Politique : et si on changeait la donne ?

par Michel Herland
mardi 9 janvier 2007

A propos de « La Province, c’est capital », par J.-P. Allenbach (Paris, L’Archipel, 2006, 239 p.).

Pour qui a pu voyager, donc comparer, et la fréquenter d’un peu près, la démocratie à la française ne donne pas un spectacle franchement engageant. D’un côté, notre régime présente mieux que les caricatures de démocratie qui monopolisent des continents entiers, mais, d’un autre côté, qu’il est loin, notre pays, du modèle d’une démocratie authentique : monarchisme présidentiel, imité, un rang en dessous, par les ministres et les hauts fonctionnaires ; inamovibilité du personnel politique, qu’elle soit de droit (les hauts fonctionnaires en question qui ne font que migrer d’un poste à l’autre sans jamais quitter les ors de la République), ou de fait (les représentants du peuple qui cumulent les mandats dans l’espace et dans le temps) ; irresponsabilité de la fonction publique en général, à l’abri derrière ses protections statutaires.

Inutile de dire que ces travers, dans lesquels nous semblons nous enfoncer de plus en plus, ne sont pas pour rien dans la désaffection de nombre de nos concitoyens à l’égard non de la politique, mais de notre manière de faire de la politique. La preuve en est que si nous votons plutôt massivement - pour un pays où le vote est facultatif -, nous votons le plus souvent contre : contre la majorité sortante (la pratique de l’alternance) et contre les engagements qu’on prétend prendre en notre nom (le projet de constitution européenne).

Face à ce constat, on peut soit se résigner, ce qui est la pratique la plus courante, soit essayer de proposer autre chose. Telle est la démarche de J.-P. Allenbach (JPA), fondateur, en 1996, du Parti fédéraliste (français) et qui entend aujourd’hui se présenter aux prochaines présidentielles comme le candidat des régions, avec à son programme non plus tant la construction d’une fédération européenne (même si cet article n’a pas complètement disparu) que la constitution d’un fédéralisme intérieur, avec un renforcement notable des prérogatives des régions et l’affaiblissement corrélatif des attributs de l’Etat.

Que notre système politique donne des signes d’essoufflement n’est plus à démontrer. Mais la proposition de JPA soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. L’auteur fait le pari que les questions d’intérêt public seront mieux traitées au plus proche des citoyens. Conformément au principe dit de subsidiarité, il suggère donc de confier à la commune une compétence générale et de ne déléguer aux échelons dits supérieurs (région, Etat, Europe et au-delà) que les compétences pour lesquelles ces échelons s’avèrent plus performants. Quant aux départements, à la fois trop petits pour exprimer une véritable identité et trop grands pour traiter les problèmes de proximité, ils n’auraient pas vocation à subsister.

Suivant le principe de subsidiarité, il serait hors de question, par exemple, de confier aux communes la charge d’organiser la défense contre d’éventuels ennemis extérieurs. L’exemple, quoique trivial, n’est pas choisi au hasard. Il confirme que notre organisation actuelle est loin d’être optimale : il n’y a plus en effet aucune justification pour que la France entretienne à grands frais une force de dissuasion nucléaire, et, si tant est qu’elle soit aujourd’hui réellement nécessaire, elle devrait être, à l’évidence, gérée et financée au niveau de l’Europe, ou, de préférence, de l’Alliance atlantique (puisqu’il n’est pas imaginable qu’un pays comme la France puisse brandir la menace nucléaire contre un autre pays de l’Europe ou de l’Alliance).

Dans un cas comme celui-ci, la théorie fédéraliste de la répartition des pouvoirs semble sans défaut. Mais la réforme institutionnelle - sans doute utile - doit-elle se fonder sur le seul principe de subsidiarité ? L’argument principal de JPA consiste dans une comparaison de la France avec un certain nombre de pays étrangers qui possèdent une structure fédérale de droit ou de fait, et qui, incontestablement, obtiennent de meilleures résultats que la France sur de nombreux plans (croissance, commerce extérieur, emploi, éducation, etc.). Est-ce pour autant la preuve que notre pays serait mieux gouverné si l’on allait au bout de la logique décentralisatrice ?

JPA n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser la classe politique française, par quoi il entend celle qui exerce des responsabilités au plan national. Néanmoins lui-même constate qu’il n’y a pas vraiment de césure entre cette classe-là et les élus locaux. Dès lors, on ne voit pas par quel miracle le fait d’exercer un mandat local infléchirait sensiblement le comportement de nos élus. Certes, en théorie, les élus locaux étant directement sous l’œil du

peuple devraient mieux servir ses intérêts. Il faut pourtant reconnaître que ce fameux peuple demeure une entité abstraite, qu’il n’est pas personnellement présent en face des responsables politiques. Il se manifeste concrètement sous la forme d’individus ou de groupes qui font pression le plus souvent en vue de conforter leurs intérêts particuliers. Dès lors il est plutôt à craindre que les élus locaux se montrent plus accessibles aux pressions en tout genre, dans la mesure où il s’avère plus difficile de dire non à son voisin qu’à un étranger. Le fait est, en tout cas, que, lorsqu’on a l’occasion d’interroger un observateur averti, détaché de tout intérêt électoral, sur le comportement de nos politiciens aux plans national et local, la comparaison n’est pas en général au bénéfice de ceux qui sont le plus proches de leurs concitoyens.


Tout cela prouve que s’il y a incontestablement des pays mieux gouvernés que d’autres, l’explication est à chercher bien au-delà du cadre institutionnel. Les idiosyncrasies nationales sont plus ou moins favorables à l’instauration d’un régime politique « décent » (suivant la terminologie du philosophe John Rawls dans son dernier ouvrage, Le droit des peuples). Et l’on ne change pas une culture nationale simplement en changeant les institutions - même si, évidemment, à culture constante, certaines institutions sont meilleures que d’autres.

On ne saurait affirmer pour autant qu’un peuple ait nécessairement les gouvernants qu’il mérite. Le lien entre les deux est dialectique et il est imaginable que surgisse un homme exceptionnel capable d’entraîner un peuple au-delà de lui-même, de le transformer en dépit de ses pesanteurs, de le rendre par exemple plus conscient et plus soucieux de l’intérêt général. Il faut compter aussi avec le travail de sape des idéologues : les nobles du royaume de France n’auraient jamais renoncé à leurs privilèges, lors de la fameuse nuit du 4 août 1789, s’il n’y avait eu, tout au long du XVIIIe siècle, le travail de sape de la philosophie des Lumières.

Le plus souvent, cependant, les changements sont le résultat d’un rapport de forces favorable. De ce point de vue, on est bien obligé de constater que l’on ne perçoit pas aujourd’hui où seraient les forces de progrès capables de faire advenir un changement en profondeur de la société française, quel que soit d’ailleurs le sens de ce changement, qu’il s’agisse de renforcer les solidarités, ou, au contraire, de compter davantage sur la responsabilité individuelle.


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