Pour une République des services publics

par Terra Nova
samedi 3 décembre 2011

La dégradation de la qualité des services publics rendus à la population, le désengagement de l'Etat de certaines missions essentielles, l'abandon d'une vision du service public comme facteur de développement et de solidarité, la délégation par les collectivités territoriales de leurs missions au secteur privé, l'absence d'association des usagers aux prises de décision et à la gestion : autant d'évolutions qui contribuent aujourd'hui à délégitimer le service public en France. Il est urgent de rebâtir en la matière une stratégie ambitieuse et réaliste. Le rapport de Terra Nova "Pour une République des services publics" dégage certains principes et formule des propositions pour faire des services publics un pilier du projet politique porté par la gauche, en partant des besoins de la population, pour en assurer la légitimité et la qualité.

Depuis 10 ans, la qualité des services publics rendus à la population n’a cessé de se dégrader dans de nombreux domaines, à la fois régaliens (police, justice, administrations de proximité…) et concurrentiels, et en particulier dans les services en réseaux (transports, énergie…).
 
Pour une large part, cette évolution est le résultat d’une rupture voulue par la majorité actuelle, qui, derrière un examen légitime de l’efficacité des politiques publiques (RGPP), n’a cessé de stigmatiser la soi-disante inefficacité des services publics et appliqué une politique de gestion des ressources humaines marquée par le dogmatisme, que manifeste la règle absurde du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. La fermeture de nombreux services publics a aussi manifesté le retrait de nombreux territoires.
 
Il faut aussi reconnaître que, pour certains services publics, la situation actuelle est également le produit d’une tendance longue, engagée du fait de l’ouverture à la concurrence de nombreux services, sans que les pouvoirs publics, de gauche comme de droite, aient porté un véritable projet politique au niveau européen ni même national. La construction européenne a même été prise comme alibi pour justifier certaines orientations qui n’ont pas été discutées par la Nation, alors même que d’autres solutions compatibles avec les exigences européennes et l’amélioration de la qualité des services publics étaient possibles – et le sont encore.
 
Le diagnostic ne peut qu’être sévère : l’Etat n’assume plus certaines missions essentielles ; les grands principes du service public, et notamment l’égalité d’accès ou encore l’adaptabilité, sont méconnus, et le rôle du service public comme facteur de développement et de solidarité est bafoué ; les collectivités territoriales, importantes donneuses d’ordre en matière de service public, ne jouent que difficilement leur rôle de pilote face au secteur privé auquel elles ont délégué leurs missions ; l’utilisateur n’est pas associé aux prises de décision et à la gestion des services publics qui, souvent, sont délégitimés alors même qu’une majorité de Français leur restent attachés.
 
2012 sera pour les services publics un point de rendez-vous historique. Poursuivre sur les tendances actuelles ferait dépasser un point de non-retour sur une pente qu’il serait sans doute impossible de remonter ensuite. Dans un contexte budgétaire très difficile, il faut rebâtir une stratégie ambitieuse et réaliste pour les services publics. Ce rapport de Terra Nova, issu d’un groupe de travail qui s’est concentré principalement sur les services publics en réseau, dégage certains principes pour une telle stratégie et formule des propositions qui peuvent s‘appliquer à l‘ensemble des services publics. Il s’articule avec les autres rapports de Terra Nova qui avancent, chacun dans leurs domaines, des propositions particulières.
 
Les propositions formulées par ce rapport s’articulent autour de deux idées-forces :
 
 
1. IL FAUT D'ABORD REFAIRE DES SERVICES PUBLICS UN PILIER DU PROJET POLITIQUE PORTE PAR LA GAUCHE.
 
Dans les discours, personne, en France, ne propose de « casser » les services publics, qui font partie du patrimoine national. En revanche, la gauche, coincée entre la libéralisation d’un côté et le conservatisme de l’autre, a oublié, depuis longtemps, de porter un message modernisateur sur les services publics, que la majorité actuelle a cherché à récupérer avec la RGPP.
 
Le discours de la gauche doit se repositionner sur quatre principes fondamentaux.
 
A. Il faut réaffirmer la responsabilité du politique dans le discours, dans la définition des missions de service public et le suivi de leur exécution. Les services publics doivent être réhabilités, dans les discours comme dans les arbitrages, comme vecteurs de progrès économique et socialpour notre pays. Les services publics ne sont pas d’abord un facteur de coût et de dépenses, comme le soutient la droite, mais ils constituent un des éléments essentiels au fonctionnement harmonieux de la société, au développement économique et social du pays. Ils sont un des facteurs majeurs au service de la solidarité. L'investissement dans les services publics porteurs d'innovation et favorables au développement durable doit être un axe majeur de la politique économique. Dans la définition des missions de service public, il appartient au politique de fixer les objectifs dans chaque domaine et, au niveau local, dans les cahiers des charges signés avec les partenaires privés, associations ou entreprises. Cela implique de donner aux collectivités territoriales donneuses d’ordre les moyens de piloter les services publics, d’évaluer, de contrôler, d’accéder à l’information pour que les décisions soient prises en toute connaissance de cause. Cela implique aussi que les élus puissent se consacrer pleinement à ce pilotage, y compris par l’application du non-cumul des mandats.
 
