Politique : le grand flou ?

par Anthony Meilland
vendredi 28 avril 2006

C’est à n’y plus rien comprendre ! La gauche, la droite, le centre, les extrêmes, tout semble flou à qui s’y intéresse. Mais où sont donc les limites, les bords, les divisions , si chers à nos esprits rationnels ?

Respirons un bon coup, et souvenons-nous de la France politique d’avant 2002. Tout y était alors très simple. Deux grands blocs se faisaient face. A droite, il y avait le RPR et l’UDF, l’un ouvertement gaulliste, et l’autre plutôt démocrate-chrétien (bien que les libéraux de Démocratie libérale en fissent alors partie). A gauche se trouvait la gauche plurielle (PS + PC + Verts) qui gouvernait paisiblement depuis 1997. Les extrêmes, bien que représentant 20 ou 30% selon les jours, étaient alors méprisés de toutes parts. Chirac empruntant des idées à Le Pen, c’était impensable, Jospin étudiant la possibilité d’un programme commun avec Laguiller, ça nous aurait tous fait rire.

Mais voilà, en seulement quatre ans et deux séismes, tout a changé dans notre petit hexagone. Il y a d’abord eu le 21 avril 2002, avec l’arrivée d’un leader d’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle. Certes, les premiers responsables de cette situation, aussi folle qu’inconcevable jusqu’alors, sont bien sûr les électeurs du FN, mais les 10% ayant opté pour l’extrême gauche au premier tour ne sont pas sans responsabilité dans ce qu’il est naturel d’appeler un cataclysme. Et quel fut donc l’impact de cet événement sur notre nation ébranlée ? Il fut triple. Il y eut tout d’abord le fameux sursaut républicain qui a permis à Chirac d’être réélu avec plus de 82%. Il y eut ensuite de nombreux remords chez les sympathisants socialistes qui avaient voulu, par un vote extrême, pousser Jospin plus à gauche. Enfin, une dernière conséquence du 21 avril 2002 semble se dessiner à présent, conséquence qui n’est visible que depuis quelques mois, depuis le début de la nouvelle campagne présidentielle. Une nouvelle idée a dû mûrir lentement dans l’inconscient collectif ; le 29 mai 2005 a dû la réveiller brutalement. Cette idée la voici :

Les extrêmes sont fréquentables

Sarkozy, émérite nageur en eaux troubles, plongea sur cette idée le premier, tout d’abord avec quelques termes bien choisis (racaille, kärcher) pour tester l’opinion. Toute la droite l’applaudissant, il fonça alors pour reprendre à son compte les idées et formules du FN et du MPF. Il lui faut tout de même jouer un peu les acrobates, pour ne pas perdre la portion la plus modérée de son électorat, mais l’habile vieux routard de la politique ne se dégonfle pas, et nous sort de son chapeau, de temps en temps, une idée plus « centriste », comme le vote des immigrés, la discrimination positive, et quelques autres pirouettes. Mais les faits sont là : la droite, dorénavant « décomplexée », a changé de stratégie et flirte ouvertement avec l’extrême droite. Tout devient alors très flou pour son électeur classique. Où est donc passée la frontière, l’extrémité de son camp ? De Villiers, d’ailleurs, qui mène lui aussi une habile campagne, se proclame désormais défenseur de la République en danger. Ahurissant, non, pour un homme qui se disait ouvertement royaliste il y a quelques années encore ? Et pendant ce temps, le Pen essaie, grâce à sa fille, de recentrer son image.

A gauche, la situation n’est guère meilleure. Au PS.... Mais c’est quoi, le PS, d’ailleurs ? Plus personne ne le sait vraiment. Logiquement, un parti social-démocrate, si on en croit les résultats du dernier congrès socialiste qui a vu la courte victoire de la motion emmenée par son premier secrétaire, François Hollande. Mais si on se réfère au vote majoritairement contre le TCE des sympathisants socialistes le 29 mai dernier, le parti devrait être beaucoup plus à gauche que cela. Dernier point, et non des moindres, qui voit-on en tête des sondages comme présidentiable socialiste ? Ségolène Royal, qui ne cache pas ses sympathies envers le très libéral premier ministre britannique Tony Blair. Tout se complique vraiment. Rajoutons aussi le fait que le PS commence à peine à travailler sur son programme, qu’il ne le dévoilera que cet été, et qu’il ne choisira son candidat qu’à l’automne, et nous voilà donc avec une myriade de sympathisants socialistes déboussolés.

Mais le PS ne représente pas toute la gauche. Qu’en est-il de l’extrême gauche, qui a grandement bénéficié des séismes de 2002 et 2005 ? Certains parlent d’une candidature unique du non de gauche. On évoque même le nom du très populiste José Bové pour réunir toutes les « espérances » de ceux qui veulent un autre monde (les altermondialistes). Mais chaque parti tire la couette de son côté, l’union semble donc difficile. Si on rajoute à cette soupe incompréhensible les "nonistes" du PS, emmenés par Fabius ou Emmanuelli, qui essaient de récupérer quelques électeurs marxistes et trotskystes çà et là, les Verts qui, comme par habitude, ne savent pas grand-chose, à part qu’ils sont contre le nucléaire et les OGM, et le PC qui, tel un fantôme, est invisible mais présent, on se dit qu’il n’est pas plus aisé de comprendre la trajectoire de la gauche que celle de la droite.

Reste dans ce nouveau paysage de kidnapping d’idées permanent, de séduction obscène, et d’alliances contre nature, un petit parti qui résiste, emmené par son leader tout à la fois modéré et intransigeant : l’UDF. Un alien, dans notre paysage politique ! Et les positions de François Bayrou sont claires et lisibles, sur la construction européenne, la réduction de la dette publique ou la réforme du système social. Oui, mais voilà, Bayrou est à côté de la plaque. Ou plutôt, il se trompe de pays ou de moment. Si l’Italie et l’Allemagne ont choisi des gouvernements centristes, la France ne le fera certainement pas en 2007, et ce malgré le fait que beaucoup de monde partage nombre des idées défendues par l’UDF. En effet, le 21 avril 2002 est, dans l’esprit de tous les modérés de France, l’horreur absolue. Or ces modérés représentent l’électorat potentiel de l’UDF, et nul besoin d’être devin pour avancer qu’ils choisiront massivement de voter PS ou UMP en pensant éviter une nouvelle catastrophe.

Voilà donc la situation politique actuelle, situation plus fragmentée et floue que sous les IIIe et IVe Républiques. Peut-être faudra-il songer à une réforme institutionnelle pour rendre tout cela plus lisible, comme l’avancent déjà des voix de plus en plus nombreuses à gauche comme à droite ? Mais quelle réforme ferions-nous alors ? Passerions-nous à un système présidentiel, comme le veut Sarkozy, système qui devrait re-bipolariser la vie politique comme aux USA, avec deux partis très idéologiquement flous regroupant, chacun, modérés et extrémistes, ou opterions-nous pour le parlementarisme pur et dur, cher à Arnaud Montebourg, avec un parlement élu à la proportionnelle qui nous rapprocherait davantage de la situation de nos voisins italiens et allemands ?

Mais peut-être que la solution est ailleurs, cachée dans quelque détail flouté par l’ambiguïté de notre situation politique... d’où le besoin d’un bon opticien.


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