Parti Socialiste : désembourber la gauche

par Denis Szalkowski
mardi 16 décembre 2008

Les enseignements de Tonio Negri, le mimétisme de l’organisation électorale du Parti Socialiste sur l’organisation administrative de la France doivent nous amener à repenser la gauche.

Le découplage des partis de la gauche de gouvernement avec le mouvement social les éloigne la gauche du pouvoir pour de très, très nombreuses années. A moins que...

La sortie de Mélenchon du PS en créant, avec le PdG, une base arrière pour ses amis restés au PS, la création du NEP (Nouvel Espace Progressiste) par Robert Hue, l’appel de Clémentine Autain à la création d’une fédération, l’arrivée prochaine du NPA de Besancenot, la disparition électorale au niveau national de LO et du PCF sont autant de signaux d’un processus de décomposition de la gauche politique dans notre pays. Le non-choix des militants socialistes lors du congrès de Reims et le 50-50 entre Martine Aubry et Ségolène Royal sont autant de réalités qui confirment cette triste impression.

Comme pour mieux l’accompagner, Sarkozy et Bayrou y travaillent chacun à leur façon. Pour le chef de l’UMP, la stratégie d’ouverture s’appuie sur le fait que les représentants de la gauche politique sont loin d’être sociologiquement de gauche. Les passerelles en sont alors rendues beaucoup plus faciles. Pour François Bayrou, la dégradation de l’image du Parti Socialiste auprès des sympathisants de gauche lui permet sereinement de se présenter comme le leader naturel de la gauche et du centre contre la droite aux prochaines élections présidentielles de 2012. Sans doute, faut-il y voir les raisons de l’acharnement du chef de l’UMP à poursuivre son débauchage en direction, notamment, des radicaux de gauche ?

Tous ces événements récents posent clairement la question de la mise en place de nouveaux outils politiques de conquête pour la gauche de gouvernement.

Un mode de fonctionnement archaïque...

Combinaison issue de l’organisation administrative de la France et des modes de fonctionnement de la République, les structures du Parti Socialiste en font aujourd’hui une machine à perdre. La schizophrénie institutionnelle du Parti Socialiste mâtinant parlementarisme (pour des raisons historiques et culturelles) et présidentialisme (pour des raisons de circonstances liées à la nécessaire adaptation au quinquennat) explique aujourd’hui sa réelle complication à se ré-autonomiser à défaut de le ré-enchanter.

En milieu rural et dans les villes de taille moyenne, les sections du Parti Socialiste sont rattachées aux cantons. Dans les grandes villes, elles sont liées aux arrondissements. Le choix des candidats se fait sur des critères "locaux" à la manière du fonctionnement du Parti Radical sous la troisième République. Dans ce cadre, il n’y a vraiment pas de quoi se gargariser des succès locaux du Parti Socialiste. Ils sont endogènes à son mode d’organisation. La résistance électorale du PCF observée lors des dernières municipales et cantonales de 2008 peut d’ailleurs s’expliquer sur le même mode. Du fait de leur faible surface électorale, les Verts et le PCF sont organisés désormais selon des unités administratives plus importantes. Ils ont intégré et anticipé la place de plus en plus grande réservée à la Région du fait que les règles administratives de la France sont induites des directives européennes.

L’incapacité à gagner les élections nationales s’explique par un autre facteur qu’avait mis en évidence Antonio Negri. Les organisations politiques de gauche reproduisent le mode de fonctionnement de l’entreprise industrielle taylorienne. Dans les partis, il y aurait d’un côté les producteurs (militants colleurs d’affiche) et les cadres (membres des instances nationales et fédérales). Mais la vision d’Antonio Negri n’a pas intégré le fait que la division du travail fait aujourd’hui que la rédaction des projets politiques, la communication sont confiés à des professionnels qui se situent en dehors des partis. Les représentants politiques brillent alors par leur qualité de bon répétiteur.

En voulant un chef à tout prix afin d’éteindre le feu qui couve, les socialistes font un contre-sens historique qui emprunte autant à la thèse de Tonio Negri qu’à l’accident mitterrandien. A gauche, Mitterrand était un homme de droite. Et c’est en homme sociologiquement de droite qu’il a su comprendre que les divisions des socialistes étaient culturellement insurmontables. L’échouage en eaux profondes de Ségolène Royal tient en sa croyance en la possibilité de reproduire le hold-up mitterrandien. L’histoire ne se répète pas. N’est pas Mitterrand qui veut ! En cela, en quoi les schémas tactiques de Delanoë, d’Aubry ou de DSK se différencient-ils du schéma tactique de la présidente de la région Poitou-Charentes ?

...amplifié par les tarres de la société française !

Plus perceptibles à gauche, la tension sur l’emploi et la guerre des places telle que l’avait évoquée Vincent de Gaulejac n’ont fait que renforcer la professionnalisation de la vie politique française. Les représentants nationaux du Parti Socialiste proviennent, pour l’essentiel, de l’ENA. Élu(e)s, les énarques nomment des assistants parlementaires qui deviennent alors des représentants de deuxième division promis à la première, fidèles à ceux qui leur ont mis le pied à l’étrier. Les liens "alimentaires" expliquent alors de bien curieuses "solidarités" idéologiques qui résistent à l’épreuve du temps. Il faut y voir une réelle complication des socialistes français à s’opposer frontalement au cumul des mandats.

