Pourquoi l’euro ne peut pas marcher – Réponse au MRC

par Laurent Herblay
mardi 23 août 2011

Jean-Pierre Chevènement est, avec Philippe Séguin, la personne qui a le plus influencé ma construction intellectuelle au début des années 1990 (débats sur Maastricht et l’autre politique). Même si je suis très souvent en accord avec lui, je crois qu’il fait fausse route dans la crise de l’euro.

Les propositions du MRC

Cet été, le Mouvement Républicain et Citoyen n’est pas resté inactif. Jean-Pierre Chevènement a ainsi publié une lettre ouverte au président de la République, pour appeler à un soutien franco-allemand au rachat des titres de dette espagnols et italiens par la BCE. Il appelle à un « rachat massif » pour « sauvegarder la cohésion de la zone euro ». Il a également estimé que le FESF est sous doté. Il vient de confirmer ses propos dans une interview sur Marianne.

Julien Landfried porte-parole du sénateur de Belfort, a prolongé sa réflexion sur Atlantico et dans le Monde. Il prône un euro moins cher, une lutte contre le dumping fiscal, une mutualisation partielle des dettes publiques (contre la fin des fonds structurels) et une mobilisation l’épargne nationale. Il y ajoute une réforme des statuts et missions de la BCE pour y inclure la croissance et l’emploi et une coordination de la politique de change. Enfin, il prône une relance salariale en Allemagne.

Des propositions intéressantes et des angles morts

Bien sûr, comment ne pas partager un nombre important de ces propositions (lutte contre le dumping fiscal, croissance et emploi dans les objectifs de politique monétaire) ainsi qu’une partie du constat ? Cependant les propositions faites ici souffrent de gros angles morts. Appeler Berlin à une relance salariale, à une baisse de l’euro, à une réforme de sa gouvernance de la monnaie unique ou à des euro obligations me semble illusoire tant cela est contraire à la politique allemande.

Mais c’est surtout sur la mutualisation des dettes publiques et la demande d’augmentation du FESF que va porter ma critique. J’y vois un écho des politiques du FMI des années 1990, dénoncées par Joseph Stiglitz, quand le Fonds prêtait de l’argent aux pays émergents pour défendre leur monnaie, tout en imposant une austérité dévastatrice. Ces politiques ne font que traiter un problème de liquidité en ignorant le problème de solvabilité et profitent surtout aux créanciers !

En effet, faciliter le financement de la dette des pays en difficulté ne rend pas cette dette forcément plus soutenable. Le cas de la Grèce est à ce titre particulièrement éclairant avec un PIB en chute libre qui ne permet pas le rééquilibrage des comptes. Qui plus est, cela revient à transférer les créances privées (et donc le risque) sur les Etats, ce que je trouve particulièrement insupportable. En outre, tous ces pays ont surtout besoin de croissance.

L’euro, une maison trop grande, mal construite, et en zone inondable

Le problème de la zone euro est très complexe. On pourrait dire qu’il s’agit d’une maison trop grande, mal construite, et en zone inondable. C’est une maison trop grande (sur des fondations trop petites) en ce sens qu’il ne s’agit pas d’une Zone Monétaire Optimale, ce qui impose d’innombrables ajustements pour la faire fonctionner, comme nous le voyons depuis 18 mois.

Malheureusement, c’est aussi une maison mal construite, dans le sens que la politique monétaire suivie est totalement absurde, aboutissant à une monnaie extrêmement surévaluée, qui provoque un désastre industriel. Et enfin, c’est une maison construite en zone inondable, en ce sens qu’elle est offerte à tous les vents de la mondialisation, laissant rentrer toutes les importations, subissant la sous-évaluation des autres monnaies ou les crises venues d’ailleurs.

Ce triple problèmes de construction fait que l’on peut se dire qu’en en corrigeant deux, la situation irait mieux, ce qui est vrai. Mais, malheureusement, si les fondations ne sont pas solides, elles finiront par s’effondrer, même si on règle les autres problèmes. Une monnaie unique pour des pays aussi hétérogènes créé des cercles vicieux qui pourront être compensés un temps par beaucoup d’argent, mais qui finiront toujours par nous rattraper après nous avoir coûté très cher.

Car cette construction artificielle et bancale accroît les problèmes au lieu de les régler. Comme le rappelle Jean-Jacques Rosa, « la politique monétaire unique freine ainsi les économies en récession et stimule les économies en surchauffe ». Elle pousse aussi les pays à un moins-disant salarial et social pour gagner en compétitivité et elle empêche le rééquilibrage des balances commerciales. Bref, loin de faire converger les économies qui la composent, elle les fait diverger.

Car supposons que l’Allemagne accepte des euro-obligations ou une augmentation radicale du FESF (ce qui semble bien improbable, comme l’a montré le sommet de la semaine dernière), seul le problème de liquidité sera réglé. Patrick Artus avait affirmé que la Grèce avait besoin de baisser ses salaires d’au moins 30%. La sauvegarde de l’euro impose de toutes les façons une immense régression sociale et la « solidarité » européenne ne s’exerce en réalité qu’avec la finance.

Oui, le MRC a raison de dire que si nous refaisons la toiture et nous nous protégeons des inondations, cela ira mieux. Malheureusement, la maison euro est bâtie sur des fondations extrêmement faibles. Mieux vaut reconstruire de nouvelles maisons nationales avant l’effondrement…


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