Politique du patrimoine : il faut sauver le ministère de la Culture

par Terra Nova
vendredi 9 septembre 2011

Alors que la période estivale est l’occasion de redécouvrir le patrimoine de notre pays, cette note de Terra Nova s’interroge sur les orientations actuelles de la politique culturelle en la matière. Depuis de nombreuses années, les grands opérateurs comme le Louvre ou la BNF ont été renforcés à tous égards, tandis que le ministère de la Culture, rue de Valois comme dans les directions régionales, s’est appauvri et affaibli dans ses fonctions de pilotage. Pour Jim Langlois, il faut rééquilibrer la situation en rétablissant le ministère dans sa légitimité, en lui redonnant les moyens de jouer son rôle de pilote, et en recentrant les grands opérateurs sur leurs missions de service public.

Le patrimoine culturel de la France est sans conteste l’un des plus prestigieux au monde. Les chefs-d’œuvre de nos musées, la beauté de nos monuments, les trésors de nos bibliothèques sont pour chacun d’entre nous un héritage commun participant tant à notre épanouissement individuel qu’au rayonnement de notre pays. Préserver cet héritage, mais aussi l’enrichir, constitue l’axe fondamental de la politique patrimoniale française depuis la création du ministère de la Culture en 1959. Cette politique a connu ses heures de gloire mais connaît aujourd’hui des difficultés mises notamment en exergue dans le rapport public thématique de la Cour des comptes « Les musées nationaux après une décennie de transformations », publié le 30 mars 2011.
 
Ce contexte difficile, dont tout donne à penser qu’il sera durable, amène à se pencher sur les orientations actuelles de la politique publique du patrimoine. L’adéquation de ces orientations tant avec les restrictions de moyens présentes et à venir qu’avec l’objectif de démocratisation culturelle, apparaît problématique.
 
Deux orientations caractérisent aujourd’hui la politique publique du patrimoine :
- La première est une tendance à la démultiplication. A l’ère des grands projets patrimoniaux, peu nombreux et guère contestables, semble avoir succédé l’ère des « moyens projets », aussi multiples que mal définis. Ces projets sont devenus aujourd’hui comme, hélas, la plupart des lois, des réponses plus ou moins habilement médiatisées aux attentes réelles ou supposées des Français. Le musée de l’histoire de France, seul choix culturel marquant annoncé par le Président de la République, en est l’illustration.
 
- La deuxième est une tendance à l’autonomisation. Elle naît de la conviction, chez certains, que la grande machine planificatrice et interventionniste que serait, depuis sa création par Malraux, le ministère de la Culture, a fait son temps. Place, désormais, aux « grands opérateurs », c’est-à-dire aux établissements publics, plus efficaces, plus réactifs, plus productifs. Mais aussi plus chers, comme le montre le rapport de la Cour des comptes de mars 2011 sur les musées nationaux : depuis dix ans, les dépenses budgétaires et de personnel du Louvre, de Versailles ou du centre Pompidou connaissent une forte croissance. Compte tenu de la gourmandise de ces « opérateurs culturels globaux », pour reprendre la formule de la Cour des comptes, on peut prévoir que la politique publique patrimoniale de la France se réduira bientôt à une quinzaine de géants ayant écrasé tout le reste.
 
Face à ces évolutions, tant l’administration centrale que les directions régionales des affaires culturelles du ministère de la Culture paraissent aujourd’hui bien peu en mesure de rétablir une certaine cohérence dans ce paysage de plus en plus éclaté. Alors que les grands opérateurs attirent à eux la plus large part des moyens budgétaires et humains alloués au ministère, les services centraux et déconcentrés n’ont plus guère la capacité de mener à bien cette mission de tutelle qui permettrait justement de parvenir à une allocation raisonnée de ces moyens et à une nécessaire péréquation territoriale, conforme à l’esprit de la décentralisation.
 
