Pire que la crise économique de 2008, le krach de civilisation

par Bernard Dugué
mardi 6 mai 2014

I. UN TABLEAU DE LA SITUATION

Les bavards n’ont cessé d’agiter les inquiétudes sur cette crise de 2008 amorcée par la faillite de la banque Lehman Brothers consécutivement aux prises de positions financières sur les subprimes et autres produits toxique. Panique généralisée liée aux risques systémiques pouvant engendrer un effet domino. Les pouvoirs politiques et financiers sont intervenus. Le candide se demande pourquoi si le politique peut contenir une crise financière aux conséquences jugées par certain comme étant sismique, il ne peut pas résoudre le chômage. La réponse est évidente. Créer des emplois n’est pas une chose aisée. Cela dépend de la situation des entreprises, des carnets de commande, du pouvoir d’achat et des produits fabriqués avec en plus la concurrence internationale. Bref, un emploi demande beaucoup d’application et d’effort pour être créé. Il est plus facile de détruire un emploi que d’en créer. Quant à la finance, avec les transactions, les banques centrales et la signature des fonds étatiques, quelques jeux d’écriture bien placés avec beaucoup de zéros dans les chiffres permettent de trouver des solutions. Voilà pourquoi il ne faut pas prendre le chômage avec le levier de l’emploi mais se préoccuper des pauvretés en usant du levier monétaire pour renflouer les citoyens à bas revenus en octroyant un impôt négatif tout en jouant de la BCE. Ayant eu l’occasion à plusieurs fois d’évoquer ces solutions, j’ai dû remballer mes espérances. Ces solutions sont tout à fait réalisables. Le problème est d’ordre moral. La plupart des gens sont dans un tel état de décomposition morale et idéologique que l’idée de soutenir des « pauvres » les repousse.

La crise financière puis économique n’est qu’un point de détail à côté de la crise de civilisation dans laquelle les sociétés sont entrées depuis près de deux décennies, avec une amorce au cours des deux décennies précédentes, 80 et 90. C’est cette crise de civilisation qui a amené le déroulement de la crise de 2008 et des précédentes. On peut en voir quelques causes. L’avènement de l’individualisme, la décomposition des élites devenues cupides et étrangères au sort du monde, la complicité des dirigeants aux élites elles aussi corrompues, le souci du matérialisme, l’ensorcellement technologique, le règne de la technique et de l’argent et pour donner un peu plus d’efficace à ces forces de décivilisation, la globalisation. Cette crise est aussi celle de la Modernité. Auquel cas, elle remontre à quatre siècles avec des moments successifs, notamment l’avènement de l’industrie et des sociétés de masse. Et quelques rêves collectifs, comme dans les années 1960-70.

La crise de 2008 s’explique ainsi avec quelques processus bien connus. La concentration des épargnes, rentes et hauts revenus. Avec l’appui de la fiscalité qui en France, a accentué la bulle immobilière tout en amputant les revenus des masses locatives. L’argent ne sait plus où se placer. Nombres de fortunes sont placées dans des placements spéculatifs qui ne participent pas au capitalisme productif. Il y a l’immobilier certes mais aussi l’or, les œuvres d’art. D’un autre côté, les gens ne sont pas assez solvables, les carnets de commande ne sont plus poussés par la consommation de masse et la concurrence des pays émergents amoindrit les productions exportables. Voilà pourquoi le chômage n’a fait que croître et ne disparaîtra pas de sitôt. Il va continuer à augmenter car le terrain financier, économique et politique n’a pas changé. Les 50 milliers d’économie du plan de rigueur, présenté comme pacte de responsabilité, ne peuvent d’étendre le chômage et la pauvreté. C’est ce qui s’est passé en Grèce, en Espagne, au Portugal. Il n’y a aucune raison pour que ces phénomènes socioéconomiques épargnent la France. Mais ces 50 milliers peuvent éventuellement sauver quelques industries et surtout rassurer les investisseurs pour prendre de l’emprunt français. Ces 50 milliards serviront au moins à éviter que les taux d’intérêt ne montent, entraînant la France dans un engrenage dangereux.

