Pays-Bas, la crise des politiques
par Euros du Village
jeudi 30 novembre 2006
Alors que personne n’aurait parié sur un nouveau gouvernement de coalition de droite il y a encore trois mois, Jan Peter Balkenende a réussi à se faire reconduire à la tête du gouvernement néerlandais la semaine dernière. Loin d’être un plébiscite de la politique qu’il a menée ces quatre dernières années, ce vote a plutôt été l’occasion de voir que les Pays-Bas ne sont malheureusement pas sortis d’une situation politique et sociale tendue. Les chrétiens-démocrates ne doivent en effet leur victoire qu’au naufrage du parti social-démocrate, concurrencé sur sa propre gauche. La droite institutionnelle est sortie elle-même affaiblie d’une élection étrange, où les vrais sujets qui fâchent semblaient avoir été soigneusement évités. Une élection par défaut, en quelque sorte, grâce au scrutin proportionnel et au système de coalition.
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Comparatif des résultats 2006/2003, en % (participation 2006 : 80,1 %) |
Tweede Kaamer (Assemblée parlementaire) CDA (chrétiens démocrates) : 41/44 PvdA (parti du travail, sociaux-démocrates) : 32/42 VVD (libéraux) : 22/28 SP (parti socialiste, extrême gauche) : 26/9 LPF (Pim Fortuyn) : 0/8 Groenlinks (Verts) : 7/8 (Groenlinks) D66 (sociaux-libéraux) : 3/6 ChristenUnie - CU (Union chrétienne, protestants) : 6/3 SGP (parti politique réformé, protestants) : 2/2 Partij voor de Dieren - PvdD (défense des animaux) : 2/0 GW/PvdV (dissidents de Wilders) : 9/0 Situation à l’Eerste Kaamer (Sénat) CDA : 23 PvdA : 19 VVD : 15 Groenlinks : 5 SP : 4 D66 : 3 SGP : 2 ChristenUnie : 2 LPF : 1 OSF : 1 |
En terme de résultats, ce qui devait arriver arriva. Le CDA, très impopulaire les deux premières années à la tête de la coalition gouvernementale, pour cause de cure d’austérité économique imposée aux travailleurs néerlandais, a pu sauver les meubles avec 26,6 % des voix, en mettant en avant ses résultats sur le plan économique (avec le retour timide de la croissance) ou sa batterie de lois anti-immigration, et en ridiculisant quelque peu la pâle formation sociale-démocrate que l’on donnait gagnante au début de l’été. Les libéraux du VVD, deuxième parti en taille dans la coalition gouvernementale, obtiennent 14,6 % et perdent 6 sièges sur 28 à la Chambre des députés, payant sans doute le prix de leurs divisions internes face au « cas » Verdonk, et au départ de certains de leurs cadres comme M. Wilders. Ce dernier a pu capter presque 6 % de l’électorat, quasiment uniquement sur la question de l’immigration. Il est intéressant de noter que dans le même temps, la liste Pim Fortuyn, qui survivait difficilement, semble avoir été définitivement évacuée du paysage politique en perdant les huit sièges qu’elle avait au Parlement. M. Wilders et les neuf députés élus sur sa liste peuvent être considérés comme les dignes successeurs du défunt Fortuyn à la tête de la droite populiste. Dernier parti d’importance à droite, la Christen Unie, qui représente la frange calviniste très conservatrice aux Pays-Bas a doublé son score par rapport à 2003 en passant de trois à six députés. Ces derniers ont apparemment déjà accepté de rentrer dans les rangs d’une nouvelle coalition de droite.
Si la droite traditionnelle, et notamment le VVD, ont souffert sur leur propre droite, c’est à gauche qu’a eu lieu un petit tsunami électoral. Le PvdA, dont tout le monde prévoyait une victoire certaine il y a quelques mois, s’est vu grignoté sur sa gauche par le SP. Au fil des semaines, les sondages montraient le recul lent mais certain des sociaux-démocrates, tétanisés par Marijnissen. Ce dernier a ainsi quasiment triplé son score des précédentes élections législatives en obtenant 26 sièges à l’assemblée parlementaire, alors que dans le même temps le PvdA en perdait 10 pour passer de 42 députés à 32 seulement. Les échos de négociations en vue d’une coalition de gauche entre le PvdA, le SP et les Verts (Groenlinks) avaient relancé l’idée que la gauche pouvait l’emporter. Mais cette perspective s’est vite effacée au vu des divergences importantes entre ces partis, qui, de toute façon, ne pouvaient faire basculer le Parlement à gauche à eux trois.
Au total, les résultats de ces élections montrent, une fois encore, que la France et de nombreux pays d’Europe de l’Ouest connaissent des évolutions politiques similaires. Face à la dureté de la vie économique et sociale et à la morosité ambiante, les Néerlandais, pourtant très critiques il y a peu vis-à-vis du gouvernement, ont préféré voter à droite. Le Balkenende ferme, austère, et « bon gestionnaire », aura été préféré à une gauche sociale-démocrate très pâlichonne. Pourtant, la question de l’immigration a priori traitée avec fermeté par le gouvernement pollue toujours autant le vote, dans le pays ouest-européen qui est le seul à connaître un solde migratoire négatif ! A l’image de notre ministre de l’intérieur qui n’en finit pas de faire monter la pression dans les quartiers pauvres, M. Balkenende et Mme Verdonk n’auront fait que couvrir la marmite bouillante pour mieux souffler sur les braises xénophobes. Le résultat logique est que la droite institutionnelle sort affaiblie (CDA), voir déconfite (VVD) des élections, pendant que certains opportunistes (Wilders) captent l’électorat toujours aussi colérique. A gauche, il y a comme un syndrome 21 avril dans l’air, avec une sociale-démocratie balbutiante et tétanisée face à une gauche de la gauche à son tour désinhibée. Ce résultat est d’ailleurs sans appel quand on voit que la participation se situe à 80,1 %. Les analyses plus fines à venir nous diront sans doute dans quelle mesure cet afflux de voix a profité aux extrêmes, mais les seuls résultats d’aujourd’hui ne portent pas à l’optimisme. Tout juste peut-on ajouter qu’à la différence de la France, les Pays-Bas connaissent un système gouvernemental de coalition. La montée des extrêmes ne peut donc encore paralyser le vote démocratique. Pourvu que ça dure.