Mort aux sondages !

par Brady
mardi 29 août 2006

Le site Internet Expression publique lance un sondage sur... la démocratie d’opinion et le rôle des sondages. Un sondage sur les sondages, assez original, et instructif...

Certes, il convient de souligner que le site Expression publique est un site de sondage en ligne. Un même utilisateur pouvant répondre plusieurs fois à ce type d’enquête (en changeant de PC, par exemple), il convient de prendre des précautions face aux résultats. D’un autre côté, on pourrait répondre qu’il est plus facile de prendre le temps de réfléchir au sens d’une question derrière son PC qu’au téléphone... Mais on trouve, entre autres enquêtes amusantes, un sondage sur les sondages qui laisse perplexe...

Première question : la notion de "démocratie d’opinion" évoque-t-elle pour vous quelque chose de plutôt positif, ou de plutôt négatif ? Et là, un premier paradoxe : une majorité (relative, toutefois, à 36%) des sondés trouvent la notion plutôt positive... alors que la onzième question montre que la démocratie d’opinion est jugée par 47% des internautes comme une démocratie où les gouvernants changent trop souvent d’avis au gré des humeurs de leurs administrés... et que la dernière question montre que 45% des internautes, contre 38%, considèrent que les sondages d’opinion apportent une contribution plutôt négative à la démocratie !

Deuxième question : les sondages sont-ils utiles ? On pourrait philosopher à l’envi pour savoir s’il est utile de répondre à un sondage sur ce genre de question... En tout cas, c’est amusant, car les sondés estimant les sondages utiles ou indispensables sont minoritaires par rapport aux sondés les trouvant inutiles voire nuisibles. Les sondages de popularité (président, premier ministre, leader de partis, candidats aux élections...) sont jugés inutiles ou nuisibles à 51%, les sondages sur les intentions de vote sont même jugés nuisibles à 30% ! Seule exception, les sondages sur les projets de gouvernement sont jugés utiles à 50% et indispensables à 16%, mais une majorité de Français (53%) considère, quelques questions plus loin, qu’il n’est pas souhaitable que des partis politiques tiennent compte des résultats des sondages pour élaborer leur projet de gouvernement !

Encore que ce paradoxe apparent soit expliqué à la question suivante : si des sondages ont lieu sur les projets de gouvernements, la portée en semble assez limitée, voire très limitée pour la majorité des internautes (52%). Les sondages les moins influents sont les sondages de cote de popularité des présidents et premiers ministres (39% pour une influence grande, voire très grande, 59% pour une influence limitée, voire très limitée...), ce qui n’est guère surprenant, Jacques Chirac ne se souciant guère de la popularité de ses premiers ministres (et aucun président n’ayant démissionné à la suite d’un sondage...). Les sondages les plus influents concernent les intentions de vote : 58% des internautes considèrent l’influence de ce type de sondage comme grande, voire très grande. On ne leur donnerait pas tort, vu l’attraction que suscite notamment la candidature de Ségolène Royal au PS... et pourtant, une majorité d’internautes ne souhaiterait pas que les choix de candidats reposent uniquement sur les sondages (54% contre dans le cadre des législatives, 57% contre dans le cadre des présidentielles...).

Ils sont une très large majorité (68%) du reste à souhaiter que le futur président de la République campe sur son programme plutôt que de l’infléchir (26%) au gré des sondages... lesquels ne sont pas considérés comme des moyens de pression efficaces, comparés aux grèves et aux manifestations. 59% des internautes jugent du reste les sondages sans aucune portée, ne reflétant rien de plus que les humeurs de leurs compatriotes ! Si la méthode est plutôt jugé honnête à 43%, l’image reflétée est jugée fausse à 48%. 69% des internautes jugent d’ailleurs que les sondages d’intentions de vote se plantent dans leurs prédictions ! Les autres n’ont aucun souvenir des dernières élections présidentielles ;-). On note d’ailleurs qu’une large majorité des internautes n’a jamais été sondé dans le cadre d’une enquête menée par des instituts...

