Nicolas Sarkozy, un potentiel de campagne toujours intact

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 5 février 2016

« Sarkozy, c’est le seul qui a été obligé de passer par l’Élysée pour devenir Premier MInistre. » (Jean-Louis Borloo, Prix de l’humour politique en 2008).

« Un petit gamin heureux d’être au milieu de ses nouveaux jouets, vous savez, le môme qui a gagné le pompon sur le manège. Avec sa petite étoile de shérif et son pistolet en plastique, son déguisement de cow-boy. Il est monté sur le plus grand cheval et il a décroché le pompon. Bingo ! » (
Ségolène Royal, le 5 février 2009).



L’ancien Président de la République et actuel président du parti "Les Républicains" Nicolas Sarkozy a été l’invité de la très longue émission politique "Des paroles et des actes" animée par David Pujadas sur France 2 ce jeudi 4 février 2016. Je le répète à chaque fois, cette émission est beaucoup trop longue, les journalistes qui y participent sont souvent motivés par des questions dérisoires (politiciennes) en décalage complet avec les préoccupations des gens, mais l’émission a au moins cet avantage, c’est une émission politique et elle est unique dans le paysage audiovisuel français à une heure de si grande écoute.

Je l’ai déjà dit ici également, j’ai une nette préférence pour Alain Juppé qui me paraît proche de ce qu’on pourrait attendre d’un Président de la République, c’est-à-dire une personnalité qui rassemble tous les Français, qui soit impartiale, qui soit compétente, qui soit méthodique et qui ait une vision de l’avenir vers lequel engager la France.

Néanmoins, je garde un doute sur les capacités d’Alain Juppé à faire campagne. Les plus aptes à assumer la fonction présidentielle (je pense notamment à Raymond Barre, Michel Rocard, Jacques Delors) ne sont pas forcément les plus aptes à faire campagne. Or, une campagne présidentielle est terriblement épuisante. François Bayrou, en mars 2007, au moment où la "mayonnaise" était en train de prendre, a eu un véritable burn-out (surmenage) qui l’a handicapé et l’a freiné dans sa campagne au moment où il aurait fallu au contraire accélérer. Et ce phénomène de besoin de grande énergie est évidemment amplifié dans une procédure avec primaire, qui double les efforts de campagne.

À plus de 70 ans, Alain Juppé paraît avoir peu d’énergie pour concurrencer deux redoutables compétiteurs de dix ans plus jeunes, Nicolas Sarkozy mais aussi François Fillon (dont la motivation présidentielle est très forte depuis 2012). S’il est en tête des sondages, et je m’en réjouis, Alain Juppé doit cependant passer l’épreuve du feu de la primaire ouverte à droite et peut-être au centre (nous le saurons le 20 mars 2016), et mon expérience dans l’observation des élections présidentielles depuis quarante ans me fait dire que rien n’est joué.



J’avais eu quelques doutes sur les capacités de Dominique Strauss-Kahn à devenir Président de la République en 2011, non pas parce que j’avais imaginé sa mésaventure du Sofitel de New York ou du Carlton de Lille (il faut avouer qu’il m’aurait fallu beaucoup d’imagination !) mais parce que s’il avait bien l’ambition d’occuper l’Élysée, il n’avait pas du tout mis les moyens appropriés, à savoir faire campagne très longtemps à l’avance et rencontrer les Français, tous les Français, partout en France, comme François Hollande avait fait dès le début de l’année …2010 !

J’avais d’ailleurs eu la même réflexion lors de la rivalité entre Jacques Chirac et Édouard Balladur même si les deux étaient allés jusqu’à s’affronter directement au premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril 1995. À l’époque, on donnait Édouard Balladur tellement gagnant sur un plateau d’argent qu’il s’était même demandé si cela valait la peine de faire campagne tandis que Jacques Chirac, étiqueté de loser, ramait dans les sondages (à 14% en octobre 1994, il me semble).

Sauf que justement, une campagne présidentielle a son utilité. Elle permet la rencontre directe entre le candidat et ses électeurs potentiels, elle crée un dialogue et le courant peut passer …ou pas.