B. La gauche ne doit pas se contenter de défendre le statu quo, mais porter un discours ambitieux de modernisation, surtout dans un contexte budgétaire contraint.Non pas bien sûr la « modernisation » revendiquée par la droite, qui n’est qu’une fragilisation des services publics : la mise en œuvre de la RGPP et le dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux doivent ainsi être suspendus sans délais, de même que les fermetures de services publics de proximité (écoles, hôpitaux, commissariats, tribunaux…). Mais une modernisation reposant sur une politique de confiance et d’efficacité. Alors que la RGPP a été conçue et conduite contre les agents et les syndicats, des discussions doivent s’ouvrir avec les partenaires sociaux pour faire le bilan de la situation des agents publics et pour engager une politique ambitieuse de formation des agents publics et de mobilité, avec les usagers, pour identifier les besoins auxquels doivent répondre les services publics.
 
C. Il s'agit aussi d'adopter un discours pragmatique, en particulier pour les services publics locaux, à deux égards :
 
- Il faut tirer les conséquences du caractère fondamentalement évolutif des services publics, depuis plus d’un siècle : ce qui est service public un jour ne l’est pas nécessairement toujours, et l’autorité politique doit prendre en compte l’évolution des besoins des citoyens, et, plus largement, les évolutions de la société, comme des technologies. Il est de la responsabilité du politique de reconnaître que la puissance publique ne doit pas tout faire, pour mieux assumer les missions, y compris nouvelles, qui sont nécessaires et qui lui reviennent en propre. Il faut alors mettre en place les outils qui permettent de faire ces choix en toute connaissance de cause, par exemple pour abandonner certaines missions ne correspondant plus aux besoins de la population.
 
- Il faut ensuite affirmer que l’essentiel ne réside pas dans le statut de l’opérateur, mais dans la nature des missions qui lui sont confiées, dans la qualité des prestations et dans le pilotage, par la puissance publique, des services publics, notamment lorsqu’ils sont délégués. Il faut en effet raisonner en termes fonctionnels plutôt qu’en termes institutionnels et statutaires. La liberté de choix des modes de gestion du service public doit être garantie. Ce qui compte, c’est que les missions de service public, définies et précisées par la puissance publique, soit assurées dans les meilleures conditions, contrôlées et évaluées.
 
D. L’Europe ne doit plus être pointée du doigt comme étant à l’origine de tous les maux des services publics français. Des marges de manœuvre existent dans les textes communautaires pour maintenir, dans notre pays, des services publics de qualité : il faut les utiliser au niveau national, et promouvoir une réforme européenne des services publics en utilisant les nouvelles possibilités ouvertes par le Traité de Lisbonne.
 
2. LA REFORME DES SERVICES PUBLICS DOIT PARTIR DES BESOINS DE LA POPULATION, POUR EN ASSURER LA LEGITIMITE ET LA QUALITE.
 
Une fois ces principes posés, la gauche doit proposer une réforme ambitieuse pour des services publics légitimes et efficaces. Cette réforme poursuit un objectif : satisfaire les besoins essentiels des citoyens. Une telle approche implique à la fois un changement de méthode et de fonctionnement des services publics. 
 
Du point de vue de la méthode, les choix pour faire évoluer les services publics doivent être pris en pleine association avec les usagers. Identifier le rôle et les missions des nouveaux services publics, abandonner le cas échéant certaines missions, suppose de repartir des besoins des citoyens et exige d'organiser l'expression des besoins par-delà les institutions politiques et administratives existantes.
 
Le rapport formule plusieurs propositions en ce sens, notamment pour mettre en place des outils de prise de décision (conseils des usagers des services publics) et de consultations préalables à toute décision stratégique, en donnant des pouvoirs de décision et de blocage aux usagers.
 
Au-delà de leur consultation, afin de renforcer la légitimité des services publics, en particulier dans les quartiers, les habitants peuvent également être plus directement associés à la gestion quotidienne et au fonctionnement des services publics, en développant par exemple le recrutement local prioritaire.
 
Du point de vue du fonctionnement des services publics, partir des besoins a plusieurs implications fondamentales :
 
- Faciliter l’accès de tous aux services publics, en créant, partout sur le territoire où le besoin s’en fait sentir, des maisons des services publics, à partir du réseau des 17 000 points de contact de La Poste.
 
- Assurer un financement des services publics en adéquation avec les besoins et les capacités des usagers : il est d’abord proposé d’améliorer la transparence du financement des services publics, afin que le fléchage des différentes sources de financement, par la redevance et par l’impôt, apparaisse clairement à l’utilisateur. Le principe doit être retenu d’un niveau de redevances reflétant les coûts réels, mais pouvant varier selon les usages, notamment dans le domaine de l'eau. Outre les redevances, tous les modes de financement autorisés par le droit européen doivent être utilisés : compensations publiques, fonds de compensation, système dit « play or pay ». Ce système de financement doit s'articuler avec une tarification sociale des services publics renforcée et généralisée, domaine par domaine, avec les modifications législatives nécessaires. Le financement des services publics est, de façon générale, un facteur essentiel pour assurer leur efficacité et leur légitimité.
 
- Evaluer en permanence les services publics afin de s'assurer qu'ils répondent aux besoins des usagers. A ce titre, l’évaluation de la qualité des services publics doit faire l’objet d’une approche nationale, avec la définition de critères et la mise en commun d’informations consolidées. Une agence pour l’évaluation et la qualité des services publics pourrait être créée à cette fin.
 
- Enfin, proposer de nouveaux services publics, dans le souci d’apporter les réponses les plus pertinentes aux besoins de la population : un service public national de médiation et du règlement de différends chargé d'apporter des réponses aux litiges individuels des consommateurs, de moins en moins pris en compte avec l’ouverture à la concurrence de nombreux services ; de nouveaux services publics sectoriels, tels qu’un service public de la petite enfance, un service public de l’information scolaire et universitaire et de l’orientation, et l’accès à des services bancaires universels.
 
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