Concernant Ségolène Royal, on note que son avance (pourtant large par rapport à ses rivaux socialistes) n’est pas jugée comme significative à ce stade de la compétition par 60% des internautes. Un souvenir des autres campagnes présidentielles, sans doute. 16% des sondés considèrent que les Français souhaitent réellement la voir candidate, 50% penchant plutôt pour l’influence de l’engouement médiatique. Enfin, il convient d’être prudent, vu la manière dont la question est formulée : on ne demande pas au sondé s’il est lui-même sensible à cet engouement médiatique, mais si ses compatriotes le sont... Bruno Gaccio aimait à rappeler qu’en 1995, plus de 70% des sondés considéraient que Les Guignols (préférant Chirac à Balladur) influençaient les intentions de vote, et 7% seulement des mêmes sondés considéraient que leur propre vote avait été influencé par son émission...

Aucun président de la Ve République n’a été considéré comme prenant les sondages en compte, et surtout pas de Gaulle, jugé indifférent à 72%. Le plus sensible à leurs effets aurait été Valery Giscard d’Estaing, jugé indifférent à 54%. Il est vrai que VGE clame son hostilité personnelle à la peine de mort, mais ne l’a pas abolie pour autant durant son mandat... Idem pour les récents premiers ministres, parmi lesquels Juppé est considéré comme le plus hermétique à 75%. Dominique de Villepin n’est pas lui-même considéré comme un homme influencé par les sondages, malgré le retrait du CPE.

Concernant l’influence des sondages sur le programme de divers candidats aux présidentielles, on note surtout que les deux candidats qui prennent le plus en compte les sondages sont... Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ! Pas sûr qu’ils en soient gagnants, au prisme des autres réactions. En effet, 64% des internautes considèrent qu’on ne doit pas remplacer un premier ministre impopulaire, et 47% considèrent qu’on ne doit pas rejeter une mesure impopulaire. Pas sûr que l’abandon du CPE ait été apprécié finalement par les sondés, même s’il s’agit d’une courte majorité relative... Aussi courte que celle qui considère que les adhérents d’un parti ont la prime sur les sympathisants pour la désignation d’un candidat (46% contre 41%, 6% souhaitant que la démocratie ne revienne qu’aux cadres...). Si 9% seulement des sondés considèrent que le dirigeant d’un parti est le candidat légitime, 25% considèrent que les sondages doivent influencer la désignation du candidat, 49% donnant une prime à l’expérience...

On sent une dernière confusion dans la dernière question, à moins que ce ne soit l’image que les partis donnent de la politique nationale, dans trois concepts : la démocratie représentative (où les lois sont approuvées par des candidats élus pour représenter leurs concitoyens), la démocratie des partis (où seuls des candidats agréés par les partis peuvent se présenter et diriger), et la démocratie d’opinion, où l’opinion des électeurs joue constamment un rôle. Alors que le concept de démocratie participative est mis à toutes les sauces par de nombreux candidats, moins d’un quart de sondés (21%) sont vraiment enthousiasmés par un tel système, une large majorité (59%) préférant la démocratie représentative, le système que l’on a, en théorie, en France. Problème : les élections à la proportionnelle directe étant de moins en moins nombreuses (sauf aux Européennes), les Français ont plutôt le sentiment d’être dans un système de type démocratie des partis, à 49%, et de démocratie d’opinion, à 24%.

L’enquête se conclut par donc la question sur les sondages... jugés d’influence négative par 45% des sondés. Donc, selon un sondage, il ne faudrait pas prendre en compte les sondages. Quel joli paradoxe que Condorcet aurait apprécié ! En tout cas, le résultat de l’enquête est assez amusant, même si on peut quand même se poser une question : si des citoyens lambda considèrent que l’opinion de la majorité des concitoyens ne doit pas être prise en compte, combien aimeraient que leur propre opinion puisse être prise en compte ? Une nouvelle mise en lumière du conflit entre l’intérêt général et les intérêts particuliers...


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