Il y a peu d’incertitude sur le fait qu’Alain Juppé ne chutera pas sur une affaire sexuelle de type Sofitel. Mais aura-t-il la même énergie, la même combativité que ses concurrents lorsqu’il s’agira d’aller à la rencontre, d’abord des électeurs de son camp, puis des électeurs de l’ensemble du peuple français ? Ce n’est pas une évidence.



Surtout que Nicolas Sarkozy, qu’on considérait comme, lui aussi, loser, a commencé brillamment cette année 2016. Deux évidences d’abord, ou plutôt, deux constats qui sont devenus des évidences : même si chacun ne veut en faire qu’à sa tête, il dirige quand même le parti "Les Républicains" sans contestation après pourtant de nombreuses divisions internes, et il est revenu dans l’arène politique sans contestation possible non plus, lui qui s’était pourtant mis en retrait pendant deux ans. Il n’a pas eu l’orgueil de Lionel Jospin de rester prisonnier de ses déclarations d’intention (sur son propre avenir politique).

Son livre "La France pour la vie", sorti trois jours avant son 61e anniversaire, reçoit d’ailleurs un meilleur accueil des lecteurs que ceux de ses concurrents, "Faire" de François Fillon et "Pour un État fort" d’Alain Juppé. Enfin, sa prestation sur France 2 ce jeudi 4 février 2016 a été un véritable succès médiatique pour se remettre en selle, comme on dit.



Depuis son retour en politique, en septembre 2014, il est vrai que la plupart de ses meetings, le soir, des sortes de one-man-shows qui montraient un homme plutôt fatigué, qui aimait s’écouter parler, parfois mal, étaient assez décevants par rapport à "l’animal politique" qu’il avait su montrer dans le passé et encore durant la campagne présidentielle de 2012 (il a perdu avec un écart beaucoup plus faible que ce que les sondages prédisaient). Mais déjà le 30 mai 2015 à la Villette, lors du congrès fondateur du parti "Les Républicains", je l’avais trouvé excellent, avec un discours très bien structuré, très travaillé, une éloquence inégalable, combative, une énergie redoutable.

Nul doute que Nicolas Sarkozy a dû préparer minutieusement sa prestation télévisée du 4 février 2016, et cela a été efficace. Il a même eu de la chance puisque aucun hiérarque socialiste n’a osé débattre avec lui (Jean-Marie Le Guen s’est même défilé). Laisser ainsi la parole à l’un de ses principaux contradicteurs ne donne pas au gouvernement une image d’ouverture au débat. Le temps gagné fut occupé à prolonger sa discussion avec …"les Français" (voilà encore une expression journalistique que j’exècre : comme si les journalistes n’étaient pas, eux non plus, des "Français"… j’exècre cette expression autant que "société civile", comme si les personnalités politiques étaient des militaires… ou des cléricaux).

D’ailleurs, les personnes qui ont eu le privilège d’interroger Nicolas Sarkozy n’étaient pas vraiment ses amis, ils semblaient plutôt être des opposants assez fermes, mais cela a quand même réjoui l’ancien Président de la République qui est un homme qui aime sincèrement le débat contradictoire (c’est très rare en France et c’est ce qui lui donne une valeur ajoutée). Il les a même remerciés à la fin d’avoir pris deux heures et demi de leur temps un soir pour venir débattre avec lui, ce qui n’était pas forcément aisé pour eux.

Sur la forme, Nicolas Sarkozy a donc été doublement rayonnant : d’une part, sur la manière d’expliquer ce qu’il propose, sur sa sincérité (il admet qu’on ne change jamais mais qu’il essaie de pousser ses qualités et d’atténuer ses défauts ; il admet aussi qu’il ne sait pas encore s’il sera candidat ou pas, même si tout montre qu’il le sera) ; d’autre part, sur son comportement très calme, voire serein, assagi, respectueux de ses interlocuteurs et même (là aussi, une grande valeur ajoutée de Nicolas Sarkozy), avec de nombreuses pointes d’humour voire d’autodérision, ce qui très rare parmi ses collègues de la politique.



