Oublier 2017 et préparer 2022

par Bernard Dugué
mardi 13 décembre 2016

L’élection présidentielle de 2017 se présente sous de mauvais augures, traduisant une vie politique en crise. Trois grosses pièces de l’échiquier politique ont été sorties. Juppé, Hollande, Sarkozy. Parmi les grosses pointures en lice, deux anciens premier ministres. Valls et Fillon. En embuscade, Mélenchon à gauche et le Pen très à droite. Au centre, un aventurier qui a réussi à imprimer les consciences grâce aux médias, Macron. Demandez les programmes mais n’escomptez pas obtenir des devis précis et détaillés. La présidentielle est devenue une confrontation entre des sortes d’entrepreneurs proposant une construction du pays avec la puissance de l’Etat. Chacun présente ses plans, en essayant de montrer que c’est réalisable du point de vue financier. Les médias invitent chaque jour plus d’une dizaine de personnalités pour vanter le programme de son poulain tout en dénigrant celui des concurrents. Le spectacle donne l’impression d’une mise en scène de camelots faisant des apparitions chronométrées. Dans spectacle, il y a tacle, celui de Valls contre Peillon, celui de Mélenchon contre Fillon. Puis c’est au tour des journalistes de commenter les prestations tels des jurys d’une star academy ou d’un concours de chefs cuisiniers. L’image n’est pas usurpée. D’ailleurs, Sarkozy n’avait pas hésité à élaborer le menu des cantines scolaires. Deux portions de frites pour ceux qui ne prennent pas de viande !

Entrons maintenant au cœur du réacteur politique pour examiner ce qui se prépare en terme de vision, de projet, de conception de la société et de l’existence. Les Français ont le choix entre un seul programme décliné dans plusieurs versions. C’est d’ailleurs le même programme qui est proposé depuis des décennies aux Etats-Unis, au Japon ou en Europe. Un seul objectif, produire et travailler. C’est un objectif moderne. Hegel, prophète de l’Occident, n’avait-il pas déclaré que l’essence de l’homme c’est de produire, ou de travailler si l’on veut. L’homme a réussi à produire en masse grâce aux progrès techniques. Mais au lieu de se libérer du travail, la technique a imposé ses règles. Elle change la pratique du travail mais elle impose de plus en plus de travail. Du moins à l’échelle planétaire. Le système est globalisé et fonctionne selon le principe des vases communicants. Depuis 1990, l’économie a permis à environ un milliard d’individus de sortir de la pauvreté alors que dans les pays occidentaux, des dizaines de millions de travailleurs oscillent entre pauvreté, précarité, chômage, déclassement. Depuis 1980, les projets politiques soumis aux citoyens se sont axés essentiellement sur le produire. Avec de rares exceptions comme l’étrange parenthèse en France et le slogan du socialisme lancé par Mitterrand : « changer la vie ».

Et ce n’était pas si con comme idée. Changer la vie ! L’homme est la seule espèce possédant la capacité de changer les conditions matérielles de son existence et de réfléchir au sens et au type d’existence qu’il veut mener tout en organisant la vie sociale et en s’occupant de la gouvernance des cités et des Etats. Comment vivre ? Comment réinventer la vie ? Ces questions devraient être au centre des débats idéologiques et politiques. Avec une formule oubliée et pourtant si riche de bon sens. Il faut travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler. La critique du projet productiviste a connu son heure de gloire dans les années 1970, avec quelques figures emblématiques, Marcuse, Habermas, Illich.

En 2017, un seul programme, produire, travailler et sécuriser (sans oublier administrer). Après, c’est une question de nuances. Pour Fillon, c’est la préférence pour rééquilibrer l’économie de marché face à aux travailleurs de l’Etat. Le Pen propose une préférence nationale pour le travail. Montebourg opte pour une production française. Mélenchon veut mettre tout le monde au travail pour une transition sociale et écologique. Jadot a le même programme mais vendu dans un emballage vert au lieu de rouge. Macron se présente comme le candidat du travail. Valls se veut le garant d’une gauche non passéiste, autrement dit, ne plus changer la vie mais alors quoi ? Eh bien rendre l’économie française compétitive et donc adapter le travail et le produire à la concurrence mondiale. Le travail et l’entreprise sont donc au cœur de tous les programmes politiques présentés en 2017.

Si le « produire » s’avère être le pilier principal de chaque candidat, le second pilier reste le « sécuriser » ainsi que le marronnier présidentiel, « réforme de l’Etat ». Sécuriser les citoyens contre les menaces terroristes, contre les menaces sur la laïcité, sécuriser les aliments, l’air, le climat, le travail, la santé, les loisirs. On a fait le tour. Chacun ses mesures, ses astuces. Attention aux dérapages. Comme dit le vieux sage africain, « si tu ne veux pas rembourser le rhume, François, les électeurs vont te prendre en grippe ! ». Ou une autre brève de comptoir : « si tu refuses le droit à l’IVG, ta candidature risque d’avorter ! ».

Pour finir, les questions non prioritaires et pourtant si déterminantes. La politique étrangère pour gérer nos relations avec les gouvernants d’une population qui représente 100 fois la France. Après l’espace, le Temps. Avec la construction de l’avenir et bien évidemment, l’éducation, qui ne doit pas se limiter à fabriquer des travailleurs pour le système productif.

Il n’y a pas de projets alternatifs de société dans cette campagne. Même la transition écologique reste dans le cadre production, travail, sécurisation. L’action politique est déterminée par le faire, produire et effectuer les corrections du système avec des moyens techniques et des financements. La technique productive et consumériste engendre des dégâts qu’elle corrige avec des techniques thérapeutiques et réparatrices. La politique s’est peu à peu réduite à gérer une agence de moyens. Et ce ne sont pas les moyens qui constituent une fin pour la société ou alors si c’est le cas, cette société devient aveugle à son héritage et à l’avenir. Les politiques nous disent qu’ils répondent à l’attente des Français mais c’est l’inverse. Ils ont des réponses et s’imaginent que les Français ont des attentes qui correspondent aux réponses proposées.

En 2017, il n’y pas vraiment de choix radical en vue et chaque candidat envoie quelques messages à des catégories de Français qu’ils pensent être des clientèles fidèles, ces mêmes Français étant conditionnés par des messages médiatiques formatés par quelques intellectuels généralistes ou journalistes qui savent rien sur tout, secondés par les experts qui savent tout sur rien. Cela dit, il n’est pas forcément inutile d’aller voter. En plus, le président ne peut rien faire s’il n’a pas de majorité à l’assemblée dont les députés seront élus en juin 2017.

En 2022 il y aura le choix si la pensée revient dans la société, que les philosophes prennent la parole en discutant intelligemment du sens de la vie. La politique sera alors orientée vers des fins qui dépassent la question des moyens. Quoique, ça se discute. La politique peut très bien se contenter d’organiser les moyens, laissant les citoyens inventer les fins. Elle peut même créer les conditions pour que les citoyens puissent avoir des moyens pour les fins qu’ils inventent. A méditer.


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