Mohamed Merah, une affaire non politisable

par MUSAVULI
vendredi 30 mars 2012

On a rarement connu de drames d’une telle gravité qui fassent aussi peu l’affaire des acteurs politiques. Les sondages ne bougent pas tel qu’on aurait dû s’y attendre et toute tentative de récupération se perd comme un cri dans le néant. Pendant ce temps, les jours passent et l’affaire tombe progressivement dans l’oubli.

Personne n’aurait pourtant parié que des tueries en pleine campagne électorale auraient eu aussi peu d’effet sur les rapports de forces entre partis engagées dans la compétition électorale. On a tous en mémoire les images de Monsieur Voise, le vieil homme au visage couvert de bleus dont la maison, en avril 2002, avait été dévastée par une bande de « jeunes » qui essayaient de lui extorquer de l’argent. L’affaire avait été exploitée, à outrance, par les médias et les politiques à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Le candidat socialiste Lionel Jospin avait perdu dès le premier tour au profit de Jean-Marie Le Pen.

On se souvient surtout des attentats du 11 septembre 2001 que l’administration Bush s’est employée à exploiter sur le dos d’un peuple américain traumatisé, maintenu dans la peur et finalement amené à cautionner la politique agressive des néoconservateurs. Avec un peu de recul, quelques années plus tard, nombreux sont les Américains qui se disent que les deux guerres d’Irak et d’Afghanistan auraient pu être évitées si le drame du 11 septembre n’avait pas été instrumentalisé avec autant d’indécence. Peu importe, le drame avait servi politiquement.

Mais qu’est-ce qui cloche dans l’affaire du « tueur de Toulouse » ?

On sait que les assassinats des deux soldats du 17e Régiment de génie parachutiste de Montauban et d’un troisième du 1er Régiment parachutiste de Francazal, près de Toulouse, ont été, dans un premier temps, considérés comme des actes de règlement des comptes. Mettre les projecteurs sur des militaires qui s’entretuent, c’est non seulement déshonorant pour la nation mais surtout politiquement risqué. Les politiques avaient donc décidé de regarder ailleurs. Mais lorsque l’identité des victimes a été révélée, et qu’on s’est aperçu qu’il pourrait s’agir de crimes motivés par la haine raciale, les esprits ont commencé à s’échauffer. On tenait là quelque chose à se mettre sous la dent. La théorie d’une France raciste, excédée par l’omniprésence des « gens différents » et dont les extrémistes seraient passés à l’acte, tenait à peu près la route. Des doigts accusateurs se pointaient déjà en direction du Front national engagé dans le débat controversé sur la viande halal et des responsables de l’UMP qui, depuis cinq ans, multiplient les polémiques ouvertement islamophobes.

L’hypothèse correspondait à une certaine grille de lecture de la société française et on se bousculait pour être le premier à dégainer. SOS Racisme, par la voix de son Président, Dominique Sopo, a évoqué « une série d’actes racistes ». Le Candidat Modem à la Présidentielle, François Bayrou a attribué ces crimes à « un certain climat » de division que répand sur la France une certaine droite. Marine Le Pen, visiblement affectée par l’idée qu’un de ses « hommes » puisse être responsable de ces tueries, a brusquement fait profil bas et annulé son rendez-vous sur France2. On l’a revue aux côté de Nicolas Sarkozy comme pour rappeler son attachement aux mêmes valeurs de la république que ce dernier, ce qui a écorné son étiquette de personnalité « antisystème ». C’était par ailleurs un terrible aveu implicite que le parti frontiste, en dépit des efforts, assez sincères, qu’elle y fournit pour le dédiaboliser, est toujours susceptible d’abriter des individus capables d’actes abominables.

Elle a dû pousser un ouf de soulagement en apprenant que la piste des milieux néonazies avait été abandonnée. Les enquêteurs ont mis hors de cause les anciens militaires renvoyés de l’armée pour s’être fait photographier avec les emblèmes du Troisième Reich. La piste tenait d’autant moins qu’en se penchant sur les tueries de l’école juive de Toulouse, on imagine difficilement un militant d’extrême droite pourchassant une petite fille et s’acharnant sur elle pour l’abattre. Il fallait chercher ailleurs, et la piste Mohamed Merah est apparue comme la seule piste crédible ; ce qui a, à nouveau, ravivé l’intérêt des politiques, à la peine sur les questions économiques et sociales.

Mais en apprenant que le « jeune homme » était un salafiste, qu’il avait effectué des séjours en Afghanistan et au Pakistan, ce fut une nouvelle désillusion. La question de l’efficacité de la police s’est imposée comme une évidence. Comment un individu, suivi par la DCRI, plusieurs fois condamné à des peines de prison, parti s’entraîner dans les camps des talibans et inscrit sur une liste noire des Américains, a pu se procurer autant d’armes et de munitions et tuer plusieurs jours durant sans éveiller les soupçons de la police ? Seulement voilà ! La France n’étant pas à l’image de la démocratie américaine où les hommes politiques n’hésitent pas à accabler les haut gradés de la police et de l’armée, nos politiques ont choisi d’épargner l’institution policière et l’histoire de France peut se poursuivre avec une police « coupable » de failles aussi énormes.

