Migration-partage

par Orélien Péréol
mardi 4 septembre 2018

La migration, c'est un partage des richesses (des ressources) de facto, sans pensée ni organisation. Les écarts de richesses agissent comme ce qu’on appelle une différence de potentiel en physique. On n’obtient rien sans, et si la différence de potentiel est trop grande, il se produit un réajustement vers l’équilibre ou des déséquilibres modérés, supportables ; ce réajustement est un flux d’une très grande puissance, d’une puissance tellement grande qu’il détruit éventuellement sur son passage nombre de « constructions » appréciables qu’il eut fallu savoir conserver. Nous en sommes là.

La circulation des textes et des images informent ceux qui n’ont rien de l’opulence qui se trouve ailleurs, et pour en prendre une part, mieux vaut se rapprocher, un enfant le comprendrait. La circulation des personnes, de leur corps, est facile et rapide, périlleuse voire mortelle quand on n’a pas d’argent, mais mieux vaut tenter de vivre, pour paraphraser Valéry.

La migration, c'est le partage des richesses en actes, par les faits, sans intervention étatique ou autre, sans livre ni « prophète », je parle de Karl Marx, qui avait planifié une révolution finale et définitive pour abolir les classes sociales. Le partage des richesses par la migration est de bien meilleure espérance, plus rapide, il emploie immédiatement l’énergie de celles et ceux qui choisissent ce moyen dans une grande aventure audacieuse. Beaucoup de morts. Beaucoup d’échecs, de retours forcés… un grand malheur, mais « d’autres viendront qui finiront par réussir ». C’est le crédo des révolutionnaires.

Nous ne raisonnons plus guère avec les concepts de systèmes, de structures, de relations entre les structures/systèmes. Certes, nous parlons de modèles, mais d’une façon magique, nous évoquons sans cesse le fait qu’il faudrait changer de modèle. D’une part, un système économique, politique, mérite de s’appeler modèle quand il est suffisamment bon pour que les autres systèmes tentent de l'imiter. D’autre part et surtout, les discours politiques s’organisent comme si les modèles étaient à disposition des dirigeants, à portée de main, comme rangés sur des étagères ou sur des présentoirs et qu’il suffisait de vouloir pour en prendre un autre et le mettre en action instantanément.

Nous sommes plutôt dans un discours moral, où chacun distribue le bien et le mal : le bien à lui, le mal à ceux qui ne pensent pas la même chose, il va de soi. Le discours moral est un jugement, il n’argumente pas, il accable les opposants, il les condamne. Tout se passe comme si le mal sortait de la psyché des acteurs, de leurs actes et que nous pourrions résoudre les problèmes en posant des actes qui produisent du bien plutôt que des actes qui produisent du mal. Les hommes posent des actes dans un monde qui contient du bien et du mal. Ce que l’on fait ou ne fait pas agit en bien ou en mal sur une situation donnée, mais le bien ou le mal de ladite situation ne vient pas de nos décisions.

Il ne sert à rien de donner des leçons d'humanisme, il ne sert à rien de fustiger le populisme de Matteo Salvini et de Victor Orban. Il ne sert à rien de rappeler que l’Italie, l'Irlande et tant d'autres pays furent des terres d’émigration et de suggérer que cela leur crée une dette envers les migrants actuels. Bien que ce soit le principe même de la morale : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse, ou mieux Faites aux autres ce qu’on vous a fait… cela n'a aucune chance de modifier quoi que ce soit ; on n'imagine pas un pays (ou une personne d’ailleurs) se sentir obligé par cette considération historique.

La question n’est pas de savoir si les mots de jugements sont justes ou faux, la question est que les solutions sortiront d’analyses des ensembles économiques, politiques, culturels, des mouvements historiques entre ses ensembles. Il s’agit de poser des actes structurels si c’est possible. Tâcher de faire honte aux autres de la fermeture agressive que constitue leur attitude n’a aucune chance de succès. Demander de comprendre les autres n’est pas efficient. De plus en plus de migrants viendront frapper à la porte de l’Europe, ce n’est pas une réalité triste, contrairement à ce que dit Tahar Ben Jelloun.

Les conditions de notre mondialisation sont telles que les migrations vont imposer un partage des richesses (l’hypothèse la plus incertaine) ou alors, des guerres, avec des guerres civiles ici ou là. Il faut prendre en compte le problème et ne pas se tourner vers les populistes et l’extrême droite en leur demandant d’être humains. Cela ne nous rapprochera pas de la première hypothèse : conserver la possibilité d’égaliser le partage de la planète de la façon la plus pacifique possible.

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