Méthode globale : la guerre pédagogique n’aura pas lieu

par Guy Morant
jeudi 19 octobre 2006

Un ministre de l’Éducation nationale dénonce la méthode de lecture globale, donnant ainsi le signal de l’une des campagnes de dénigrement les plus étranges de l’histoire de l’école, où des propos sans traduction institutionnelle servent à dénoncer une méthode qui n’existe plus !

Samedi 7 octobre 2006, à 9 heures, la salle de l’espace Carpeaux, à Courbevoie (Hauts-de-Seine) est comble. Monsieur Guy Legros, inspecteur de l’Éducation nationale de la circonscription, a convoqué tous les enseignants du premier degré, pour une conférence pédagogique consacrée à la lecture. Parmi les intervenants figurent Robert Voyazopoulos, psychologue à l’Éducation nationale et chargé d’enseignement à l’université de Paris V, ainsi que deux médecins scolaires. L’inspecteur rappelle les textes en vigueur et rassure les enseignants de CP : malgré certaines déclarations médiatiques récentes (celles de son ministre de tutelle, qu’il se garde bien de citer), les méthodes globale, semi-globale et « mixte » ne sont pas interdites, et il n’est pas nécessaire de jeter au feu une grande partie des manuels d’apprentissage de la lecture !

Sur Internet, aujourd’hui même (mercredi 18 octobre), le site ecole-primaire.org annonce qu’il sera fermé pendant vingt-quatre heures pour protester contre la campagne de délation lancée par l’association SOS éducation. Le cheval de bataille de celle-ci est la lecture, et surtout la méthode globale, dont elle dénonce le « non-abandon » (sic).

Pour comprendre le débat, qui peut laisser perplexe le profane, il faut rappeler ce qu’est la méthode globale et pourquoi elle déclenche de telles controverses. Inventée au début du XXe siècle par le médecin belge Ovide Decroly, cette méthode de lecture est fondée sur l’identification visuelle des mots sans les analyser, c’est-à-dire sur la reconnaissance de la forme graphique globale de chaque mot. Défendue par des mouvements comme l’Association française pour la lecture, présentée comme un remède à l’illettrisme, « la globale » (comme l’appellent les enseignants) n’a jamais été pratiquée en France que par une poignée d’instituteurs, souvent engagés dans des mouvements comme l’École moderne (inspirée des travaux de Célestin Freinet). Décriée depuis longtemps, comme toutes les idéologies pédagogiques révolutionnaires, elle fait partie de ces innovations oubliées que l’on mentionne dans les histoires de la pédagogie.

Comment pouvait-il en être autrement, d’ailleurs, puisque cette méthode, créée par un neurologue, repose sur des connaissances scientifiques depuis longtemps obsolètes  ? Suivant les recommandations des spécialistes, les manuels de lecture ont opté pour une méthode essentiellement phonétique, souvent avec un « départ global » - quelques séances où les élèves manipulent des étiquettes de mots qu’ils « lisent » sans en analyser les sons.

Si la méthode globale est morte, me direz-vous, pourquoi s’acharne-t-on ainsi sur son cadavre ? Pourquoi tant d’ouvrages la prennent-ils pour cible et la rendent-ils responsable de l’échec scolaire, du niveau qui baisse et de la dyslexie ? Pourquoi une institutrice se glorifie-t-elle du qualificatif de «  clandestine » parce qu’elle a choisi une méthode de lecture dite syllabique ? Pourquoi un professeur du second degré lui attribue-t-il la faillite de l’école primaire ? Pourquoi des parents inquiets assurent-ils à la méthode Boscher (syllabique) un succès posthume, en achetant en masse ce manuel aux illustrations désuètes ?

En réalité, la syllabique n’est que le symbole d’une inquiétude croissante de l’opinion quant à la qualité de l’enseignement public. Comme de nombreuses institutions, l’école traverse une crise profonde , qui se traduit par une incapacité à atteindre les objectifs que le gouvernement lui a fixés. L’échec scolaire constitue le symptôme principal de cette crise, dont aucun responsable ne peut ou ne veut combattre les vraies causes. Après vingt ans de réformes infructueuses, on a fini par désigner les enseignants comme les principaux responsables du prétendu naufrage de l’école, et par organiser leur lynchage médiatique (la méthode globale sert d’ailleurs depuis longtemps de bouc émissaire, comme en témoigne cet article de Freinet). La méthode globale, comme le redoublement ou n’importe quelle idée pédagogique, ne sert qu’à cristalliser les peurs et les insatisfactions des parents, afin de servir je ne sais quel dessein politique.

Entre-temps, si vous souhaitez participer à la cabale anti-enseignants, rendez-vous sur le site de l’association SOS éducation, où un bandeau défilant vous invite à pratiquer la délation à l’encontre des établissements où vous rencontreriez une « situation anormale ». Sur le même site, vous pouvez participer à une campagne pour le retrait immédiat des cinq pires livres de classe, ou bien à une campagne contre les actions judiciaires des éditeurs.


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