Le chômage va augmenter ou au mieux se stabiliser. Les ultrariches pourront continuer à occuper les centres-villes qu’ils convoitent. A New York, une tour livrera bientôt des appartements à 50 000 euros le mètre carré. Impressionnant. Imaginez qu’avec 100 000 euros vous pouvez vous offrir un placard à New York ou un quatre pièces à Marmande. D’autres villes flambent sous la spéculation. Les riches prennent d’assaut certains quartiers célèbres, chassant par la loi du marché les populations moyennes. C’est le cas à San Francisco. A l’inverse, Detroit est en faillite et désertée. Pour 100 000 euros on doit bien avoir une maison dans cette ville sinistrée. Vaut-il mieux vivre dans un placard au centre de New York ou dans une maison à Detroit ? La solution est vite trouvée. Les riches à New York et les pauvres à Détroit. Tout comme les riches dans le triangle d’or à Bordeaux, les classes aisées dans le centre réhabilités et les pauvres dans les tours bétonnées de la rive droite. Les riches dans le 16ème les pauvres à Saint-Denis et Aubervilliers. Les riches dans le rectangle d’or près de la place Masséna à Nice, les pauvres à l’Ariane. Le Marché aime l’apartheid et l’apartheid aime le Marché.

Mais l’engrenage qu’il faut le plus redouter, c’est celui qui conduit au krach de civilisation. Perte du sens civique, du lien social, de la mixité sociale, écarts de revenus, recentrage sur soi, égoïsme, défense des intérêts personnels, carriérisme, déchéance sur fond de narcissisme et de cupidité, dévotions technologiques, abrutissement de masse par des loisirs de masse, des produits culturels de masse dont la promo est effectuée par des médias de masse. Coluche nous dirait qu’il est temps de ne plus se faire chier avec cette télé qui injecte de la merde dans le cerveau des spectateurs ! La retenue, la morale, le bon goût et les valeurs ne sont plus de mise en cette époque ou l’Internet relaie tout et n’importe quoi, les œuvres de Platon autant que la bêtise de masse et l’idiotie ambiante. Les médias de masse secondés par une masse de médias.

Il y a 70 ans, la France se libérait de l’Occupation. Maintenant, le Marché occupe la France et le monde, avançant aussi sûrement que la Wehrmacht en 39. Le pour cent d’ultrariches gère le monde à sa guise. Pourquoi cette étrange défaite, comme en 39 ? Les historiens peuvent se renseigner en étudiant le livre de Marc Bloch. Et en 2014, qui pour écrire l’étrange défaite de la société face au Marché ? Dans les quartiers historiques de San Francisco, les « autochtones » tentent de résister à la gentrification causée par la génération high tech issue des entreprises numériques. Ce n’est pas le Capital qui œuvre mais des employés à très hauts revenus qui délogent les habitués en poussant l’immobilier vers la hausse. Cet exemple symbolise l’avancée triomphale du Marché et en face, une armée mexicaine d’anciens gauchistes et de néo-nationalistes aboyant en ordre dispersé. Ce triomphe du Marché est aussi dû à la capitulation des corps intermédiaires, les syndicats, les partis politiques, les élus locaux, les intellectuels, les professeurs, les journalistes. Ainsi court le monde avec ses bataillons de l’« étrange défaite » et toute cette collaboration des gens avec le matérialisme et les productions de masse du Marché. Sans oublier la bureaucratie, les normes sociétales et techniques décrétées en haut lieu pour se substituer aux responsabilités individuelles et encadrer les libertés. Un peu de vent et les plages sont interdites. Bientôt, il deviendra obligatoire de se soigner et de passer par un bilan de santé comme on passe une automobile au contrôle technique. Le Marché et l’Etat qui sont devenus maîtres du Capitalisme à l’époque post-marxiste de l’ultime crise. Sinon, c’est le Marché et le Chaos avec les corruptions dans les pays aux Etats faiblards.

