Mémoire de l’esclavage ?

par Ana Lucia Araujo
lundi 15 mai 2006

Le 10 mai dernier, la France a consacré pour la première fois une journée complète à la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Au cours de toute la journée, différentes manifestations ont eu lieu partout au pays. Les politiciens et les hommes publics ont rappelé ce qu’était l’esclavage et les conséquences de la traite négrière en Europe, en Amérique et en Afrique.

Entre autres, une plaque pour rappeler le départ des bateaux négriers a été inaugurée aux bords de la Garonne, à Bordeaux. Dans son discours, le député-maire de Bordeaux a affirmé que « cet acte de réparation permet de rappeler qu’il existe une corrélation directe entre la traite d’esclaves et le racisme ». Sur le coup de l’émotion, le maire a probablement un peu exagéré dans ses propos en inversant les choses. C’est le constat de l’existence du racisme envers les Afro-descendants français et des anciennes colonies françaises dans les Antilles qui nous montre que le passé est encore très présent, et que des réparations seraient nécessaires, même s’il s’agit, dans ce cas, de réparations morales, car une plaque et une journée commémoratives ne sont pas encore suffisantes pour réparer les torts causés par ce commerce en Afrique et dans les Amériques. Malgré les aspects positifs de l’organisation d’une telle journée, il me semble qu’on a insisté très peu sur les liens entre l’esclavage et le colonialisme, ou encore sur les aboutissements futurs d’un programme de promotion de la mémoire de l’esclavage.

Juste deux jours après la tenue de la journée, je regarde sur TV 5 Canada le documentaire "Esclaves d’hier et d’aujourd’hui" diffusé dans le cadre du programme Thalassa de TV3. La première partie du documentaire était consacrée aux ports négriers européens, dont Bordeaux et Liverpool. On met l’accent sur le fait que ces villes ont été bâties et se sont enrichies grâce aux capitaux générés par la traite négrière. Si à Bordeaux, les autorités locales ne veulent pas lier le passé de la ville à la traite d’esclaves, à Liverpool la situation est différente. Le documentaire met en valeur un guide touristique descendant d’esclaves qui fait la visite de la ville en montrant combien la mémoire de la traite se trouve partout, y compris dans l’architecture monumentale de la ville, dont les bas-reliefs des bâtiments représentent des bateaux négriers. De même, on montre l’exposition sur la traite transatlantique au Merseyside Maritime Museum, qui bientôt fera partie de l’International Slavery Museum. Ce nouveau musée sera inauguré le 23 août 2007, journée du souvenir de l’esclavage qui commémore non seulement les deux cents ans de l’abolition de la traite britannique, mais aussi le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti.

Après cette première partie qui mettait en valeur la mémoire de l’esclavage en Grande-Bretagne, mais pas en France, une autre partie du documentaire a été consacrée à Aimé Césaire. Toutefois, le reste de l’émission se tourne vers l’Afrique. On montre les esclaves affranchis, devenus colons au Libéria au XIXe siècle. Dans cette partie du documentaire, on n’oublie pas de rappeler la responsabilité des descendants des colons dans la guerre civile qui a lieu au pays dans les années 1990. Par la suite, on se tourne vers le Ghana, où l’on montre les enfants esclaves d’aujourd’hui. Or, si les réalisateurs n’ont pas insisté pour obtenir des témoignages de descendants des négriers qui vivent encore aujourd’hui à Bordeaux, au Ghana ils ne se gênent pas pour aller chercher des enfants esclaves dans le marché de la ville, afin de les montrer à la caméra. Malgré les bonnes intentions des réalisateurs et la nécessité de montrer beaucoup plus sur ce sujet à la télévision, en regardant ce documentaire on relève plusieurs points problématiques. En premier, on reste avec l’image que l’esclavage et le colonialisme ne sont pas liés, et que la situation actuelle de l’Afrique n’a pas de rapport avec des siècles de traite d’esclaves. En second, on montre d’anciennes colonies britanniques en Afrique, mais pas les anciennes colonies françaises. En troisième, en mettant l’accent sur l’esclavage des enfants au Ghana, on laisse entendre que l’esclavage a été une affaire entre Africains, et qu’aujourd’hui il existe encore des enfants esclaves dont les maîtres sont des Africains !

L’abolition de l’esclavage est commémorée au Brésil le 13 mai. A la différence de la France et des États-Unis, l’esclavage y a été aboli en 1888, une année avant la proclamation de la République, car jusque-là le pays était encore une monarchie. Pour les Afro-descendants brésiliens, il n’y a rien à commémorer. Même s’ils constituent 45 % de la population du Brésil, leurs conditions de vie continuent d’être très différentes de celles des Blancs.


Lire l'article complet, et les commentaires