Pourquoi l’Alsace ne veut pas d’une fusion ?

par Wirsher
mercredi 5 novembre 2014

Interpelé par de nombreux articles et commentaires ne comprenant pas la position des alsaciens sur la réforme territoriale, je vous propose d’exposer ici mon point de vue d’alsacien, d’expliquer le rejet de la fusion Alsace-Lorraine et nos craintes liées à cette réforme.

Pourquoi l’Alsace ne veut pas être dissoute dans un ensemble plus vaste ?

Parce qu’elle tient à son particularisme qui fait sa force :

- Le « Droit Local d’Alsace – Moselle »

Une surcouche du droit français auquel les alsaciens sont très attachés, aux origines historiques. Je vous invite à lire la page Wikipédia le concernant si vous voulez en savoir plus sur son contenu. Ce droit local, partagé avec le département de la Moselle seul, ne pose aucun problème particulier à la France, mais est régulièrement attaqué par les défenseurs hargneux d’une république égalitaire, souvent à cause de la jalousie qu’il suscite.

La région Alsace est une des seules entités permettant de défendre ce droit local.

- L’alsacien, la langue régionale de l’Alsace :

Dialecte hautement réprimé par la république française depuis 1945, l’alsacien est aujourd’hui en perte de vitesse et c’est vraiment dommage pour les jeunes alsaciens. D’une part il participe grandement à la richesse culturelle de notre région, d’autre part il est quasi-indispensable en zones rurales pour communiquer avec les personnes d’un certain âge. Ce dialecte est en outre compris par la plupart des allemands du Pays de Bade, qui parlent un autre dialecte « le Badisch » qui est très proche.

La région Alsace est une des seules entités qui soutient encore l’enseignement et le maintien de cette langue régionale.

- Son économie ne négligeant pas les pays voisins :

L’Alsace est bordée de l’Allemagne et de la Suisse. En 2012, 7,9 % des alsaciens actifs ont le statut de travailleurs frontaliers, c'est-à-dire qu’ils travaillent à l’étranger et qu’ils vivent en France. Ce nombre, s’il est aujourd’hui encore important, est en chute libre depuis le début des années 2000 notamment parce que de moins en moins de jeunes parlent l’alsacien et plus généralement parce que l’éducation nationale ne fait rien pour les encourager à s’ouvrir aux pays voisins.

La région Alsace soutient les écoles bilingues, ainsi que les investissements transfrontaliers avec ces deux pays.

Pourquoi ce particularisme est-il menacé par la dilution de l’Alsace dans un ensemble plus vaste ?

Tout simplement parce qu’en terme de démographie l’Alsace représentera moins d’un tiers de cette nouvelle région, et que les deux autres régions ne partagent pas les mêmes priorités.

L’Alsace cherche-t-elle à se replier sur elle-même ou à s’isoler ?

Pas du tout, l’Alsace n’a aucun problème avec ses voisins lorrains et champenois et ardennais. Elle est totalement ouverte à un travail collectif et à des partenariats renforcés avec ces régions tout comme avec les régions outre-Rhin.

En Alsace on a plutôt la perception que cette fusion à pour but de nous isoler des pays voisins, pour qu’on ne travaille plus qu’avec les autres régions françaises.

Le refus de la fusion est un mouvement identitaire lancé par la droite locale ?

Avant qu’on ajoute Champagne-Ardennes les alsaciens étaient d’accord pour la fusion ?

Pas vraiment non plus. Aux débuts de la réforme territoriale il était question de fusionner Alsace et Lorraine, l’UMP régionale incarnée par Philippe Richert (Président du conseil régional) s’est montrée plutôt favorable et a engagé le dialogue avec les élus socialistes lorrains. En pratique les habitants de l’Alsace sont depuis toujours opposés à toute fusion dans leur grande majorité. Il existe par exemple sur internet un sondage France Bleu Alsace datant de juin, avant tout revirement de la droite alsacienne qui donnait 87% au NON à la fusion Alsace-Lorraine seule. Ce n’est qu’après l’adjonction de la région Champagne-Ardennes en juillet que la droite alsacienne (mais aussi l’UDI et les Verts) ont entendu la volonté du peuple alsacien. En fin de compte il n’y a que les élus PS alsaciens qui sont pour une fusion, probablement parce qu’ils ont prêté allégeance à Manuel Valls.

