Pourquoi le come-back de Bayrou a déjà commencé

par idnca
vendredi 6 avril 2007

Malgré les commentaires récents qui laissent penser le contraire, Bayrou est en train de reprendre la main et de peaufiner son positionnement tout en renouvelant la thématique : après la mise en cause payante du microcosme médiatique, la suppression de l’ENA pourrait bien assurer son retour en grâce dans le coeur indécis de nombreux électeurs, à certaines conditions.

Depuis quelques jours la presse constatait à grand renfort de sondages l’essoufflement de la tentation centriste. La tendance de hausse continue et marquée s’était retournée et Bayrou perdait des plumes. Lui qui, contre les favoris présumés d’avant février, était parvenu à imposer son agenda à toute la campagne au grand dam des deux partis principaux, voyait les intentions de vote exprimées en sa faveur s’évaporer dans la nature.

Alors le "moment" Bayrou est-il bien terminé comme le pensent Royal et Sarkozy ?

Quelques éléments suggèrent une réponse négative, selon moi :

- Comme le révélait la semaine dernière le Canard enchaîné, les sondages sont à prendre avec des quelques précautions : 30% des Français sont sans ligne téléphonique fixe et ne peuvent donc être sondés : leur représentativité reste douteuse. Mais pourquoi ceci jouerait plus en faveur du paysan agrégé béarnais que d’un autre ? En fait, on imagine que dans ce groupe, la surreprésentation des jeunes, principaux consommateurs de médias on-line où la repolarisation des débats entre Royal et Sarkozy (et dans une moindre mesure Le Pen) - pour des questions d’actualité (émeutes en Gare du Nord et arrestation de la rue Rampal) est moins marquée que dans la presse, laisse davantage d’espace à Bayrou. Les dernières statistiques de Blogpulse pas plus que celles de l’observatoire présidentielle 2007 n’indiquent de décrochage de Bayrou. C’est même lui qui baisse le moins dans les posts recensés par Blogpulse (en date du 2/04)

- Face au trou d’air un peu vite interprété dans les rédactions et aux QG des partis politiques, les ventes impressionnantes du livre d’Eric Besson (voir classement Amazon, fnac, Livre Hebdo/Ipsos par exemple) et bien plus encore les conséquences de celles-ci en terme de buzz négatif pour Ségolène Royal dans les semaines à venir ne devraient pas nuire à Bayrou. De même, et encore plus directement les excellents chiffres de vente de son propre livre "Projets d’espoir", devant ceux consacrés à Royal et Sarkozy, témoignent sinon d’un engouement du public du moins d’une réelle curiosité.

- Il faut ajouter enfin et principalement ce qui me semble être un coup de maître tactiquement parlant : la proposition de suppression de l’ENA. L’école de Strasbourg apparaît, à tort ou à raison, comme la matrice des maux de la société francaise plus encore que son symbole. Bayrou l’a compris et il exploite remarquablement le ressentiment de la "France d’en-bas" à son égard et au-delá, pour tout ce qu’elle révèle.
Cette proposition n’est donc pas à mon sens le champs du cygne d’un candidat ayant perdu la main mais bien la tentative d’initier le second acte fort de sa campagne, après la dénonciation vindicative des collusions entre médias et pouvoirs économiques sur le plateau de TF1, dans un face-à-face cathodique quasi onirique avec Claire Chazal.
Il est encore trop tôt pour dire si l’acte aura le même retentissement car ceci dépendra de facteurs externes que Bayrou ne maîtrise pas vraiment et particulièrement de la capacité (et volonté) de ses concurrents à changer de thématique, d’imposer leurs propres priorités. De ce point de vue, il faut bien dire que Hollande s’est empressé de tomber dans le piège en critiquant la démagogie d’une telle proposition. Faisons le pari que lui qui, comme sa femme, est énarque, va rapidement passer dans les yeux de l’opinion pour le défenseur bien peu objectif d’un privilège de caste indu. C’est ce type de réaction qui pourrait bien asseoir le retour en grâce de Bayrou plus encore que ses propres propos : ils va se voir à nouveau légitime dans sa posture de sans-culotte, qui parle "au nom du Tiers-Etat", lui que les sondages avaient finalement notabilisé.

Par-là même Bayrou se repositionne donc sur la thématique de l’identité nationale qui lui avait largement échappé en se présentant comme l’héritier de l’idéal d’égalité, de liberté et de fraternité que l’ENA semble baffouer, toute détournée qu’elle a été de son idéal gaullien originel. On est loin de la symbolique assez creuse et artificielle du drapeau mise en avant par Royal. L’analyse de cette dernière était pourtant bonne : il y a indéniablement un besoin français de réassurance identitaire malheureusement pour elle, en se ruant sur le drapeau à agiter le 14 juillet, qui ne parle pas du tout aux Français, la candidate socialiste n’a pas transformé l’essai et encore une fois s’est révélée incapable de répondre de manière adéquate à une préoccupation qu’elle avait pourtant bien comprise en amont).
En face, Bayrou, avec la suppression de l’ENA, réussit la quadrature du cercle :

- D’abord en affirmant symboliquement sa volonté de faire table rase du passé et qui correspond à une tentation plus ou moins explicite dans toutes les franges de l’électorat.

- Ensuite justement en renvoyant de Royal - le mayon faible du duo UMPS, donc celle qu’il doit éliminer pour être présent au 2e tour - l’image d’une personne du passé et donc coresponsable des errements de la France depuis vingt-cinq ans, car énarque. Si elle ignore l’attaque, elle consent et si elle répond, elle ne fait que défendre les intérêts de cette noblesse d’Etat avilie. Bayrou pourrait ainsi réussir à finalement renvoyer Royal à son histoire, celle d’une éléphante du PS, au même titre que les Fabius, DSK et Jospin alors qu’elle était parvenue jusqu’à ce jour à éviter magistralement le rapprochement dans les yeux des journalistes et des électeurs.

- Enfin en renouvelant son discours tout en restant fondamentalement en accord avec des principes d’action politique acquis auxquels les électeurs croient toujours fortement (révolutionnaire, gaulliste, républicain) et qui ont nourri la première phase de son ascension sondagière. La cohérence de son positionnement se trouve ainsi renouvelé et prolongé avec cette ligne directrice de refondation républicaine qu’il prétend incarner ; cette "révolution tranquille" dont il se réclame et qui capture remarquablement, pour autant qu’on y regarde de plus près, l’équilibre délicat que tous les candidats principaux savent devoir incarner s’ils veulent être élus.

Les électeurs commençaient à se lasser des diatribes répétées contre les médias soi-disant acquis à la cause d’un affrontement Sarko-Ségo. Voilá que Bayrou leur apporte du neuf tout en gardant le cap. Sauf contretemps extérieurs malencontreux pour lui ou incapacité de sa part á articuler toutes les facettes de ce que sa proposition de supprimer l’ENA implique, gageons que les sondages vont rapidement repartir à la hausse. Déjà sur les forums, les posts se languissent de ce vent rafraîchissant qu’il nous permettait de respirer. Comme si la perspective d’un second tour sans incertitude ennuyait déjà tous ceux et toutes celles qui aspirent secrètement à être étonnés...


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