Parti socialiste espagnol et immigration : l’idéologie cède face à la réalité

par stephane rossard
mercredi 13 septembre 2006

José Blanco, haut dirigeant du Parti socialiste espagnol, s’est prononcé pour un coup de frein à l’immigration en Espagne. Raison avancée : le marché du travail ne peut plus « absorber » (ses propres termes) d’immigrants. Apres les régularisations massives, pièce maîtresse, pourtant, de la politique du gouvernement socialiste, voilà qui annonce un virage à 180 degrés ! Ou comment l’idéologie cède le pas à la réalité !

Le numéro deux du Parti socialiste espagnol, José Blanco, n’y a pas été avec le dos de la cuillère. Ainsi, dans une interview donnée au quotidien de centre gauche El Pais, il a déclaré : « Nous estimons que le marché du travail espagnol a absorbé ce qu’il pouvait. » Avant d’ajouter : « L’entrée illégale en Espagne ne peut conduire à la régularisation. À un moment donné, il faut fixer une limite. » Voilà qui revient à exclure toute nouvelle régularisation massive d’immigrants.

Il a même poussé les feux du politiquement incorrect, en estimant que « l’immense majorité » des quelque 800 000 étrangers actuellement en situation irrégulière en Espagne « devront être expulsés ».

Un véritable pavé dans la mare, dans le jardin des socialistes. Des déclarations à prendre très au sérieux. Elles pourraient préfigurer la nouvelle ligne du Parti socialiste. Il y a tout lieu de le croire. En effet, il serait fort surprenant que les propos de José Blanco, très proche collaborateur de M. Zapatero, soient désavoués par le chef du gouvernement espagnol.

Plus qu’une conversion sincère, il faut y voir plutôt un net changement, intervenant sous la pression des faits, de l’opinion publique et de ses partenaires européens. Nous sommes donc dans l’exemple type de l’idéologie qui n’est plus tenable face à la réalité.


Les faits, d’abord : l’Espagne, qui connaît l’un des plus forts taux de croissance économique de la zone euro, a vu en dix ans l’immigration multipliée par dix, un phénomène entamé sous les gouvernements conservateurs de José Maria Aznar (1996-2004).

Les étrangers, principalement Marocains, Latino-Américains et ressortissants des pays européens de l’ex-bloc de l’Est, se sont jusqu’ici facilement intégrés à une économie florissante, dopée par le boom de la construction, alors que les arrivées surmédiatisées sur l’archipel des Canaries, à l’origine de la crise actuelle, sont officiellement moins de 200 000 !

Entre 1996 et 2006, le nombre d’étrangers légalement installés dans le pays est passé de 257 000 personnes à quelque 2,8 millions ! Comment tenir à long terme ce rythme ?

L’Europe, ensuite : en 2005, quand le gouvernement Zapatero régularise 580 000 immigrants irréguliers, il s’attire les foudres de ses partenaires européens. Ces derniers l’accusent à la fois de créer un appel d’air au lieu de dissuader les futurs immigrants, et de faire cavalier seul alors que l’Europe, en la matière, face à la pression croissante à ses frontières, a un besoin impérieux de coordination des politiques nationales.

Réclamant il y a peu la solidarité de l’Union européenne (UE) pour tenter de contrôler l’afflux d’ampleur sans précédent d’immigrants clandestins africains aux Canaries, le gouvernement s’était fait gentiment renvoyer dans ses cordes par ses partenaires européens.

Comme l’a rappelé Nicolas Sarkozy à l’époque : « Que les États qui se sont livrés à des régularisations massives sans demander l’autorisation ou même l’avis de leurs partenaires ne s’étonnent pas aujourd’hui de se retrouver en première ligne des flots de clandestins massifs. »


L’opinion publique, enfin. À la faveur de la crise des Canaries, l’immigration clandestine s’est hissée au premier rang des préoccupations des Espagnols. Selon un récent sondage, 89% jugent que « trop d’immigrants arrivent en Espagne ».


Un virage spectaculaire, qui n’est pas sans rappeler celui des socialistes français, dans le domaine de l’économie, en 1983, qui avaient dû se résoudre, contrairement à leurs engagements, à mener une politique d’austérité.

A croire que c’est le principe de réalité qui a toujours le dernier mot, même sur le meilleur des volontarismes !


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