Notre défaite temporaire dans la bataille des idées
par Laurent Herblay
jeudi 9 février 2017
Une classe politique extrêmement impopulaire, une mondialisation et une Union Européenne mal vues, une crainte pour l’avenir se mêlant à un jugement très négatif sur la situation actuelle : dans un tel contexte, les citoyens devraient soutenir un vrai changement. Las, Macron semble aujourd’hui le favori de la présidentielle. Mais pourquoi perdons-nous la bataille des idées ?
Un pessimisme extrêmement fataliste
La dernière édition du baromètre de la confiance du Cevipof donne sans doute des clés pour le comprendre. Bien des indications confortent les thèses des alternatifs : pour 70% des sondés, la démocratie ne marche pas bien (contre 29%), les notions de gauche et de droite n’ont plus de sens pour 75%, l’attente de plus de protection dans la mondialisation, 67% jugent que les hommes politiques ne se soucient que des riches et des puissants. Tristement, 60% pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, et seulement 6% mieux ! The Economist rappelle aussi que les Français sont très critiques sur l’UE. Bref, tout semble réuni pour produire le changement dont notre pays a tant besoin.
Malheureusement, d’autres aspects de ces sondages relativisent ce jugement. Fin décembre, le Monde pouvait titrer que si les peuples européens sont mécontents de l’UE, ils ne veulent pas la quitter, même si l’idée semble faire son chemin en Grèce (46% de sondés s’y déclarent favorables). D’ailleurs, pour le Cevipof, 42% des Français pensent qu’il est plutôt bien de faire partie de l’UE, contre 24%. Plus inquiétant, le gouvernement des experts est jugé bon par 59% des sondés. Bref, si les Français jugent défavorablement l’UE, la volonté d’en sortir reste confinée à une minorité : en dehors de la Grande-Bretagne, quitter l’UE serait encore pire que d’y rester, même sans espoir de réforme. C’est exactement ce sur quoi joue la banque de France en faisant de l’euro « une force dans un monde incertain ».
Et pour se sortir de la crise, 63% des Français se prononcent pour que l’Etat fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté, contre 34% qui favorisent le contrôle et la réglementation. Il faut noter qu’avant Hollande, la majorité était inversée, ce qui semble malheureusement indiquer que les potions ultralibérales sont soutenues par une majorité, malgré l’absence de résultats, achetant la fable selon laquelle si cela ne marcherait pas aujourd’hui, c’est parce que l’on ne serait pas allé assez loin... Cela confirme les sondages de décembre sur le programme de Fillon, qui indiquaient un soutien pour une forte baisse des dépenses publiques, malgré les prises de parole opposées d’économistes réputés.
On peut voir plusieurs raisons à cette victoire des idées ultralibérales alors même que leurs résultats sont désastreux. Jacques Généreux a bien expliqué dans « La dissociété » le processus sournois de soumission de la société à cette dissociété que nous rejetons, dans une sorte de « dilemme du prisonnier ». On peut aussi y voir les conséquences des difficultés de certains modèles alternatifs, le Vénézuela, l’Argentine, le Brésil ou la Russie, parfois présentés avec complaisance, ou les reniements d’un Tsipras, qui a en partie disqualifié la gauche radicale en menant la politique qu’il dénonçait. Enfin, le FN joue sans doute un rôle dans la difficulté des idées alternatives à progresser.
Tout ceci augure mal pour l’élection présidentielle et explique sans doute pourquoi Macron et Fillon sont les favoris, même si tout semble possible dans cette campagne. Néanmoins, cette défaite n’est que temporaire car certaines fondations sont en place pour produire un vrai changement. Il nous reviendra de tenir compte des raisons de notre échec actuel, sans compromissions sur nos idées.