Quant au mode opératoire de l’individu, on découvre rapidement qu’il s’agit d’un « loup solitaire ». Il n’y a donc pas d’organisation terroriste structurée autour de lui qu’il faudrait démanteler à grand coup de spectacle, avec déploiement de nos RoboCops, caméras de télévision à l’appui pour que les hommes politiques roulent des mécaniques au journal de 20 heures. Par ailleurs, on le voulait vivant pour qu’un certain feuilleton se mette en marche, alimenté par des « révélations » au fil de la procédure, des aveux, des témoignages d’un tel ou d’un tel, un procès émouvant,… Un choix qui a failli coûter cher puisque six policiers ont été blessés en essayant de capturer vivant un forcené qui tenait à mourir les armes à la main.

Une dernière tentative d’instrumentalisation a failli naître autour de l’ « origine algérienne » de Mohamed Merah. Dans son discours au Bouguenais, près de Nantes, dimanche 25 mars, Marine Le Pen a essayé de glisser sur le terrain de l’immigration. « Combien de Mohamed Merah dans les bateaux pour la France ? » Un flop monumental ! Mohamed Merah n’est pas arrivé en France à bord d’un bateau. Il est né à Toulouse, dans une maternité française au milieu des dizaines d’autres « petits français ». Il a grandi en France, a été scolarisé en France et est devenu progressivement délinquant dans la société française. Le « monstre » qu’on l’accuse d’être devenu est donc, objectivement, le produit de la société française. C’est ce que l’Algérie a sûrement fait comprendre à la France en refusant d’autoriser son inhumation sur son sol. Pourquoi aller enterrer un « monstre français » sur le sol d’un pays étranger ?

Pour revenir sur la polémique, assez déplacée sur l’immigration, il faut rappeler que l’impardonnable Mohamed Merah n’est pas plus immigré que les respectables caporal Abel Chennouf, le maréchal des logis chef Imad Ibn Ziaten et le soldat de 1ère classe Mohammed Legouade qu’il a abattus. Il ne l’est pas davantage vis-à-vis de Jonhathan Sandler, ses enfants Arieh et Gabriel, et de la petite Miriam Monsonego qu’il a exécutés à l’école juive de Toulouse. La question de l’immigration ne se pose même pas vis-à-vis du soldat Loïc Liber, natif de Guadeloupe. Accabler les immigrés en les assimilant à un personnage aussi exécrable revient à mettre dans le même sac le tueur de Toulouse et ses victimes dont les trois militaires qui revenaient des opérations en Afghanistan, sous le drapeau français. La démarche de Madame Le Pen a créé un tel malaise que le Président Sarkozy a tenté de remettre les choses à l’endroit en inventant la désormais célèbre expression « musulmans d’apparence ».

Finalement, le drame de Toulouse restera une affaire politiquement inexploitable, ce qui est plutôt une bonne chose. Car l’exploitation politicienne des crimes ordinaires contribue à cristalliser injustement la haine sur une partie de la population « nationale » présentée comme étant le creuset de tous les maux de la société, alors que, tout le monde le sait, les « monstres » se recrutent dans les rangs de toutes les communautés humaines. Mohamed Merah n’est rien d’autre qu’un jeune homme ordinaire qui a juste laissé s’exprimer la « bête préhistorique » qui sommeille dans la personne de chacun d’entre nous. Le Norvégien Anders Behring Breivik n’avait pas besoin de s’appeler Mohamed ni de fréquenter les djihadistes pour massacrer soixante-dix-sept de ses propres compatriotes en juin 2011. Richard Durn n’avait pas besoin de s’appeler Mohamed ni de fréquenter Al Qaida pour ouvrir le feu en plein conseil municipal de Nanterre et tuer huit élus en mars 2002. Tous les jours, en ouvrant la page des faits divers on apprend çà et là qu’un homme a tué sa femme, ses enfants ; qu’une femme a étranglé ses propres bébés à la naissance, qu’un écolier a tué son camarade de classe. Des histoires effroyables, mais qui s’expliquent assez simplement. En effet, l’homme est avant tout un loup, un « prédateur ». Ses instincts de cruauté que la société moderne et les règles sociales tentent d’enfouir au plus profond de lui, peuvent ressurgir à tout moment et causer des désastres irréparables. La frustration, la déception, la faim, la colère, la trahison, l’ambition… sont autant de facteurs susceptibles de déclencher un déchainement de violence même chez des personnes réputés pour être paisibles.

On s’en rend mieux compte dans les régions en proie à des conflits armés. Un aimable voisin, un fils qu’on a soi-même élevé, un frère avec qui on a grandi voire un mari avec qui on partage sa vie se transforme du jour au lendemain en monstre sanguinaire. Au Rwanda, beaucoup de gens ont péri dans le génocide pour avoir cru que leurs voisins, connus de longue date, étaient incapables de tuer une mouche. L’histoire de l’Allemagne nazie nous apprend que les auteurs des actes épouvantables qui nous hantent jusqu’à ce jours étaient en fait « des gens ordinaires ».

Tout ce qu’il faut retenir des drames comme ceux de Toulouse et de Montauban, c’est qu’à tout moment un individu quelque part peut perdre la raison et se livrer à des actes d’une barbarie insoupçonnable. Nos sociétés solidaires et humanisés tentent de prévenir le risque, mais il faut voir les choses telles qu’elles sont. Le plus indécent est que les politiques essaient de tirer profit des drames pareils pour accabler une communauté alors qu’ils peuvent se produire avec des auteurs et des victimes de n’importe quelle communauté.

   Boniface MUSAVULI


Lire l'article complet, et les commentaires