Premiers sinistres

par Elbe
jeudi 3 avril 2008

La guerre du pouvoir est une figure classique de l’exercice politicien et ce même en Sarkozie, contrée bâtie sur l’idéal de rupture, qui ne sut couper avec ces coutumes ancestrales qui font et défont les élites politiques sous un fond de lutte des places. La dernière mouture du combat politique met en scène François Fillon, Premier ministre coqueluche - temporaire ? - des sondages, et Xavier Bertrand, ministre du Travail accessoirement la bouille ronde souvent placée derrière le président.

Dans l’objectif de saisir les tenants et les aboutissants de cette lutte future, il nous semble nécessaire de faire un détour par la genèse du sarkozisme au cœur du Curriculum Vitae de ces deux personnalités.

Le 30 mai 2005 Jean-Pierre Rafarin présentait sa démission provoquée par l’échec du traité constitutionnel européen. Jacques Chirac se trouvait alors face à la délicate mission de reconstruire un gouvernement capable d’estomper cet arrêt. Malgré les conseils de ses proches l’incitant à nommer Nicolas Sarkozy au poste de Premier ministre, le chef de l’Etat décidait de placer son chef de cabinet, Dominique De Villepin, à Matignon et demandait expressément au maire de Neuilly de réinvestir les locaux de la place Beauvau. Effet collatéral de ce remaniement, François Fillon perdit sa place de ministre de l’Education nationale et se jeta par la même occasion dans les bras du Sarkozisme. En effet, de cette mise au ban va naître une volonté ferme de procéder à l’exécution de la Chiraquie et de récupérer l’honneur des postes qui lui fut retiré lors du remaniement. Ainsi, le député de la Sarthe participa activement à l’élaboration du programme de l’UMP et à la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Un tel investissement, qui plus est couronné de succès, fut récompensé par un poste de Premier ministre.

Jusqu’ici nous pourrions croire que cet épisode de la vie politique s’apparente à la lutte de deux soldats qui parvinrent à faire choir le roi puis à se répartir les trophées de manière équitable. Or, la vie politique française n’est pas un de ces romans d’aventure livrant les clés de l’intrigue dès l’incipit, au grand dam de certains politologues. Un troisième homme vient contrecarrer la route tranquille des deux protagonistes vus plus tôt. Une bonhomie certaine, un ton arrogant ou percutant selon ses interlocuteurs et une carrière politique atypique font de Xavier Bertrand un invité étrange du combat en Sarkozie. Juppéiste puis Villepiniste, sous lequel il fut ministre, il sentit très vite l’ère du sarkozisme arriver et n’y résista que peu de temps. C’est grâce à ce flair qu’il accéda, durant la campagne présidentielle, au poste convoité de porte-parole du candidat Sarkozy. Poste qui l’exposa sur les plateaux télévisés et radiophoniques à tel point qu’il apparut rapidement comme un des visages de la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy. Son dévouement fut aussi récompensé par le poste délicat, mais plein d’opportunités politiques de ministre du Travail. Parmi ces opportunités, nous pouvons noter la réforme des régimes spéciaux que beaucoup de spécialistes jugeaient comme un premier test du sarkozisme. Xavier Bertrand parvint à faire passer cette réforme, en dépit de grèves et de quelques arrangements peu médiatisés, mais également à faire retourner la base syndicale contre les dirigeants de la CGT. Cette mise en difficulté de la CGT cheminot est un trophée politique qui compte dans l’air idéologique dominant depuis le 6 mai 2007. Un trophée qui, en politique, se doit de devenir une ressource pour une ambition personnelle. Cette dernière, Xavier Bertrand sait où elle se trouve et son regard fixe sur Matignon nous en donne une idée.

L’essor de ce concurrent premier ministrable n’a rien de rassurant pour François Fillon qui, avec l’aide de Jean François Coppé, tente de mobiliser, autour de son nom et contre l’avènement du ministre du travail, un grand nombre de députés. Coppé, Fillon et Bertrand voilà trois noms qui sont associés, dans l’hémicycle, au label « nés pour la politique » preuve d’une ambition peu cachée. Seulement sommes-nous face à une lutte entre deux hommes ou bien en plein cœur d’un stratagème mené par le troisième homme, actuellement président de la République ?

En effet, Nicolas Sarkozy ne goûte guère à la popularité de son Premier ministre qui ne fait que souligner le passage à vide présidentiel. De ce constat, en fin stratège politique, l’ancien maire de Neuilly a évalué les moyens dont il disposait pour enrayer l’envolée de son Premier ministre et rester le maître incontesté du navire UMP. Ce moyen se nomme Xavier Bertrand. En effet, le 27 mars dernier l’actuel ministre du Travail fut promu à la tête de l’UMP sous l’ordre de Nicolas Sarkozy. Une telle nomination a pour objectif d’asseoir la crédibilité politique de Xavier Bertrand, d’accroître son capital de popularité au sein de l’électorat de droite et d’appuyer son rôle dans la majorité et donc sa présence médiatique. Cette nomination, par cooptation, vise également à rappeler à François Fillon qu’il existe encore des éléments de substitution dans la botte sarkozienne qui pourraient être activés si l’ombre de Matignon devenait trop envahissante pour le reflet élyséen.

En fin de compte, cette épopée politicienne ressemble cruellement à l’historique adage « diviser pour mieux régner »...

Elbe


Lire l'article complet, et les commentaires