Mondialisation et modèle social : rattrapons le temps perdu
par VV
mercredi 25 octobre 2006
La mondialisation et l’Europe font des boucs émissaires faciles. Mais le problème de la France n’est pas économique et mondial, il est avant tout social et national.
La mondialisation et l’Europe font des boucs émissaires faciles : ne sommes-nous pas victimes d’une alliance entre les "gnomes de Londres et de New York" qui dirigent le capitalisme financier, et les "technocrates de Bruxelles" qui emmènent la France vers un modèle libéral, et ouvrent la porte aux précédents ?
En réalité, nos maux ont deux causes. D’abord, un ensemble de décisions
nationales, qui ont conduit à réduire fortement les barrières
douanières ou réglementaires à l’entrée comme à la sortie du
territoire, et décloisonné les marchés financiers. Ces évolutions sont
désormais portées par l’Europe, mais d’une façon qui ne fait que
prolonger ce que nous avions entamé, et que nous aurions poursuivis,
seuls et d’une façon moins favorable. Faut-il les regretter maintenant
? Ce serait oublier que, dans un premier temps, ces décisions ont
permis de nettement stimuler la croissance française. Notre problème
est donc moins d’avoir pris ces décisions que de ne pas avoir préparé
la France aux suites logiques de ces décisions. L’Europe est parfois
mise en cause, mais pourtant les Fonds sociaux européens existent : ils
ont été en France saupoudrés sans cohérence, au lieu de venir appuyer
une politique ambitieuse de sécurisation des parcours professionnels.
N’accusons pas l’Europe de maux dont la cause est doublement nationale
: d’abord, en n’ayant pas suffisamment négocié l’aide aux « perdants »
de la mondialisation, ensuite en n’ayant pas construit un système d’assurance-emploi adapté.
L’autre cause de nos maux tient au décollage économique de pays tels que l’Inde ou la Chine. Nous avons commencé à nous ouvrir au monde en étant les maîtres du jeu, exportant des produits que nous seuls savions produire - nous pensions échanger des logiciels et des voitures de France contre des vêtements indiens et du thé de Chine - et nous prenons conscience du fait que les Indiens peuvent écrire des logiciels, les Chinois peuvent construire des voitures. L’échange est toujours possible, mais pas au même prix. Par ailleurs, la Chine et l’Inde vont, en se développant, utiliser des ressources que nous avions en grande partie captées à notre profit, dont le pétrole ou l’air pur - le niveau de pollution occidental supportable à petite échelle ne l’est pas à l’échelle mondiale.
Ces deux phénomènes - perte du pouvoir de "monopole" de la France dans la production de produits complexes, et tension sur les prix des ressources rares - créent une pression forte à la baisse de notre pouvoir d’achat. Ceux qui imputent cette baisse - et ses conséquences en termes d’emploi - à la mondialisation se trompent : elle est avant liée au fait que nous retournons vers une situation "normale", dans laquelle une plus grande partie de la population mondiale prétend au même développement que nous.
Aurions-nous pu agir autrement ? C’est peu probable : les évolutions technologiques auraient rendue inéluctable une ouverture économique au moins partielle : on peut bloquer les camions à nos frontières, mais il est impossible de bloquer durablement l’accès des pays émergents aux produits immatériels et l’échange de savoir par Internet. La seule alternative aurait été l’autarcie - ce qui aurait signifié, entre autres, ne pas avoir de pétrole, ni d’ordinateur, ni de nucléaire. Nous n’aurions pas davantage pu maintenir l’Asie en situation de sous-développement à notre profit. Enfin, moralement, il ne faut pas regretter d’avoir quitté un système colonial que nous n’aurions de toute façon pas pu maintenir.
Que faire ? Le choix n’est plus entre freiner une internationalisation inévitable et fuir en avant vers un modèle libéral. Nous devons plutôt rattraper le temps perdu : avant d’opérer notre transition vers une économie de marché, nous aurions dû commencer par consolider notre système de protection sociale. Il a trois défauts : son financement (par des cotisations pesant surtout sur l’emploi peu qualifié), son efficacité réduite contre les risques du parcours professionnel, et son pilotage qui dilue la responsabilité et le contrôle entre Etat et partenaires sociaux. Or l’ouverture internationale se traduit précisément par une réduction des produits issus de main-d’œuvre peu qualifiée, une accélération des restructurations et une responsabilité claire, sans laquelle aucune évolution n’est possible.
Notre problème n’est donc pas économique et mondial, il est avant tout social et national. Pour en sortir, il y deux voies : la rupture libérale, qui transfère le risque économique à des salariés qui ne pourront rien faire d’autre que le subir, ou la réforme sociale, qui mutualiserait ce risque et accompagnerait mieux la recherche d’emploi et la formation. Dans tous les cas, il faut regarder le monde en face, et aller de l’avant. Et la présidentielle de 2007 ne sera utile que si elle permet de trancher entre ces deux voies, et d’apporter enfin une réponse à notre crise sociale.