Précis de recomposition politique française
par Argoul
mardi 26 décembre 2006
Il souffle un air de printemps déjà, un renouveau semble possible en France. Lassés par les mensonges d’Etat et par l’histrionisme des élites autoproclamées qui rempilent à chaque élection depuis les années 1960, les essayistes écrivaient hier des livres du déclin. Ce n’étaient que « France qui tombe » et autres « Trente piteuses », « Grand gaspillage », « Malheur français », « Obsession anti-américaine », « Crépuscule des petits dieux » et « Illusions gauloises »... Yves Michaud, professeur d’université philosophe, créateur de l’Université de tous les savoirs et protagoniste de l’émission « L’esprit public » animée par Philippe Meyer chaque dimanche sur France Culture, a failli être de ceux-là. Mais il nuance, dans la préface de son nouveau livre : « La France n’est pas en déclin, elle est en décomposition parce que les choses se sont désaccordées, déglinguées, parce qu’un système mauvais d’institutions a montré toutes ses tares. » (p.11) La dernière institution s’appelle d’ailleurs Jacques Chirac. Mais l’auteur est trop savoureux pour le Vieux ; je prendrai le temps de l’évoquer en une autre note.
Il tente un essai de philosophie politique appliquée, ce qui apparaît très rare dans la production éditoriale française actuelle - et d’autant plus digne d’intérêt ! Chaque mot compte : essai car le ton est celui du pamphlet, pas de la pesante thèse universitaire ; philosophie politique car l’exercice du pouvoir dans la cité nécessite un projet, donc des décisions ; appliquée parce que l’auteur se garde bien de rester dans les généralités, si faciles aux critiques, pour amorcer des pistes et sortir des ornières. Bien qu’il s’agisse d’une mise en cohérence d’une suite d’articles et de chroniques écrits depuis plusieurs années, le ton en est souvent jubilatoire, sans jamais tomber dans le jargon ni dans la langue de bois. Sachez que je m’en suis régalé.
La très française « défaillance du futur » s’exprime en quatre parts :
1/ dans la société par des fractures sociales croissantes, un service public à l’abandon, des responsabilités à envergure variable, divers corporatismes dont celui de la magistrature outré avec Outreau, une écologie d’illusionniste symbolisée par l’ourse Cannelle, enfin un capitalisme « de cabinet » issu de l’Ena plutôt que des détenteurs de capitaux.
2/ dans les institutions par la déglingue des principales, les dé-moralisations successives (abaissement des normes morales qui conduit à démoraliser les gens et à les inciter à l’incivisme), sous la haute présidence depuis des années de « l’escroc plutôt que le facho », enfin l’Europe encalminée par la démagogie.
3/ dans la communauté par la recherche groupusculaire d’identités, les incivilités au quotidien, la remise en cause du sentiment d’être Français, la dilution de la loi en normes et des politiciens en « experts », enfin l’attitude du seul refus comme fondation du futur.
4/ dans la culture par la communication qui dégénère en complaisance, « de Chagall à Sharon Stone », une politique internationale de l’esbroufe, des coquetteries littéraires ministérielles, enfin la disparition de la figure de l’intellectuel dans la pose médiatique.
Plus aucun projet politique pour le pays, plus aucune identité pour la nation, plus guère de préoccupations pour les atteints du système : nous sommes en 2006 à l’ère de la non-politique. La France éclatée est réputée ingouvernable, mais c’est par la démission des incapables, due, selon Michaud, à l’âge autant qu’à l’illusionnisme. « On » ne change rien pour ne mécontenter personne ; « on » histrionne en rajoutant des piles selon l’air du temps (taxe écolo, taxe sur les billets d’avion, lamento télévisuel des stars de « la nature » - arrivées au studio en 4×4 ou filmant les espèces menacées en hélicoptère). Rien ne va plus entre jeunes et vieux, de souche et immigrés, possédants et non-possédants, à statut protégé et précaires, la courte élite à l’abri et la masse subissant de plein fouet l’insécurité physique, professionnelle et sociale.
Les remèdes ? Les pistes en sont fournies à la fin de chaque chapitre. Elles tombent parfois sous le sens, elles sont parfois originales. Je laisse le lecteur les découvrir car il faut d’abord avoir lu le réquisitoire impitoyable d’Yves Michaud, percutant par son sens de la formule, pour apprécier en connaisseur ce qu’il propose pour changer.
Distancié, lucide, allègre, ce rare essai se lit comme un roman !
Yves Michaud, Précis de recomposition politique, collection Climats, Flammarion 2006, 298 pages.