Nations Unies ».
Mélenchon n’est donc ni sioniste, ni pro-américain, ni belliqueux, ni spécifiquement anti-iranien, mais bien tout l’inverse ! Avec l’extrême-droite, l’opération Dracula est toujours un succès : vous leur jetez la lumière à la figure et ils partent en poussière. On ne saurait être trop vigilant à l’égard d’individus de ce type qui ne reculent devant aucune manipulation.