Cette crise est à la fois celle de la transmission, de l’instruction et de la création. Les élites piétinent les valeurs et le parviennent plus à élever les masses vers le haut. D’un autre côté, ces masses contribuent à piétiner l’autorité, avec comme signe marquant la désaffection face à la haute culture, la consommation de produits culturels bas de gamme et parfois, des actes d’incivilités face aux dépositaires du savoir. Un directeur d’école sur deux harcelé par des parents. Les professeurs de collège et lycée chahutés par les élèves et parfois conspués par des parents d’élèves devenus consommateurs d’éducation pour donner aux fistons un billet vers l’intégration dans le travail et le marché. Inutile de s’étendre. Il faudrait un livre pour décrire la situation des sociétés occidentales. Et surtout inverser les causes en tentant de montrer que c’est la crise économique est plus un effet qu’une cause. J’ai omis l’université qui elle aussi, peine à transmettre les savoirs et se complait dans une transformation conduite par les impératifs du Marché ou alors les velléités bureaucratiques des professeurs fonctionnaires et autres cadres administrateurs. L’université française est à l’image de la civilisation, un naufrage !

II. L’ILLUSION POLITIQUE ET LE DEGAGEMENT DE SITUATION

Dégage ! Un mot à la mode. En fait, c’est moi qui vais dégager. Je ne vote plus et je me place sous l’égide du doute et de la docte défiance. La crise de civilisation est le seul enjeu. Les jeux politiciens n’ont pas d’incidence. Les partis politiques sont tous divisés. Les Français sont aussi divisés. Il n’y a pas de cohérence. La vie politique est devenue consternante. Au niveau du commentaire sportif et culinaire. Les responsables politiques tournent dans les studios pour commenter ce que les autres font ou disent. Les journalistes en vivent, ils entretiennent ce système. Avec un tel état de décomposition, y compris dans la vie citoyenne, autant se dégager car il n’y a pas de solution. Même le président se met à commenter. Le grand retournement arrive. Après le Roi soleil, François Hollande en Monsieur soleil et sans Madame. La crise de civilisation est actuellement incurable, comme le cancer. Autant passer au stade de compréhension et méditation. Je relis Etre et Temps de Heidegger dans la traduction Martineau. C’est fulgurant. Je vois le Dasein en mouvement dans le monde. Mais je n’ai rien de spécial à en dire, vu que la plupart n’ont rien de spécial à entendre. Le Dasein, c’est une connivence. Quand les gens sont pris dans la frénésie du mouvement, le Dasein reste dans l’inachevé et moi avec ! On connaît parfaitement le montant de la dette souveraine mais on peut rien évaluer de la dette du Dasein et de l’état des consciences. Ce qui veut dire que le krach de civilisation est possible mais pas encore enclenché. Nul ne peut sonder les âmes, mortes ou vivantes.

Aucune solution politique en vue pour des problèmes qui ne sont pas posés car plus personne ne pense au-delà des horizons convenus et cadrés par les œillères trop humaines. La politique, c’est devenu une chose qu’il ne faut pas délaisser. L’Etat, une grande entreprise dont chaque actionnaire à un droit de vote pour révoquer le conseil d’administration. Ou une sorte de syndic qui régulièrement convoque les copropriétaires tous les cinq ans. Bref, le politique est autant responsable que le citoyen consommateur dans cette situation dont on peut choisir de se dégager après en avoir fait le tour. C’est ce que j’ai fais. Je pense avoir compris l’essentiel. Il est temps de passer au Dasein, au concept de la vie et de prendre appui sur les épaules de Darwin et Einstein pour comprendre l’univers.

 


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