Mélenchon : vers le combat de trop ?
par Fergus
lundi 19 octobre 2020
Dans 18 mois aura lieu le 1er tour du scrutin présidentiel 2022. Jean-Luc Mélenchon trépigne déjà d’impatience d’en découdre. Encore faut-il que sa candidature soit validée. Dans cette optique, il a posé le mercredi 14 octobre une question à tous les militants et sympathisants inscrits sur la plateforme de La France Insoumise : « Pour porter nos idées, dois-je être candidat ? »
Bonne question, en effet. Et nul doute que, dans un mouvement de plus en plus marqué par les clivages internes, elle va susciter de nombreux débats entre les farouches tenants de la « ligne populiste » et les non moins déterminés partisans d’une « ligne fédératrice de gauche ». Quid en outre de l’épineuse question de la « laïcité » sur laquelle Mélenchon n’exprime pas d’opinion claire, c’est le moins que l’on puisse dire. Quid enfin de la complaisance à l’égard des thèses « indigénistes » dont le leader des Insoumis est accusé, non seulement par la droite et l’extrême-droite qui ont trouvé là un angle d’attaque, mais également – et c’est plus ennuyeux – par des militants LFI proches des idées de Djordje Kuzmanovic, un ancien cacique de LFI qui en a claqué la porte en 2018 ?
Mélenchon a confirmé dans son tweet qu’il se prononcera « à la fin octobre - début novembre à propos de [sa] candidature pour la prochaine élection présidentielle. » C’est donc dans un délai très court que les adhérents de La France Insoumise vont devoir se prononcer, et cela sans que Mélenchon ait clarifié quoi que ce soit sur le positionnement qu’il entend défendre s’il est adoubé comme candidat de LFI. Ce faisant, Mélenchon entend ménager la chèvre populiste et le chou fédérateur en s’appuyant sur « l’intelligence collective et (…) la fraternité qui (…) unit » les Insoumis. Un exercice d’autant plus difficile que le fossé s’est largement creusé entre les deux courants alors même que le boss affirme dans son tweet voir au-delà des seuls adhérents de La France Insoumise : « Nous ne pouvons nous contenter d’une addition de votes contre. Il nous faut construire une majorité d’adhésion. » Sacré défi ! Comment être en effet porteur d’une candidature de fédération élargie sur la base d’une adhésion à un projet lorsqu’on est impuissant à faire l’union idéologique chez soi entre deux orientations peu compatibles ?
En réalité, Mélenchon n’est pas inquiet. Il sait que personne n’est en situation de proposer une candidature alternative à la sienne : Ruffin se tient délibérément hors de la mêlée, et Quattenens – de loin le plus posé dans les médias et le plus remarquable pédagogue de LFI – fait preuve d’une loyauté sans faille. Quant aux autres caciques, ils sont par trop inconsistants pour espérer jouer un rôle majeur au plan national. Le leader de La France Insoumise sera donc désigné, sans opposition et presque par défaut, candidat du mouvement lors d’une consultation par internet qui ne règlera aucune des difficultés internes. Une consultation qui, de ce fait, prendra l’allure d’un plébiscite peu glorieux sur le nom du vieux combattant, dont on aurait aimé qu’il soit confronté à une candidature alternative, ne serait-ce qu’en signe de bonne santé d’un mouvement où les divergences de stratégie sont si flagrantes.
Sans même avoir à sortir de ses ambiguïtés, Mélenchon bénéficiera donc d’un consensus du type « plus petit commun dénominateur ». Grâce à lui, le plus « bolivarien » des personnages politiques de notre pays pourra, comme il l’ambitionnait, disposer de l’investiture suffisamment tôt dans la course à l’Élysée pour tenter de préempter le leadership de la gauche dans l’optique d’une alliance. Mais une alliance qui ne pourra être bâtie qu’autour de sa personne et sur la base du projet « L’avenir en commun », nec plus ultra de la pensée progressiste aux plans social et écologique qui ne pourrait être amendé qu’à la marge. Pas question pour Mélenchon de s’effacer devant quelque autre ambitieux ou ambitieuse.
