Méthode syllabique, saison 2
par Orélien Péréol
samedi 2 septembre 2017
L’actuel ministre de l’Education demande de nouveau aux enseignants de ne plus appliquer la méthode globale et d’appliquer la méthode syllabique. De nouveau. En effet, en 2006, Gilles de Robien avait déjà eu la même démarche. Cette commande pourra être faite encore dans quelques années, si c’est le choix du ministre d’alors ; parce qu’elle est fondée sur une « définition » d’un problème qui n’existe pas.
Nous lisons en mettant en œuvre deux processus relativement indépendants :
- la signification orale des lettres, ce qui se désigne par l’image B.A-BA,
- et une anticipation des syllabes et des mots qui nous dit si on doit lire deux lettres à la fois ou trois, ou quatre… anticipation qui engage un coup d’œil « global ». Pour le dire autrement, B suivi de A ne fait pas toujours BA. On va le voir.
Il n’y a que trois lettres en français qui n’ont qu’un seul son : le « j », le « k » et le « v ». Sans compter nombre d’exceptions uniques à la prononciation syllabique. « Monsieur » porte deux exceptions et ces deux exceptions n’existent que pour ce mot : O et N accolées se prononcent « e » et les lettres « EUR » se prononcent « EU ». Quelqu’un qui n’aurait que l’outil syllabique ne pourrait pas lire « Monsieur ». Quelquefois, on se moque de ce mot en le prononçant à la « syllabique ».
Un autre exemple : C et H font généralement « CHE » comme dans arche et quelque fois K comme dans archéologie. Rien ne l’indique dans l’écriture, il faut connaître le mot globalement. L’architecte et l’archéologue ne procèdent pas du même syllabique, du même B.A-BA ! Un lecteur qui ne connaîtrait la lecture que par le syllabique lirait sans doute archéologue avec le « che » comme architecte. (Sans compter incidemment le Che, qui se prononce « Tché »).
B suivi de A fait BA sauf BAI, BAU, BAN. Dans ces syllabes, il faut lire trois lettres d’un seul coup. On peut noter que dans BAI+L, il faut lire quatre lettres d’un seul tenant et que, de nouveau, B et A font BA ! Mais dans BAIN, il faut lire quatre lettres et B et A ne font pas BA ! BANC se prononce comme BAN, avec un C muet… etc. Pour lire, il faut donc aussi prendre une vision du mot en son ensemble pour savoir comment relier les lettres entre elles. Sans quoi on lit « banc » comme « banque ». Parfois, on doit lire cinq lettres en une seule syllabe : BAIES, avec E et S muets. BAIL et BAILLENT se prononcent pareillement ! Les enfants baillent (BAILLENT : huit lettres à lire d’une syllabe !). Juste pour ne rien oublier, le bacon, dans lequel B et A ne font pas BA. Vous en trouverez aisément d’autres.
Les maîtresses du primaire, puisque ce sont surtout des maîtresses, (j’accorde avec le plus grand nombre) savent cela et l’enseignent. Pourquoi enseigneraient-elles autre chose que ce qui se pratique dans la lecture, une fois acquise ?
On peut se demander les raisons de la persistance d’un faux problème dont la vacuité n’est pas difficile à montrer et à faire comprendre. Toutes celles et ceux qui acquiescent à cette idée qu’il y aurait à l’école deux méthodes d’apprentissages, une mauvaise et une bonne, imaginent que les difficultés de lecture que leurs enfants rencontrent viennent de la méthode « globale », qui serait exclusive de l’autre et serait le résultat d’un choix idéologique hasardeux des enseignantes.
Voir la dualité de la lecture entre la valeur syllabique des lettres et l’originalité de chaque mot qui compose des assemblages parfois uniques de lettres, voir que chacun lit « syllabique » et « global », en même temps, dans le même geste, se rendre compte de cette nécessité de connaître les deux ne représente pas un travail considérable pour un lecteur lambda. Cela nous sortirait de ce « retour » d’une méthode idéale contre une méthode « dont tout le monde admet aujourd’hui qu’elle a eu des résultats tout sauf probants », pour reprendre les mots du ministre.
Tout le monde ? Vraiment ?
Pour lire, on mixe les deux, pour apprendre aussi.