Mélenchon, ou le problème de la photo

par Enzo
mercredi 2 septembre 2009


Jean-Luc Mélenchon a sorti l’an passé un petit livre rouge, contenant sa réplique au discours de Latran de Nicolas Sarkozy. Il s’y livre à une analyse très fine de la rhétorique du Président actuel. Le républicain affirmé qu’est Mélenchon acceptera donc sans problème que ses propres discours soient également disséqués.

Il est souvent intéressant d’écouter un responsable politique qui vient de quitter son parti « historique », car il est brusquement libre de s’exprimer sur ce parti. Jean-Luc Mélenchon, bien avant de quitter le Parti Socialiste, avait écrit un ouvrage très intéressant, En quête de gauche, dans lequel il s’interrogeait sur le sens-même de son action au sein de ce parti. Ne pouvant rester dans l’indiscipline permanente, impuissant à peser sur les orientations social-libérales de la direction du PS, Mélenchon a eu raison de quitter ce parti. Une telle décision est cohérente par rapport à son engagement politique, elle est respectueuse par rapport au PS, et on pourrait difficilement la taxer d’opportuniste au vu des difficultés qui se présentent désormais à lui. J’ajoute qu’il conduit des analyses très fines, servies par une véritable argumentation, et qu’il est un des seuls à rentrer dans le détail de ses propositions politiques tout en respectant le cadre, très contraignant, de la télévision. A l’heure où seules des idées très générales peuvent être formulées, les talents de tribun de M. Mélenchon font merveille.

Mais où est le problème, me direz-vous ?

Je l’appellerai le problème de la photo.

Dans sa rhétorique, Jean-Luc Mélenchon pointe régulièrement les convergences politiques entre le PS est ses « partis frères » sociaux-démocrates européens. Certains de ces partis sont aujourd’hui en cogestion avec la droite, d’autres ont soutenu la candidature de M. Barroso à la présidence de la Commission européenne, et ainsi de suite. La simple présence de Martine Aubry sur une photo en compagnie de Zapatero, Prodi ou Brown est suspecte aux yeux de Jean-Luc Mélenchon. Le problème, c’est que ces raccourcis sont faibles intellectuellement, et ne grandissent pas M. Mélenchon.

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon s’affiche régulièrement avec Marie-Georges Buffet, Secrétaire nationale du PCF. Ce parti a été dirigé pendant 22 ans par un certain Georges Marchais, allié objectif d’un régime totalitaire qui a exercé un joug sur le tiers de l’humanité pendant 44 ans. Doit-on demander des comptes à Jean-Luc Mélenchon ? Non, bien sûr que non, et l’intéressé se défend d’ailleurs assez maladroitement lorsque cette question lui est posée : « Je ne suis pas un Communiste français, ne me posez pas cette question à moi ». En vérité, cette question n’a même pas à être posée aux dirigeants communistes actuels. Ils ne sont pas comptables des horreurs du XXe siècle, et ni Marie-Georges Buffet ni son prédécesseur Robert Hue ne sont soupçonnables de la moindre accointance avec les régimes staliniens présents ou passés. Il reste bien ce nom, parti communiste, mais le conserver relève de leur cuisine interne, et ne fait de tort qu’à eux-mêmes. La question des affinités du PCF, qui avait sa pertinence à l’époque du Programme commun, ne l’a plus aujourd’hui. Mais à l’inverse, demander des comptes au PS sur les affinités de ses collègues européens avec des partis de droite n’a aucun sens non plus.

Je vais faire un raccourci plus rapide encore, et plus embarrassant pour Jean-Luc Mélenchon. Parmi ses amis latino-américains figure Hugo Chavez, Président du Vénézuela. Je ne m’intéresserai pas ici au détail des controverses sur le personnage ; je me contenterai de rappeler son soutien affirmé au dirigeant iranien Ahmadinejad. Le raccourci « Mélenchon = Chavez et Chavez = Ahmadinejad, donc Mélenchon = Ahmadinejad » est grossier, pour ne pas dire plus ; la question n’en a pas moins été posée à Jean-Luc Mélenchon. La réponse n’a pas manqué de fuser : je ne suis pas Hugo Chavez, et il m’arrive d’être en désaccord avec lui, comme c’est le cas ici. Mais, M. Mélenchon, si vous trouvez ces raccourcis insultants, reconnaissez à Martine Aubry, Laurent Fabius ou Manuel Valls le droit d’être en désaccord avec telle ou telle action ou déclaration de Tony Blair ou de Jose Luis Zapatero. 

Suite de l’analyse de texte : « La sphère politique est désormais réduite à un vaste Disneyland, avec les très-gentils d’un côté et les très-méchants de l’autre » [restitution approchante d’une phrase de Jean-Luc Mélenchon, au moment de l’affaire du Tibet et du passage de la flamme olympique à Paris]. Stigmatiser les convergences entre untel et untel est certes pratique, mais cela mène rapidement à des contresens absolus. Jean-Luc Mélenchon a donc raison lorsqu’il s’insurge contre des raccourcis… qu’il s’abstienne donc d’en faire lui-même. La sphère des partis sociaux-démocrates européens est extrêmement complexe, et les considérer comme des « partis frères » est un raccourci parfois faux et souvent pratique. Les alliances des partis sociaux-démocrates européens sont toujours dictées par les nécessités qu’imposent les systèmes électoraux de leurs pays respectifs ; elles le sont beaucoup moins (et c’est regrettable) par des convergences programmatiques. Et cela, Jean-Luc Mélenchon le sait. Il serait donc bien avisé d’affronter le PS uniquement sur son programme, ou, pour le coup, sur son absence de programme. Mais il n’a pas à demander au PS des comptes sur les dérives de la social-démocratie ailleurs en Europe.

Enfin, à l’endroit de François Bayrou, affirmer que « c’est la droite » est un peu court. De l’émission de France 2 qui avait précédé les élections européennes de juin dernier, tout le monde a retenu le clash entre Bayrou et Cohn-Bendit ; une phrase de Bayrou, passée totalement inaperçue, me semble pourtant beaucoup plus intéressante : « Monsieur Mélenchon, je suis d’accord avec ce que vous dites beaucoup plus souvent que vous ne le croyez ». François Bayrou est le seul candidat de la dernière Présidentielle à avoir gardé son programme sous le coude, à continuer à l’assumer, à le détailler et à le défendre. Jean-Luc Mélenchon serait bien avisé de débattre avec lui, et de cesser de le fustiger d’un « c’est la droite » bien léger. Le débat politique en sortirait grandi.


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