Naufrage et mort politique de la présidence Sarkozy. Ite, missa est.
par Renaud Bouchard
mercredi 7 juillet 2010
Faculté de distinguer une décision entre deux choix possibles face à une situation d’instabilité marquée à laquelle on veut remédier ou échapper, la crise appelle une prise de décision, l’adoption d’une gouvernance pour recouvrer une situation apaisée. Or, la situation actuelle l’interdit. Au-delà de la crise de gouvernance révélée par les manquements qui entrent en résonance avec « l’Affaire Woerth-Bettencourt », la France est en effet entrée dans une double crise : crise de régime, qui débouchera sur une alternance de gouvernement, mais aussi crise institutionnelle appelant inéluctablement à une nouvelle forme de régime politique et à un changement de constitution.
« Celui qui, dans les grandes affaires, donne lieu au manquement des autres, est souvent plus coupable qu’eux, »
RETZ , Mém. t. II, liv. III, p. 34.
« …Toujours il y eut cette clameur, toujours il y eut cette grandeur, cette chose errante par le monde, cette haute transe par le monde, et sur toutes grèves de ce monde, du même souffle proférée, la même vague proférant une seule et longue phrase sans césure … »
Saint-John Perse, « Exil III », Exil, O. C., p. 126
« Ite, missa est. » Cette clameur encore silencieuse qui monte vers vous, Monsieur le Président, et qui vous dit la défiance et le rejet des Français pour tout ce que vous représentez dans une société qui manifeste sa sourde exaspération et son indignation face à la série d’affaires et d’errements touchant un gouvernement tout entier, l’entendez-vous ?
Cette incohérence d’un gouvernement qui demande la démission d’un président de fédération après un échec sportif, mais qui ne tire aucune conséquence de l’implication de son ministre du budget dans la fraude fiscale de son plus gros contribuable, la percevez-vous ?
Cette bouffonnerie qui ne traduit rien d’autre sinon l’effondrement de la conscience politique d’un gouvernement tout entier, d’un parti et d’une représentation parlementaire coupés du pays légal comme du pays réel, la voyez-vous ?
Cette atteinte à l’image d’une République que vous avez voulue irréprochable… en poussant, par votre comportement comme celui des cercles qui vous entourent, à un degré inadmissible et inquiétant la dégradation du débat et du bien public, en mesurez-vous bien les conséquences ?
Il est possible - cécité et surdité obligent -, que vous n’ayez pas encore compris que votre politique est désormais atteinte au cœur, révélant ainsi un état de compromission irrémédiable de ce qu’il est convenu de ranger sous le vocable de Sarkozysme.
Les fantômes des zélateurs ou de la garde rapprochée qui vous soutiennent encore sont en train de se dissiper devant la clarté d’une vérité impitoyable : celle de la confirmation de la perte de votre légitimité politique.
C’est que l’on commence à battre la diane, entendez-vous, et que par tout votre agir vous venez tout simplement de signifier à votre camp - lequel se perd en justifications pathétiques -que vous êtes désormais en train de devenir l’élément de trop, le grain de sable, le maillon faible, l’artisan de votre défaite commune prochainement consommée : celui qui va faire perdre sa famille politique.
Les deux de chute que représentent pour l’heure le renvoi de deux ministres n’abuseront personne, et certainement pas une nation et un électorat qui ont parfaitement compris la nocivité et la perte de crédibilité d’un système politique et de son personnel à bout de souffle, sans avoir besoin de ronger les osselets que vous lui donnez.
La France est beaucoup plus subtile que vous ne pouvez l’imaginer, qui a en effet parfaitement compris qu’au-delà des pions que vous venez de lui sacrifier pour tenter de sauver d’autres pièces de choix, parmi lesquelles celle qui à vos yeux incarne la réussite de la réforme des retraites, il en est une seule qu’elle désire désormais neutraliser et coucher sur le plateau : vous.
