Pourquoi la gauche a perdu
par Jacques Gérard
mardi 15 mai 2007
Une fois de plus la gauche a perdu. Pourquoi ? Parce que la gauche française est trop divisée, parce que le Parti socialiste n’a toujours pas su faire - et surtout annoncer - sa mutation en parti social-démocrate et parce que sa candidate n’a pu faire une bonne campagne parce qu’entachée d’un vice initial.
-1- Une gauche française divisée
Le Parti socialiste, qui avait pourtant il y a quelques années flirté avec les 30%, est une fois encore battu.
« Son allié naturel, le PC, qui n’a pu se transformer en parti de gouvernement, bien qu’il ait donné à la France d’excellents ministres, n’existe plus que par ses municipalités... Encore ne gardera-t-il celles-ci que si le PS renonce à le combattre au 1er tour.
Son allié le plus récent, dans l’ex « gauche plurielle », les Verts, est un parti qui n’a aucune culture de gouvernement et se complait à tirer sur ses leaders dès qu’ils prennent une stature d’homme d’Etat. Quoi qu’ils disent, Dominique Voynet a été une assez bonne ministre, mais beaucoup de Verts lui reprochent de ne pas avoir appliqué tel quel leur programme... en oubliant qu’ils faisaient partie d’une coalition, ce qui requiert évidemment de faire des compromis...
Le parti radical de gauche (comme si un parti radical pouvait ne pas être de gauche...) ne sert à rien, sauf à faire perdre des voix au PS et à empêcher sa mutation sociale-démocrate. Je m’explique : il rassemble trop peu de voix pour peser réellement dans les grandes décisions politiques ; et quant à la présidentielle, soit il présente un candidat et contribue à la défaite de la gauche (comme en 2002), soit il est obligé comme en 2007 de ne présenter personne ; si ses membres rentraient dans le PS, sans renier leurs idées, ils renforceraient l’aile sociale-démocrate du PS, permettraient sa mutation, prendraient place dans sa majorité interne et, donc, auraient une influence beaucoup plus importante qu’actuellement.
Restent les autres, ceux que l’on dit gauchistes, ceux qui rêvent encore au « grand soir », aux « il n’y a qu’à », qui assimilent les compromis (la base de la démocratie) à la compromission... Ceux-là n’ont jamais été utiles à ceux qu’ils prétendent défendre ; ils n’ont jamais rien fait puisque refusant de gouverner ; ils peuvent alors évidemment prétendre qu’ils n’ont jamais trahi leur cause ni jamais changé d’idée... alors qu’ils sont de fait des alliés objectifs de la droite. Cette persistance de voix perdues dans la gauche française est sans doute liée à l’histoire de notre pays mais ce serait risible (et cela fait rire la droite dure) si ce n’était pas triste à en pleurer.
Résultat : S. Royal ne remporte qu’un peu moins de 26% des voix contre, certes, un peu moins de 24% à Jospin en 2002 ; mais si l’on ajoute à ce dernier score les voix qui s’étaient portées sur Mme Taubira et M. Chevènement, le « gain » n’est plus que de 2%, loin de compenser les pertes de voix enregistrées par les représentants des Verts et du PC. Le résultat du 1er tour de Mme Royal n’est donc pas une victoire mais un échec sanglant.
-2- Un PS qui n’ose affirmer sa social-démocratie
Pourquoi le PS s’obstine-t-il à ne pas se déclarer social-démocrate ? Quand va-t-il se débarrasser du poids de son histoire ? Il y a longtemps qu’il a fait sa mutation lorsqu’il était au gouvernement, depuis la « pause » de 1982-1983... En 1980-1981, Mitterrand l’a emporté sur Rocard, parce qu’il avait politiquement raison. Il a malheureusement respecté la quasi-totalité de ses 110 propositions, contrairement à ce que l’on dit trop fréquemment. Cela a conduit à un échec économique sanglant et il a fallu l’intelligence et la volonté d’un Mauroy, auquel on n’a pas assez rendu hommage, pour que la politique économique du gouvernement change. C’était de fait la victoire des idées économiques de Rocard mais Mitterrand, ce qui est humainement compréhensible, et la gauche, hélas, n’ont jamais voulu le reconnaître. Je citerai pour seul exemple l’ineptie de la nationalisation à 100% : elle a coûté beaucoup plus cher que des nationalisations à 33-40% sans donner réellement à l’Etat plus de pouvoir. Et cela n’a pas plus gêné la droite quand elle a dénationalisé ; au contraire même, cela lui a permis de faire bénéficier « ses petits copains » de plus gros avantages, puisque, en vendant tout presque en même temps, les actions ont eu moins de valeur ; les deux fois, le seul perdant a été l’Etat, c’est-à-dire vous et moi...
