Postures et règlement de compte à OK Royal
par Bernard Dugué
mercredi 4 octobre 2006
Les primaires au PS semblent indiquer quelques orientations quant à la vie politique actuelle. Les déclarations de candidature à l’investiture se font avec une mise en scène, une théâtralisation évidente, avec à la clé une volonté d’ancrer le geste dans une symbolique ayant valeur de sens historique. Dominique Strauss-Kahn a choisi la mairie de Sarcelles, afin de retracer son engagement et de signifier une proximité avec non seulement les militants, mais aussi une population locale que l’on sait être parmi les moins aisées, bref, un candidat pragmatique, proche, cherchant dans une base populaire moyenne un sens à sa démarche de conquête du pouvoir.
Ségolène Royal a choisi au contraire Vitrolles. Le lieu n’est pas innocent. C’est dans cette ville que le Front national a géré les affaires avant que le PS ne reprenne la ville. La symbolique est évidente. Conjurer l’humiliation du 21 avril 2002. Dieu sait si les socialistes ont été traumatisés par cet événement. Ayant souvent l’occasion de rencontrer leurs militants, je tiens pour sûr, notamment lors de la campagne des régionales, que la revanche sur la défaite de Jospin était au cœur de leurs préoccupations et à la limite, une obsession. Madame Royal venue en mission, mais portée par une obsession, voilà un trait dominant, un contenu à cet engagement pour les primaires, le reste, du style et donc, une mise en scène prête à l’emploi pour les télévisions. En d’autres temps, nos deux candidats à l’investiture auraient choisi le JT de 20 heures pour se déclarer. Ségolène est investie d’une mission... drôle de vocabulaire.
Lionel Jospin a insisté à maintes reprises sur sa disponibilité. Je suis disponible, a-t-il répété. Disponible, même racine que dispositif, ce terme désignant aussi une instance technique (voir par exemple les méditations sur le Gestell, par Heidegger). Que signifie cette rhétorique jospinienne ? Que le Parti socialiste est fort de ses militants, élus, gouvernants et techniciens de la politique. Et que lui est disponible au titre d’homme d’expérience et de capitaine de navire capable de faire fonctionner l’équipage et de mener à bien la trajectoire. Madame Royal se présente au contraire comme missionnée ? Ce qui signifie qu’elle se positionne en visionnaire, capable d’occuper le poste de vigie, et de voir où le navire doit virer de bord. Elle est la vérité. Elle le dit, se réclamant du vrai changement contre la fausse rupture. Du vrai débat, de haute voltige. L’adversaire Sarkozy répliquera qu’il défend la vraie rupture contre le faux changement. Soyons admiratifs, quand deux visionnaires se font face, le peuple est ébloui de tant de lumières, pardon, je voulais dire, en vérité, aveuglé ! Assumer une mission, c’était aussi ce que répétait à l’envie Georges W. Bush, mais, bon, Madame Royal ne reçoit pas de message de Dieu. Sa mission, c’est une religion laïque qui en fournit le contenu autant que le ressort, le national doit se marier avec le social. Nous sommes conviés à cette noce qui ne se déroule pas à l’Eglise mais à Vitrolles, là où le national se conjugua un moment avec le front.
Fabius, tel qu’on le soupçonne, choisira une méthode plus sobre pour annoncer sa candidature à l’investiture. Peut-être le JT de la deux ? C’est de son style, et puis ça ne lui ressemble pas, le côté théâtral utilisé par ses deux adversaires au PS. Les méchantes langues diront que Laurent manque de charisme. Mais on pourra tout aussi bien noter le sérieux du candidat et en fin de compte, savoir gré à Fabius de ne pas jouer de cette fausse proximité. Quoi qu’on en dise, ce troisième prétendant à l’investiture semble être le moins factice, le moins inauthentique et qui sait, le plus apte à prendre des décisions importantes, si on en juge par sa position lors du référendum sur l’Europe. Bref, du socialisme sobre et efficace.
D’après les dernières nouvelles, Laurent Fabius se déclare, après avoir participé à un forum organisé par le collectif Sauvons la recherche. Le geste est éminemment symbolique. Rien de la démagogie de ses concurrents avec leur théâtralisation visant à séduire les militants. Laurent Fabius se positionne déjà en 2007, présent sur ce point essentiel et sensible qu’est la recherche fondamentale et son destin. C’est ce qu’on appelle un signal clair, rien à voir avec le ton emphatique et emprunté de Madame Royal en missionnée pour 2007... des mots, des formules, tout cela sonne creux et bien artificiel.
On ne sera pas surpris des haines tenaces inhérentes au PS et qui font dire à certain éditorialiste étranger que ce parti possède une capacité infinie à se détruire. Rien de bien nouveau, les milieux politiques ne sont pas connus pour être une communauté de saints. Parfois les haines se montrent, comme lors de ce fameux Congrès de Rennes, et actuellement, lors de la course à l’investiture. On ne manquera pas cependant de noter un phénomène nouveau. Il semblerait qu’au sein du PS et des militants ou sympathisants de gauche, règne une sorte de vénération vis-à-vis de sainte Ségolène. Au point qu’une sorte de ralliement inconditionnel se développe, mouvement qu’un Lionel Jospin a considéré comme relevant d’un socialisme de l’émotionnel, par opposition au socialisme rationnel, fait de débats d’idées et représenté par sa personne. Sans doute, l’effacement de Jospin et l’échec probable de Fabius vont-il appuyer la thèse d’un Rosanvallon, reprise par les Duhamel et autres analystes patentés, d’une transition depuis la démocratie représentative vers la démocratie d’opinion. Avec le chef de l’UMP comme acteur principal aux côtés de la sainte socialiste.
Les esprits son exacerbés. J’ai pu moi-même m’en rendre compte à l’occasion d’une réunion d’associations près de chez moi, où après une intervention ironique sur le côté partisan et autocrate de la présidente de Poitou-Charentes, j’ai été interpellé par une militante, avec une agressivité que je ne connaissais pas, comme si j’avais commis un blasphème. Des menaces diffuses traduisant cette atmosphère délétère, lire ces liens, un député menaçant, un militant admonesté, un éditeur malmené. Tout ceci est sans grande importance. La politique est le terrain des inimitiés et des haines. Quelques-uns confondent politique et religieux, pas seulement dans certaines contrées d’Orient. Cette campagne s’organise autour des débats, critiques, blessures et blasphèmes. Les débats étant tronqués, pour la bonne raison que l’action politique n’a plus grande incidence sur un monde qui épouse la Tendance.