Ne vous y trompez pas : la clé du maintien de la note AAA de la France sera le moment où l’on entendra prononcer, comme dans ce jeu infiniment subtil et intelligent des échecs, l’avertissement ultime : « Le Roi est capturé ! »
Les protestations d’honorabilité et les chœurs affirmant leur soutien indéfectible à tel personnage aujourd’hui éclairé a giorno et soumis à fort ampérage n’y pourront rien. Grillé par vos fusibles, vous êtes dans l’incapacité de vous appuyer sur un Premier ministre dont le gouvernement, presque tout entier invalidé par les affaires, est désormais plongé dans le coma jusqu’à ce qu’intervienne ce remaniement annoncé pour le mois…d’octobre 2010. Trop tard, trop tôt, peu importe, car ce thème est moribond. Manifesteriez-vous un repentir qui signerait alors une tentative de rétablissement désespérée, vous n’avez même plus la possibilité d’envisager l’avantage d’un remaniement anticipé pour espérer rafraîchir un climat politique plombé par cette mélasse que représente dans l’opinion publique le mélange des genres, des compromissions et des attitudes politiciennes dont les Français sont exaspérés et la scène internationale abasourdie.
Contrairement à ce qu’a déclaré M. Dominique Paillé (porte-parole adjoint de l’UMP), vous n’êtes plus « "le maître de votre calendrier", pas plus que vous n’êtes celui de vos propos. Ceux-ci, à l’image de la lettre que vous avez adressée le 5 juillet 2010 à M. le Premier ministre, sont devenus inaudibles dès lors que vous en venez à n’être plus réduit qu’à voler au secours de votre ministre du Travail empêtré dans l’affaire Bettencourt en dénonçant « la calomnie qui n’a qu’un seul but, salir sans aucune espèce de réalité ».
Pourtant, au moment où dans son rapport en date du 23 juin 2010 le parquet du Tribunal de Grande Instance de Nanterre pointe, entre autres anomalies constitutives des infractions de fraude fiscale et de blanchiment, des risques de prise illégale d’intérêt sans pour autant envisager de poursuites à l’encontre de leurs auteurs, complices ou bénéficiaires éventuels, comment ne pas imaginer que tout contribue à soupçonner le gouvernement et sa majorité de jouer la montre et compter davantage sur la période estivale que sur la transparence pour éclaircir les débats ?
Acculé, paralysé, votre marge de manœuvre se réduit comme peau de chagrin.
Maintenant que la crise économique et politique sont ouvertes et que la crise institutionnelle et nationale sont en train de poindre, plutôt que de laisser la France continuer à présenter cet étalage de camarillas où le cynisme des uns, le clientélisme des autres et l’impéritie générale s’illustrent sur fond de dérive économique, sociale et financière propice à l’effacement de la morale la plus élémentaire, contribuant de fait à la paralysie et à la ruine du pays, la clameur vous y invite : vous devriez rendre service à la nation en ayant l’élégance de vous retirer tant qu’il en est encore temps.
La formule du cardinal de Retz demeure d’actualité : « Celui qui, dans les grandes affaires, donne lieu au manquement des autres, est souvent plus coupable qu’eux. »
Dès lors que ce n’est plus un parti politique ou un ministre qui sont mis en question mais bien l’autorité de l’Etat lui-même et de son chef, il devient évident que la poursuite du quinquennat dans pareilles circonstances est irrémédiablement compromise et signifie non pas tant la chute prochaine du Gouvernement Fillon VI que celle du naufrage de la présidence Sarkozy pour cause de mort politique.
Références :
La gouvernance : Un concept et ses applications de Guy Hermet, Ali Kazancigil, Jean-François Prud’Homme, et Collectif (Broché - 2 février 2005), Ed. Karthala, ISBN : 2-84586-577-5
Citation de Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz ; RETZ , Mém. t. II, liv. III, p. 34.