A cette faiblesse s’ajoute une certaine désorganisation née de la refonte de l’administration centrale du ministère de la Culture en 2010. En regroupant au sein de trois directions générales les dix directions précédentes, en renforçant les prérogatives du secrétariat général, cette réforme de structure était censée doter le ministère d’une administration centrale plus puissante car plus resserrée, et de circuits de décisions plus efficaces, notamment en matière de gestion. Mais les effets attendus tardent à se manifester : au-delà des dysfonctionnements inhérents à toute phase de rodage d’une organisation nouvelle, on peut craindre que la répartition complexe des pouvoirs entre le secrétariat général et les trois directions générales n’aboutisse à des conflits durables de prérogatives au sein même de l’administration centrale, au détriment, naturellement, d’un exercice efficient de la tutelle.
Il est donc nécessaire de repenser cette politique en se fondant sur ses valeurs originelles de démocratisation, de désintéressement et d’innovation, mais aussi en tenant compte des contraintes budgétaires présentes et à venir.
 
Quelques pistes en ce sens, visant à rééquilibrer moyens et pouvoirs entre l’administration centrale et ses opérateurs :
- Des opérateurs recentrés sur leur cœur de mission de service public
Avant tout, il faudrait se demander si la multiplication d’institutions nouvelles est réellement bénéfique pour la politique publique du patrimoine. Associer son mandat à la création d’un nouveau musée a longtemps été l’objectif des ministres successifs, voire des présidents. D’où l’amoncellement actuel d’institutions patrimoniales de plus en plus difficiles à financer.
Au-delà de ce questionnement nécessaire, une redéfinition des objectifs des « opérateurs culturels globaux » serait nécessaire. Les moyens accrus et l’autonomie de moins en moins remise en cause par la tutelle ont conduit ces opérateurs à s’orienter vers un modèle entrepreneurial se traduisant par une sacralisation de la « logique du chiffre » : toujours plus de fréquentation, de subventions publiques et de ressources propres. Au risque d’une confusion entre les principes de saine gestion applicables à tout établissement public administratif et une recherche du profit tous azimuts étrangère au service public. Il faut donc aujourd’hui soit aller jusqu’au bout de cette logique et affirmer le caractère industriel et commercial des grands opérateurs dans leur statut, soit – et c’est de loin préférable – recentrer musées, monuments et bibliothèques sur leurs cœurs de métier. Moins fastueux certes, les établissements seront aussi moins coûteux pour la collectivité et plus en phase avec leurs missions de service public.
 
- Une administration centrale rétablie dans sa légitimité
Une administration centrale trop affaiblie n’est plus en mesure de relayer la politique culturelle voulue par les électeurs et incarnée par le ministre. Le domaine du patrimoine doit, comme le reste du service public, relever avant tout du politique et tel n’est plus le cas si le ministère ne dispose plus d’une autorité suffisante pour s’imposer à ses opérateurs. Faute de cette autorité, le patrimoine sortira du débat public et l’on pourra alors légitimement se demander, comme l’a fait un ancien ministre de la Culture il y a quelques années, si ce ministère a encore une raison d’être.
 
Or, cette raison d’être réside précisément dans la défense des valeurs fondatrices du ministère de la Culture tel que l’a voulu Malraux : démocratisation, décentralisation, innovation. Ces valeurs ne peuvent être portées par un simple agrégat de grands établissements publics qui ont avant tout pour objectif – et c’est bien légitime – leur propre réussite. Ainsi, seul le ministère peut garantir, par son administration centrale et ses services déconcentrés, la poursuite de la politique de décentralisation culturelle attendue par les collectivités territoriales. Ces collectivités ne pourront se satisfaire d’une politique patrimoniale confiée à une poignée de grands opérateurs parisiens. Reste à rééquilibrer les moyens budgétaires et humains entre le ministère et ses opérateurs afin de permettre cette évolution.
 
La politique publique du patrimoine ainsi réorientée cèdera moins au goût du spectaculaire, sera plus économe des deniers publics et, surtout, se montrera plus à même de s’acquitter de sa mission essentielle : la démocratisation culturelle.
 
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