Monseigneur Delanoë et sœur Royal pour un concile Mitterrand II

par Bernard Dugué
lundi 26 mai 2008

Prenons garde que le PS ne devienne pas le parti stérile par la faute d’une dispute portant plus sur les mots, les méthodes, que sur la manière d’affronter la société et d’accompagner un éventuel progressisme qui, pour l’instant, est loin d’être révélé. Car il faut dire que le passé, les idées préconçues, le niveau culturel, les pratiques médiatiques, tout ceci représente une inertie face à un changement porté par des aspirations nouvelles capables de nous projeter dans un avenir autre.

Progressisme, messianisme, révolution ? Nul ne sait et, si ça se trouve, la stagnation et la bonne gestion est ce qui reste comme seul horizon pour l’action publique. Ce qui nous amène à prendre le politique comme un champ professionnel où se pressent et se disputent ceux qui aiment diriger les hommes et bien évidemment le pouvoir (Augustin l’avait bien saisi, ce triplet désirant en l’humain, avec les désirs de l’esprit, de la domination et du corps. Il y a les sex addicts comme il y a les addictions du politique, ce plaisir à se sentir au centre le plus souvent d’une réunion, d’arbitrer les décisions, d’exercer sur les autres une domination. La politique reste une affaire d’équilibrage entre amour du pouvoir et responsabilité publique et quand c’est le souci de la société et la cité qui prend le pas, la politique devient légitime. En paraphrasant Pascal, quand les idées et les valeurs n’ont plus de pouvoir, l’idée d’un pouvoir qui a de la valeur prend l’ascendant et détermine l’action publique. Fin de parenthèse).

En fin de compte, cette crise d’idée n’induirait-elle pas cette lutte féroce amorcée entre le baraqué Delanoë et l’hilarante Royal, pour faire comme au pays de Barack et Hillary ? L’image du Tour de France vient à l’esprit. Royal menait dans l’ascension pour le col de 2012, une ascension politique hors catégorie, rien à avoir avec un poste d’élu aux cantonales, ascension de troisième catégorie qui fut récemment gagnée par un certain Jean Sarkozy, le fils de Sarkozy, maillot jaune du Tour en 2007 et maillot à pois, apanage des grands grimpeurs et qu’il a du reste conservé, mais c’est plutôt la crise d’urticaire qu’on pressent. Revenons à la course de l’équipe PS, Delanoë a progressivement rejoint Royal et le voilà qui, maintenant, plante une accélération avec dans son mollet, toute la puissance du mot libéralisme, lancé à la cantonade pour faire bouger la ligne. Mais le risque, c’est de faire éclater le peloton socialiste. Les mauvais suiveurs seront alors récupérés par la voiture balai, une estafette jaune de La Poste, conduite par Olivier Besancenot.

La politique, ce n’est pas seulement du muscle, mais aussi des idées, des doctrines, des valeurs, des choix idéologiques… Enfin, disons que cela l’a été à une lointaine époque. La querelle sur le libéralisme, qu’on peut considérer au même rang que la querelle des universaux au Moyen Age, relève de la sphère intellectuelle et pratiquement théologique. On pourrait penser que le PS, réuni en conclave prochainement, se prépare à débattre d’une modernisation imposée par la crise que traverse cette formation. Cela ressemble un peu à du Nicée et beaucoup à du Vatican II.

Commençons par Nicée, ce concile tenu en 325 où il fut question de lutter contre l’arianisme, doctrine inspirée par le néoplatonisme où les trois Personnes divines ne sont pas considérées de même rang. Les Pères de l’Eglise ont établi le dogme de la Trinité, avec les trois Personnes égales et consubstantielles. En 2008, le concile de Mitterrand II devra déterminer quelle était la véritable nature de Dieu. Celui-ci n’étant autre que Tonton, prophète du socialisme après sa conversion dont on a les témoins des miracles qu’il a accomplis, notamment se faire élite en 1981. La grande question, Tonton était-il socialiste puis libéral ou socialiste et libéral. Voilà le grand débat lancé par Delanoë, théologien du socialisme réformé prêt à accepter que les mots social et libéral sont égaux en valeur et doivent être consubstantiels dans le progressisme socialiste qu’il défend.

Dans les années 1960, avant la crise de 68, Vatican II avait permis à l’Eglise catholique de se réformer pour répondre à de nouvelles aspirations dans la société, venant à la fois des croyants et des prêtres. Adieu la messe en latin et l’autoritarisme ecclésial. En 2008, la messe socialiste se doit d’être libérale. Delanoë croit œuvrer pour satisfaire des aspirations, mais la société n’en a plus. Autant dire que le parallèle entre Vatican II et Mitterrand II n’est pas justifié car ce sont plutôt les inquiétudes qui traversent la société, du moins les couches les plus exposées à la folie économique poussée par les profits. Autre point de débat mettant face à face monseigneur Delanoë et sœur supérieure Royal. La démocratie participative. Le premier tente d’y voir populisme, démagogie, improvisation, ayant choisi sa méthode, celle des managers et de l’ordre juste dans le fonctionnement du PS. La seconde tient à sa pratique participative censée être plus proche des gens, des attentes, capable de faire émerger un projet porté par des aspirations, enfin, ce qui en reste car, répétons-le, ce sont les inquiétudes qui ressortent en 2008.

La politique ressemble à l’Eglise, et c’est naturel pour ainsi dire, l’Eglise a ressemblé à la politique pendant des siècles, les prélats prisant le pouvoir et l’ordre dans les rangs. Mme Clinton vient d’ailleurs d’exprimer sa foi et sa croyance en son dessein devant une Eglise de Porto Rico. Il y a un peu plus d’un an, une foi de même ordre fut exprimé face au mont Saint-Michel par le futur locataire à l’Elysée. Mais l’essentiel, c’est cette question idéologique. Etre libéral ou ne pas l’être. Libéral, un mot qui selon Mme Royal est incompatible avec celui de socialisme. Alors que Delanoë pense le contraire, non sans jouer avec malice (si c’est calculé c’est bien joué) sur le double sens de ce mot. Car être libéral en économie, c’est plutôt de droite, être libéral en politique, c’est plutôt être de gauche, du moins dans l’univers intellectuel des Américains. John Rawls était d’ailleurs un authentique libéral en politique, classé là-bas à gauche car ayant accolé la justice au libéralisme. Nos amis socialistes sont assez loin de la clarté du débat. L’Eglise au temps de Nicée, c’était quand même plus sérieux, avec de vrais théologiens, capable d’utiliser des concepts clairs, y compris dans le domaine des mystères divins. La question que doit résoudre le PS, ce n’est pas de savoir s’il faut se présenter comme libéral ou pas. C’est de déterminer comment une société peut aller vers le progrès et l’équité, en évitant le collectivisme, la bureaucratie, en libérant les talents, en modifiant les règles du jeu économique, mettre plus de marché dans un domaine, sortir du marché d’autres champs, notamment l’alimentaire et le logement… Bref, répondre à la question, non pas d’être ou ne pas être libéral, social, mais où il faut l’être et ne pas l’être !


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