Pour le G8, l’argent (de la dette) n’a pas d’odeur

par Plateforme Dette et Développement
lundi 14 juillet 2008

Le G8 se réunit du 7 au 10 juillet à Hokkaido (Japon). Ils ont fait les choses en grand cette année. Même le site internet du sommet est « écoresponsable »[1]. Le G8 est irréprochable. Il respecte la planète. Bravo. Seule ombre au tableau : cette année, la dette des pays en développement ne sera pas à l’ordre du jour. Dommage, on aurait aimé porter le G8 au pinacle.

Des émeutes de la faim éclatent un peu partout dans le monde, les inégalités s’accroissent de façon exponentielle, le monde est confronté à l’adaptation au changement climatique et aux coûts impliqués par ce dernier... La situation est loin d’être reluisante. Malgré cela, les pays les plus riches, tout comme les experts de la Banque Mondiale et du FMI, estiment que le problème de la dette est réglé.

Et pourtant. Le fardeau de la dette est plus que jamais d’actualité. Le remboursement de la dette entrave depuis des dizaines d’années le développement des pays du Sud. Entre 1980 et 2004, les pays en développement ont remboursé 5300 milliards de dollars, soit l’équivalent de… 59 Plans Marshall[2]. Contraints de rembourser des sommes astronomiques, nombreux sont les pays qui ne peuvent assurer le financement des services essentiels : eau, éducation, santé. En Jamaïque, le service total de la dette – extérieure et intérieure – absorbait, en 2004, plus de 64% du budget, contre 9% pour l’éducation et 4% pour la santé[3].

Suite à la campagne Jubilé 2000, qui a recueilli 24 millions de signatures à travers le monde, le G8 a fait un pas en faveur des pays les plus endettés et a décidé des annulations de dette. Toutefois, seuls un nombre restreint de pays – 23 en mars 2008[4]– sont aujourd’hui concernés par l’initiative Pays pauvres très endettés (PTTE), une initiative de la Banque Mondiale en faveur de l’annulation des dettes multilatérales.

Les premiers effets des annulations de dette dans le cadre de l’initiative PPTE se sont déjà fait sentir : au Ghana, le gouvernement a construit 509 nouvelles écoles primaires dans tous les districts du pays. Les fonds ainsi dégagés ont permis à 43 000 agriculteurs de bénéficier de microcrédits, et 563 projets d’assainissement et 141 projets hydrauliques ont pu être financés[5].

Malgré les avancées et en dépit des espoirs portés par la campagne Jubilé 2000, ces annulations ne concernent pas les dettes qualifiées d’« odieuses ». Les dettes odieuses sont des dettes, qui, selon la doctrine juridique établie par Alexander Nahum Sack, ont été contractées par des régimes despotiques et qui deviennent ainsi nulles à la chute de tels régimes. Jeff King, Ashfaq Khalfan et Bryan Thomas ont établi trois critères pour définir une dette odieuse : i) l’absence de consentement (la dette est contractée contre la volonté du peuple) ; ii) l’absence de bénéfices (les fonds ont été dépensés de façon contraire aux intérêts de la population) ; iii) la connaissance des intentions de l’emprunteur par les créanciers.

Si l’on applique la doctrine juridique de la dette odieuse, les dettes contractées sous les régimes de Suharto (Indonésie), Marcos (Philippines), Eyadema (Togo) et bien d’autres, ne sauraient être dues par les populations. Pourtant, le G8 ne reconnait pas cette doctrine, et refuse d’annuler une dette que des populations remboursent alors qu’elles n’en ont pas bénéficié, et qui a parfois servi à les opprimer (achat d’armes, etc.). Les Indonésiens, qui ont souffert le martyre sous la dictature de Suharto (300 000 à un million de victimes de la répression), continuent pourtant de rembourser la dette du dictateur, notamment les milliards de dollars détournés pour sa fortune personnelle. Transparency International estime cette fortune entre 15 et 35 milliards de dollars[6].

En 2006, la Norvège a reconnu sa responsabilité dans l’endettement illégitime de cinq pays (Equateur, Egypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone). Il est temps que les pays du G8 et plus largement les pays du Club de Paris[7], qui ont prêté de façon irraisonnée et selon des considérations politiques et économiques (s’assurer de leur soutien lors de la Guerre froide, obtention de contrats commerciaux) reconnaissent leur responsabilité dans l’accumulation des dettes odieuses. Sinon, quelle crédibilité accorder à leur idée d’une « charte du prêt responsable » évoquée lors de leur rencontre de Postdam (Allemagne), en mai 2007 ?

L’annulation de ces dettes permettrait aux gouvernements de financer les services essentiels à leurs populations. En allégeant le poids du remboursement de ces dettes, les pays du Sud dégageraient des budgets supplémentaires, indispensable pour d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Tous les Etats du monde s’étaient engagés en 2000 en faveur de ces objectifs qui visent à réduire la pauvreté d’ici 2015. Combien de temps les pays riches, qui sont aussi les créanciers des pays très endettés, par leur attitude et leur refus d’annuler ces dettes odieuses, continueront de s’asseoir sur leurs propres engagements ?

 

Pour plus d’informations et signer la pétition pour l’annulation des dettes odieuses :

www.detteodieuse.org.

 



[1] Voir le site : http://www.g8summit.go.jp/eng/index.html.

[2]D’un montant de 90 milliards de dollars, le Plan Marshall a permis à l’Europe de se reconstruire après la Seconde Guerre Mondiale. http://www.cadtm.org/IMG/pdf/vademecum2005b-2.pdf.

[3] RESAL (Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine) : http://risal.collectifs.net/spip.php?article857. Chiffres (2004) du Comité d’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM) : http://www.cadtm.org/

[4] Fonds Monétaire international : http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/hipcf.htm

[5] Banque mondiale : http://youthink.worldbank.org/fr/issues/debt/

[6] Sa fortune personnelle représente le PIB cumulé du Niger et du Burundi (pour une estimation « basse » de 15 milliards de dollars) et le PIB cumulé du Rwanda, de la Mongolie, de l’Islande et de la République Centrafricaine (pour une estimation « haute » de 35 milliards de dollars).

[7] Le Club de Paris est un groupe informel qui regroupe les 19 principaux pays créditeurs.


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