Il y a, raisonnablement parlant, une majorité très large pour la social-démocratie à l’intérieur du PS ; seule son histoire et un certain manque de courage empêchent une officialisation de ce virage. D’ailleurs, lors du débat interne, si DSK, seul, a affirmé sa social-démocratie, il n’a qu’à voir le nombre de fois où les pays scandinaves ont été cités en exemple par Ségolène Royal, par exemple lors de sa prestation à TF1 le 19 février, pour être certain qu’elle est dans le même camp. Et qui fera croire que L. Fabius n’y est pas non plus, lui que ses copains du PS ont longtemps qualifié d’homme de droite (!) ; il est vrai qu’il a cru bon de renier ses idées européennes, lors du référendum, afin de prendre le pouvoir au PS...
A ce propos, le PS a été dirigé de manière quelque peu curieuse depuis quelques années
· Pourquoi organiser un référendum interne au PS si l’on n’est pas capable d’imposer la démocratie à l’intérieur du PS ?
· Pourquoi le PS et la gauche en général semblent de plus en plus considérer comme démocratique l’emploi du référendum, après l’avoir combattu durant des décennies ?
· Que Fabius ait voulu voter non au référendum, c’est son droit « à titre personnel » malgré le résultat du vote interne ; qu’il ait fait ouvertement campagne est une négation de la démocratie et F. Hollande n’aurait jamais dû admettre un tel comportement ! À ce sujet, la position d’A. Montebourg a été beaucoup plus respectueuse de la démocratie.
· Où a été la neutralité de la direction interne du PS durant la période précédant la « pré-campagne » officielle lorsque les n°1 et n°2 du PS demandaient aux candidats de ne pas « s’épancher dans la presse » mais que Mme Royal ne se privait pas pour le faire... bien aidée il est vrai par la quasi-totalité des médias ?
Un dernier point : certains ont traité de « dégueulasse » l’attitude de M. Rocard et B. Kouchner ! Ils ont pourtant tous deux pris bien soin de préciser qu’ils voteraient Ségolène Royal au 1er tour ; qu’y a-t-il donc de « dégueulasse » dans leur attitude alors qu’ils ont eu au contraire le courage de dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas. A ce propos, je n’ai pas entendu ces censeurs qualifier l’attitude de L. Fabius, au moment du référendum sur le traité européen...
-3- Un choix de candidat faussé dès le départ
Pourtant, malgré toutes ces raisons, la gauche aurait pu gagner l’élection présidentielle. Pourquoi a-t-elle perdu l’élection ?
Non pas parce que le candidat PS était une femme. Au contraire, pouvoir enfin voter pour une femme était un plus incontestable, pour les femmes certes, mais aussi pour beaucoup d’hommes. Non pas parce que c’était dans l’air du temps, même si c’est en partie exact, mais parce que beaucoup étaient convaincus que cela apportait un plus, une sensibilité différente, une vision moins sectaire, plus pragmatique. Et ceci était vrai non seulement à gauche mais aussi au centre, et pouvait donc faire gagner beaucoup de votes. Malheureusement, pendant trop longtemps, cela a été le seul moteur de sa campagne ; si elle était attaquée, c’était parce qu’elle était une femme ; si elle n’était pas jugée crédible, c’était parce qu’elle était une femme ; si son programme n’était pas cohérent, c’était parce qu’elle était une femme... Soyons sérieux, Madame Royal a certainement été gênée au début de sa carrière parce qu’elle était une femme ; ce n’est pas une hypothèse mais évidement la réalité, ne nous voilons pas la face ! Les premiers commentaires qui ont suivi sa déclaration de candidature ont également suscité certains propos machistes, là aussi c’est évident. Mais les attaques politiques qui ont suivi, ses bourdes (comme la « bravitude » ; curieux pour une fervente de l’Education nationale d’inventer un mot qui ne sert à rien...), les incohérences de son équipe, ou sa rigidité en certaines occasions (voir sa réaction à la plaisanterie de Montebourg au sujet de F. Hollande, plaisanterie peut-être de mauvais goût mais qu’il fallait alors traiter par le mépris, en l’ignorant)... Ce n’est pas parce qu’elle était une femme qu’elle a perdu...
Alors pourquoi cet échec ? Probablement parce que sa nomination a été entachée par un péché originel : elle a joué sur les sondages, elle s’est fabriqué une image... en innovant et faisant une campagne quasi américaine, dans le mauvais sens du terme. Pas besoin de parler du fond, c’est-à-dire du programme, mais de mesures ponctuelles servant son image. Au besoin en se détachant du programme du PS, programme certes imparfait mais qu’elle a signé.
Le débat interne a donc été complètement faussé. Non seulement les deux premiers dirigeants du PS ont entretenu une fausse neutralité en empêchant les autres candidats de démarrer leur campagne, mais encore ont-ils éliminé les candidats qui auraient pu faire de l’ombre à Mme Royal, par exemple Jack Lang. Malheureusement ( ?), une image ne peut remplacer un programme.
