Pourquoi Sarkozy est allé au Fouquet’s

par Philippe Moreau
vendredi 11 mai 2007

Pourquoi le nouveau président, Nicolas Sarkozy, a-t-il fêté son investiture au Fouquet’s, devant 20 millions de télespectateurs ? Pourquoi passe-t-il sa « retraite » sur un yacht de luxe, au large d’un paradis fiscal, où il s’est rendu en jet privé ? Réponse : pour battre la gauche en 2012.


On pourrait s’étonner qu’un président de la République aille, au soir de la victoire, fêter son élection dans un restaurant de luxe des Champs-Elysées, avec un parterre de stars, alors qu’il est attendu par 30 000 de ses supportes à la Concorde.

On pourrait s’étonner que ce même président, enfin parvenu à la Concorde, s’y affiche, en un instant aussi solennel, avec ses futurs ministres, comme François Fillon, aux côtés d’Enrico Macias, de Jean-Marie Bigard ou de Mireille Matthieu.

On ne comprend pas, ensuite, qu’après avoir passé la nuit au Fouquet’s - alors qu’il est, comme la presse nous l’a appris, l’heureux propriétaire d’un duplex sur l’Ile de la Jatte, à Neuilly -, il s’envole en jet privé à Malte, une destination de vacances pour milliardaires, avant de se rendre, en limousine Mercedes, séjourner sur un yacht de luxe.

Et qu’il persiste à appeler ça, tout comme son staff, qui n’a eu de cesse de le répéter, une « retraite »... ?

Sauf que... Tout cela est très cohérent. C’est cohérent, en particulier, avec les forts accents religieux des derniers meetings de Sarkozy, avant son élection. Ainsi, au Mont Saint Michel : « J’ai touché l’âme de la France (...) je me suis senti proche des moines qui avaient défié l’océan et le sable pour adresser à Dieu l’une des plus belles prières que les hommes aient jamais adressées au ciel ». On songe également à son discours du soir du premier tour, avec son adresse aux malheureux, aux pauvres, à tous ceux qui souffrent... Et à cette gestuelle très biblique affectée, en toutes occasions, par Nicolas Sarkozy.

Alors, formulons une hypothèse. Formulons l’hypothèse que les communicants de l’UMP - où comme l’a rappelé l’UMP Valérie Pécresse au soir du premier tour « On n’improvise jamais » - agissent de manière délibrée depuis le soir du 6 mai 2007. Qu’ils présentent le nouveau président sous un nouveau jour, pour imposer une nouvelle image, qui expliquerait aussi cette irruption étrange du religieux dans la campagne, dans les propos et les gestes de Sarkozy.


Cette nouvelle image, on pourrait la définir de quelques mots : elle est très exactement celle d’un monarque républicain. D’un homme qui allie, ensemble, la droite et la gauche. Qui, au soir du premier tour, remercie son adversaire, et ses électeurs. Qui légitime son pouvoir par des symboles religieux - chez les vrais monarques, on songe au rituel des mariages princiers, où le futur roi, au contact de la foule, reçoit un premier sacrement.

Mais qui, également, vit avec son temps. C’est-à-dire dans les pages people des magazines. Où la population est-elle, aujourd’hui, en contact avec les princes, si ce n’est dans les pages de Voici, Gala, Closer... Tout le monde a déjà vu, au moins une fois, ces photos prises au téléobjectif de la princesse Stéphanie ou de la princesse Caroline sautant dans l’eau, en maillot de bain. A la fois si proches, avec les cheveux mouillés, sans apprêt, et si lointains. Cette lointaine proximité qui, combinée au facteur religieux, est devenue la marque des monarchies modernes.

Cette stratégie présente plusieurs avantages.

Elle met en contact direct le nouveau président avec le peuple. Car les électeurs, aussi, rêvent de vacances paradisiaques ou de fêter leur anniversaire au Fouquet’s. Et ils lisent, massivement, la presse people.

Elle le place au-dessus des partis, dans un ailleurs de rêve et de hauteur, loin de la mêlée politique. Elle le légitime, via un discours religieux
- la « retraite ».

Elle pousse la gauche à réagir et donc, ce faisant, à se placer sur un terrain et dans une temporalité dictée par l’UMP. Ce qui a été le cas pendant toute la campagne, hormis lors de l’épisode du débat Royal-Bayrou, et c’est sans doute ce qui a expliqué la panique de l’UMP à ce moment, et sa maladresse dans l’interdiction du débat à la télévision. Jamais le PS n’a eu l’initiative, marchant dans tous les plans médias, répondant à toutes les provocations - comme celle sur Mai 68, qui visait à séduire, avec le succès que l’on sait, l’électorat des plus de 60 ans. Et ça marche. Si le PS ne réagit pas, s’il ne sort pas des débats lancés par l’UMP pour imposer ses thématiques, s’il n’apprend pas les bienfaits de l’indifférence à la communication sarkozyste, il est perdu pour encore cinq ans.

Enfin, dernier atout de cette stratégie : elle redonne des forces à l’extrême gauche, dans l’espoir de contrecarrer le processus de glissement du PS vers le centre, qui constitue une réelle menace pour l’UMP.

Quand il est allé au Fouquet’s, ce soir du 6 mai 2007, Sarkozy a accompli un acte politique. Le premier en vue de sa réelection, en 2012.


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