La République, c’est lui ! Quand Mélenchon surjoue
Or, s’il doit y avoir une candidature d’union à gauche – hypothèse ô combien hasardeuse, eu égard aux rivalités d’ego ! –, elle devrait plutôt se faire sur la base d’un programme commun unissant les socialistes PS dûment estampillés, les hamonistes de Génération.s et les écologistes d’EELV s’ils parviennent à éviter les pugilats internes. Une telle alliance, si elle voyait le jour, pourrait être une calamité électorale pour une France Insoumise isolée. Le mouvement courrait en effet un grand risque d’être ramené au score du 1er tour de 2012. Rappelons que cette année-là, le Front de Gauche avait certes réuni sur la candidature de Mélenchon la presque totalité des votes de la gauche radicale, mais sans toutefois faire mieux – en termes de cumul des voix hors PS – que lors des précédentes élections présidentielles, faute d’avoir mordu sur l’électorat socialiste.
À ce moment de l’analyse, l’on se pose la question : Mélenchon serait-il en capacité, sur son nom plus que sur le texte de « L’avenir en commun » dont beaucoup parlent mais que peu ont lu, de damer le pion à une éventuelle coalition rose-vert, voire rose-rouge-vert ? C’est tout sauf évident si l’on se réfère à l’image dégradée du leader de La France Insoumise qui paye quelques écarts postérieurs à la présidentielle de 2017, et notamment son comportement lors de la fameuse perquisition des locaux de LFI le 16 octobre 2018. « La République, c’est moi ! » avait alors proclamé Mélenchon sur un ton aussi péremptoire que ridicule à la face de policiers tout aussi investis d’un rôle républicain dans le cadre d’une action judiciaire en cours. Or, voilà que l’on apprend qu’il ne s’est pas agi d’un de ces coups de sang dont Mélenchon à le secret…
Dans le livre d’Hadrien Mathoux « Mélenchon, la chute », publié il y a une dizaine de jours aux Éditions du Rocher, le journaliste donne la parole au leader de La France Insoumise. Et celui-ci ne cache pas qu’après coup, il a été « foudroyé par l’affaire des perquisitions ». On le comprend d’autant mieux que le coup a été très rude pour lui. Fin de l’histoire ? Non, car c’est à notre tour de tomber des nues lorsque Mélenchon – avec une grande naïveté ou par un calcul politique dont on ne saisit pas l’intérêt stratégique –, se livre à cette confidence pour le moins décoiffante : « Je fais [ce jour-là] une erreur complète d’évaluation. J’étais persuadé qu’il y aurait une réplique énorme, et mon comportement correspond à la force de l’indignation que je crois rencontrer dans la société. Mais cette indignation n’existe pas ».
Mélenchon aurait donc, avant de céder manifestement à son tempérament sanguin, délibérément mis en scène sa colère en escomptant que l’opinion publique se dresserait à son côté pour dénoncer un « acharnement judiciaire » du pouvoir visant à nuire à La France Insoumise. Grave erreur stratégique ! Non seulement l’opinion publique n’a pas suivi, mais elle s’est très largement désolidarisée de Mélenchon. Pire : elle garde aujourd’hui une défiance marquée à l’égard de cet homme qui, en ce jour d’automne 2018, a donné à voir un spectacle indigne d’un élu de la représentation nationale. Une faute d’autant plus regrettable pour La France Insoumise que Mélenchon aurait pu tirer un réel profit de cet épisode judiciaire si, devant micros et caméras, il avait, avec cet air goguenard qu’il arbore parfois, pris calmement à témoin les Français de la (bien réelle) disproportion des moyens judicaires utilisés en regard des faits ténus qui étaient reprochés à LFI.
Mélenchon et La France Insoumise devront faire avec cette image dégradée et tenter d’en effacer le poids par un important travail de pédagogie, tout particulièrement destiné à lever les ambiguïtés qui empoisonnent le mouvement. Pour quel résultat en 2022 ? Nul ne peut, si loin de l’échéance, émettre de pronostic électoral tant les cartes politiques sont actuellement brouillées à gauche, et tant sont grandes les incertitudes conjoncturelles de nature à impacter la future campagne présidentielle. Le défi n’en sera que plus passionnant à suivre…