La journaliste Michèle Cotta a commenté ainsi la prestation dans un article à l’hebdomadaire "Le Point" : « Moins pugnace, il a gagné en sympathie. Plus attaqué par les six représentants des Français présents sur le plateau, dont le moins qu’on puisse dire est qu’aucun n’était un de ses ardents supporteurs, il a manifesté un calme dont on ne l’aurait pas cru capable et une attention, non dénuée d’humour, aux questions et aux propos des interlocuteurs rangés en rang d’oignons devant lui, sans le moindre sourire, sans la moindre empathie. (…) Les rides autour des yeux se sont accentués, les cheveux sont maintenant poivre et sel ; certains téléspectateurs l’ont trouvé fatigué. Aucun n’a mis en cause son dynamisme ou son énergie. » (5 février 2016).

Sur le fond, je retiendrai deux sujets.

Sur les réfugiés et l’immigration, Nicolas Sarkozy a su remettre quelques valeurs en place, comme par exemple le fait de dire que les sociétés mouraient de la consanguinité et pas du métissage. Néanmoins, il défend des positions que je conteste notamment sur la déchéance de la nationalité, mais il faut vraiment remarquer que son discours de Grenoble du 30 juillet 2010 a été largement repris dans les actes par son successeur socialiste François Hollande.

Le sujet le plus important concerne l’emploi. Si les données statistiques qu’il a présentées pouvaient prêter à contestation, la philosophie générale est de réduire de manière drastique la voilure de l’État pour tout miser sur les entreprises seules créatrices d’emplois (rappelons que c’est l’activité économique qui fait l’emploi, jamais l’État).

Il propose donc un "choc fiscal" (comme François Fillon et même Alain Juppé ; à cet égard, il y a peu de différence programmatique sur ce sujet) en réduisant de 25 milliards d’euros la fiscalité française (entreprises et ménages) et en réduisant de 100 milliards d’euros les dépenses publiques (État, collectivités territoriales et sécurité sociale) pour en finir avec le déficit public. Parmi les réductions, l’uniformisation des systèmes de retraites (fin des régimes spéciaux), baisse du remboursement de l’assurance maladie (73% au lieu de 76%, ce sont les mutuelles qui vont apprécier) et baisse progressive des indemnités chômage (de 20% au bout de douze mois, ce qui me paraît cependant inefficace et inadéquat).



Qu’on soit d’accord avec ce qu’il propose ou pas, qu’on apprécie sa personnalité ou pas, il faut reconnaître que Nicolas Sarkozy a été très brillant à cette émission, a su parler de politique avec des mots simples, compréhensibles, parfois de manière assez subtile et nuancée (parfois non), avec une grande combativité, une véritable volonté d’en découdre, sans peur des oppositions même frontales, prêt à aller chercher les électeurs un à un, là où ils sont. Bref, une énergie et une expérience politique qui restent assez inégalées dans le paysage politique, à part …François Hollande lui-même (ce n’est pas un hasard s’ils sont les deux seuls de leur génération à avoir atteint l’Élysée).

Bien qu’assez bas dans les sondages, l’exercice (assez dérisoire à mon avis) de sondage en temps réel pendant l’émission a d’ailleurs montré sa grande capacité à convaincre (d’où l’intérêt d’une campagne électorale), faisant passer de 29% au début de l’émission à 45% à la fin de l’émission le nombre de sondés qui pensent qu’il "comprend bien les préoccupations" des Français. Même si seulement 36% seraient convaincus en définitive à la fin de l’émission (et 63% pas convaincus), sa grande capacité à convaincre pourrait faire des malheurs, tant durant la primaire que durant l’élection elle-même, au point de bouleverser le jeu si sagement imaginé par les sondages.

Mais rappelons-le quand même. Nicolas Sarkozy n’est encore pas candidat à l’élection présidentielle, il n’ira sûrement pas au "casse-pipe" s’il est assuré de perdre, et son actualité judiciaire pourrait aussi le déranger terriblement…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (5 février 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours du 30 mai 2015 à la Villette.
Les 60 ans de Nicolas Sarkozy.
Je suis Charlie.
Mathématiques militantes.
Le nouveau paradigme.
Le retour.
Bilan du quinquennat.
Sarkozy bashing.
Ligne Buisson ?
Stigmatisation.
Transgression.
Sarcologie et salpicon socialistes.


 


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