Le Conseil Unique d’Alsace avait pourtant échoué son référendum en 2013 ?

Les politiques de tous bords qui veulent dissocier l’Alsace du nouvel ensemble en font leur argument majeur pour convaincre députés et sénateurs. Or ce projet avait été rejeté par référendum en 2013.

Si à l’époque le nombre de votants n’avait pas suffit dans le Bas-Rhin, et le NON avait gagné dans le Haut-Rhin, on peut largement discuter du message donné par le vote.

Pour ma part, mais çà n’engage que moi, c’est avant tout un projet mal ficelé qui a été rejeté, espérons que celui qui est discuté aujourd’hui sera meilleur.

Dans l’ensemble je doute fortement que les alsaciens soient réticents à l’idée de réunir leurs deux départements.

Une région seule aura moins de pouvoir ?

Qu’on m’explique alors pourquoi on a laissé seul la Bretagne (*parce Le Drian est au gouvernement et qu’on a peur des bonnets rouge), les Pays-de-la-Loire (*parce qu’ils ne sont interessés que par la Bretagne et que cette dernière préfère rester seule), le Centre (*parce que d’un point de vue économique aucune des régions voisines n’est interessée par cette région), l’Ile-de-France (*parce que c’est les meilleurs et ils ne fusionnent pas), PACA (*je ne sais pas mais c’est sans doute tout aussi sombre).

* Ces arguments sont les plus intelligents que j’ai trouvé pour justifier ces autres isolements.

Les alsaciens ne veulent pas partager leur richesse ?

Effectivement les indicateurs économiques ramenés au nombre d’habitants sont sensiblement meilleurs en Alsace qu'en Lorraine voisine.

Le PS au niveau national et les autres bords au sein de la Lorraine et de Champagne-Ardennes ne voient que cela et ils sont prêts à tout pour fusionner avec nous parce qu’ils veulent tirer un bénéfice de cette prétendue richesse.

Si dans la pratique on peut douter de notre capacité à enrichir l’ensemble étant donné notre petite taille, il est en revanche certain que toute fusion aboutira à notre appauvrissement.

Les alsaciens sont-ils pour autant des égoïstes ?

A mon gout le partage des richesse s’effectue déjà au niveau de l’état français, il n’y a donc pas lieu de doubler ce partage.

Rappelez vous du début de la réforme quand Champagne-Ardennes a refusé massivement la Picardie parce qu’elle était selon eux trop pauvre. Les mêmes élus champenois sont maintenant pour toute fusion avec l’Alsace parce que l’Alsace est riche, rien de plus.

Regardez la réticence de Martine Aubry et de la région Nord-Pas-de-Calais concernant cette même région Picardie. Regardez l’abandon total de la région Centre alors qu’elle est bordée de la région la plus riche de France qui se garde bien de fusionner avec qui que ce soit.

Si nous sommes égoïstes, alors nous ne sommes certainement pas les seuls.

Pourtant l’Alsace et la Lorraine ont la même histoire non ?

Euh, il faut remonter vraiment très loin pour trouver une histoire commune à ses deux régions. Si ce qu’on considère comme histoire commune est la succession de changement de pays alors non, ce n’est pas de la Lorraine qu’il s’agit, mais uniquement de la Moselle.

En pratique nos deux belles régions sont séparées par un massif montagneux appelé Vosges le bassin économique alsacien n’a de continuité qu’avec la vallée rhénane, un pont suffisant pour traverser un fleuve, là où des routes à péages ou des cols nous séparent du bassin économique lorrain.

Les alsaciens veulent dissocier la diviser la république française ?

Cette théorie émanant de notre premier ministre relayée par le PS alsacien relève de la science fiction. S'il existe bien un parti politique régionaliste, autonomiste et centriste Unser Land, les actions des autonomistes ont toujours respecté la république française.

Il est évident que le mépris de Manuel Valls, ne nous écoutant pas, allant jusqu'à nier notre existance devant un parlement applaudissant notre humiliation, donne des rêves d'autonomies croissants à certains d'entre nous et que ce dernier ne fait qu'augmenter la vive tension que suscite ce débat.

 

Vous l’aurez compris, si on veut de cette fusion, on veut tuer l’Alsace aussi bien culturellement qu’économiquement.

C’est pour çà que le peuple alsacien (pardon Manuel) dit NON.


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