L’autre mode d’accession au pouvoir au sein du Parti Socialiste est manifestement l’appartenance aux loges franc-maçonniques. La spécificité de la maçonnerie française est avant tout cette culture du secret qui l’entoure et qui la pervertit. Les maçons auraient les clés leur permettant de comprendre le fonctionnement du monde. Chez les socialistes, on pourrait se contenter de leur demander d’essayer de comprendre le fonctionnement de la société française. Les hiérarchies ou grades au sein des loges font que les décisions se font très souvent en dehors du Parti Socialiste. Pour preuve, ce sont bien les "frangins" qui ont demandé à Ségolène Royal de mettre en sourdine sa contestation du scrutin des 20 et 21 novembre derniers. Les modes de désignation aux élections locales se font aussi dans le secret des loges. Ce n’est pas complètement un hasard si les plus grosses fédérations sont tenues par des franc-maçons.

On pourrait enfin évoquer le népotisme, cette gangrène qui ronge la société française. Au sein du Parti Socialiste, le phénomène est extrêmement récent. Mais il est réel. L’arrivée de Martine Aubry est, en la matière, tout un symbole qu’il conviendrait, certes, de relativiser. Ajoutons-y un repli communautaire et identitaire qui creuse artificiellement les différences comme pour mieux "apparaître" dans cet îlot d’indifférence.

Que faire : concilier les engagements événementiels et structurels !

La loi Marleix qui prévoit le transfert des compétences des communes vers des communautés de communes élargies et des départements vers les régions n’a toujours fait l’objet d’aucune anticipation des hiérarques socialistes englués qu’ils sont dans le grand souci de leurs petites personnes, de leurs amis. L’échelle cantonale n’est plus adaptée à l’affaiblissement continu du militantisme politique. Car, à ce rythme, les salles seront bien trop grandes pour réunir les militants des sections. Elles le sont déjà. Le PS a perdu plus de 100000 adhérents depuis 2007, soit près de 2/5 de ses effectifs.

Nicolas Sarkozy, avec l’UMP, a réussi à fédérer les droites. Conscient que son œuvre est partiellement achevée, il cherche à donner un véritable cadre fédéral à ce Parti, le mettant ainsi à l’abri d’une guerre des chefs que la conquête du pouvoir aura su atténuer le temps d’un quinquennat. La proposition de Clémentine Autain s’inscrit dans cette même logique. Mais là où l’alter-mondialiste le pense à la gauche du Parti Socialiste, il est urgent que les socialistes le fassent au centre de la gauche. Quelles sont les différences réelles, aujourd’hui, entre un radical, un Vert, un alternatif, un communiste et un socialiste en dehors d’un vague sentiment identitaire qui donne une consistance à son engagement ? Il est temps de se poser la question et d’essayer de travailler sur nos valeurs... communes pour sortir du processus de décomposition qui risque de nous plonger dans une longue, longue cure d’opposition. Elle a d’ailleurs déjà commencé. La question est de savoir à quel niveau de décomposition nous en sommes aujourd’hui.

La constitution d’une fédération permettrait aussi de fournir un cadre aux sympathisants et aux électeurs qui souhaitent s’engager le temps d’une campagne. La raillerie permanente à laquelle ont été confrontés les militants à 20 euros est symptomatique de l’incapacité à accepter des modes d’engagement différents. Au lieu d’additionner, le Parti Socialiste ne fait que soustraire. En terme d’image, elle coûte chère à la gauche. Cette fédération de la gauche de gouvernement permettrait aussi de sortir du cadre des Partis et des appareils lors de la désignation des candidats. Ils n’en auraient alors que plus de légitimité !

Du haut de ces 3 petites années passées au sein du Parti Socialiste, j’ai surtout le sentiment d’avoir rencontré des militants en incapacité de penser par eux-mêmes les réponses à trouver aux maux de la société française. Je n’ai d’ailleurs pas la prétention de m’en singulariser. L’absence de travail intellectuel entraîne la production de réponses simples à une société qui ne cesse de se compléxifier... souvent artificiellement. Elle confine au choix d’une rhétorique défensive qui, par son caractère répétitif, finit par jouer à contre-emploi. La sous-traitance programmatique que le Parti Socialiste a confié à quelques économistes, sociologues et philosophes n’est pas de nature à réarmer la gauche. La paresse qui nous a envahis entraîne aussi à croire que l’habileté à la parole est un élément nécessaire et suffisant pour faire de la politique à gauche. Ce n’est pas de beaux parleurs qui parlent avant tout pour ne rien dire dont la gauche et le Parti Socialiste ont besoin.

Il faut d’urgence, de toute urgence réintellectualiser le débat. C’est aussi à ce prix que nous pourrons désembourber la gauche.

Crédit photos  : Au feminin


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