Et plus grave surtout, le flou volontaire ou involontaire de beaucoup de ses idées. Prenons l’exemple de la « Démocratie participative ». Si rapprocher le peuple du monde politique, c’est consulter les gens, je n’ai évidemment rien contre car il n’y a pas de démocratie sans cela, il n’y a pas de social-démocratie sans cela. Mais il faut ensuite, non pas faire des propositions ponctuelles, mais faire un véritable programme... que ceux qui n’ont pas voté pour Mme Royal ont attendu en vain. De fait la démocratie participative proposée peut même et doit être considérée comme la négation de la démocratie. Un programme, une politique efficace ne peuvent pas être un ensemble de votes « oui/non » sans aucun lien. Et là on peut constater une certaine contamination de la candidate par des « conseillers occultes » n’ayant pas de lien avec le PS. La révélation d’une enquête interne sur l’un de ceux-ci, l’ancien dirigeant de Greenpeace-France, a fait beaucoup de mal ; non pas à Nicolas Sarkozy mais à Mme Royal ; les liaisons et commentaires pour le moins ambigus relatifs à certains mouvements (antinucléaires, faucheurs d’OGM) ont peut-être amené quelques voix... elles en ont sûrement enlevé beaucoup, en particulier dans les milieux scientifiques. Cela a fait autant de mal que d’introduire le « principe de précaution » dans la Constitution sans l’avoir défini auparavant ; même s’il s’agit là d’une erreur du PS et de son premier secrétaire, cela est revenu à l’esprit de certains et a joué contre elle.
-6- Une campagne de 2e tour autour d’une idée excellente mais trop tardive
Que ce soit par calcul ou par conviction, la proposition de débat que Mme Royal a proposé à M. Bayrou était excellente. Son score du 1er tour exigeait en effet de récupérer le maximum de voix centristes. Mais, pour quoi faire ? Pour montrer que l’on peut discuter avec les centristes, que nombre de valeurs et d’idées sont communes ? Mais ceci est une évidence pour les sociaux-démocrates ; et s’il fallait en convaincre les électeurs, il fallait le dire et le démontrer avant le second tour, comme ont tenté de le faire MM. Rocard et Kouchner, aussitôt « vertement dénoncés » non seulement par F. Hollande mais aussi, à demi-mots, par S. Royal. Espérait-elle un ralliement de F. Bayrou ? Il ne pouvait en être question et un accord ne pouvait être signé entre les deux tours qu’à condition d’avoir donné lieu à des discussions avant, ce qui n’a pas manifestement été le cas. Et pour récupérer les deux tiers des voix centristes, performance exigée par le score médiocre de S. Royal et de la gauche au 1er tour, il aurait fallu être plus précis sur le plan économique. On retrouve là l’une des faiblesses de S Royal ; non ce n’est pas une Bécassine, comme certains ont voulu le faire croire (pour mieux la défendre ?) ; sa stratégie de prise du pouvoir au sein du PS a prouvé son intelligence, sa volonté et sa légitime ambition ; mais ayant trop (tout ?) misé sur « le paraître », elle a négligé certains dossiers dont celui de l’économie... tout en contredisant de temps à autre ses propres soutiens.
-5- Et maintenant ?
La gauche a perdu pour la deuxième fois consécutive la présidentielle ; en 2002, la « certitude » d’un 2e tour Chirac-Jospin » avait conduit ce dernier a faire une campagne terne et la « trahison » de ses anciens alliés (PC, Verts, Parti radical, Mouvement républicain et citoyen) l’ont éliminé. En 2007, en jouant sur les sondages ne prenant en compte qu’un 2e tour Sarkozy-Royal, la candidate a atteint le 2e tour, sans véritable concurrence à gauche mais a sacrifié par son discours ses chances de 2e tour. On ne peut en même temps s’allier aux centristes et faire les yeux doux à José Bové et compagnie...
Que faire alors ? Refonder le PS pour créer enfin un véritable parti social-démocrate. Vous me direz que certains quitteront le navire ? C’est évident mais c’est la seule façon de refonder la démocratie française. N. Sarkozy a pris la droite de vitesse en fondant l’UMP ; pourquoi ne pas faire de même à gauche en créant une opposition analogue à l’opposition républicains-démocrates existant aux USA ; les Français ne sont pas mûrs pour cela ? je crois au contraire qu’ils le sont et c’est ce que le 1er tour a démontré en donnant près de 19% de suffrages à F. Bayrou. D’ailleurs si ce dernier veut réellement quitter la « droite dure », pourquoi ne pas créer un parti démocrate français incluant les militants du PS, des Verts, du Parti radical de gauche, du mouvement républicain et citoyen et de l’UDF ? Si certains élus de l’UDF comme du PS refuseront, les citoyens, eux, suivront. Il est temps de comprendre, au PS comme à l’UDF, que la coupure droite/ gauche existe toujours mais s’est déplacée ; il est temps de comprendre au PS que la victoire ne peut s’obtenir qu’en convainquant les électeurs du centre et non ceux des gauchistes.
Il est probablement trop tard pour faire ceci avant les législatives ; mais il faudrait avoir le courage de commencer à le faire tout de suite ; on perdra sans doute les législatives mais l’on préparera enfin l’avenir. Si l’offre d’alliance au centre faite par Mme Royal a été faite par conviction et non « contrainte et forcée », elle peut mener ce combat et le gagner, en faisant gagner la France...