Présidentielle 2012 : Marine tend un piège
par Fergus
lundi 12 juillet 2010
L’affaire Bettencourt et ses développements nauséabonds autour du très controversé rôle qu’aurait pu jouer Éric Woerth dans ses relations « incestueuses » avec la milliardaire et quelques gros portefeuilles amis, tel Guy Wildenstein, risque d’avoir une conséquence inattendue en 2012 : piéger… la gauche !
Semaine après semaine, les révélations de l’affaire Bettencourt et des affaires incidentes qui, depuis la publication des enregistrements du majordome de la vieille dame, sont venues se greffer sur ce sordide conflit familial, n’en finissent plus de brosser un tableau hideux : celui de la collusion du pouvoir sarkozyste et des puissances d’argent. Avec, à la clé, une forte présomption de petits (ou de gros !) arrangements avec l’administration fiscale, parfaitement illustrés par l’incroyable laxisme observé à l’encontre de Liliane Bettencourt depuis 15 ans alors que François Baroin nous affirme sans rire que les grandes fortunes font l’objet d’un contrôle tous les trois ans. Une affirmation qui, soit dit en passant, enfonce un peu plus Éric Woerth, sauf à croire que les hauts fonctionnaires de l’administration fiscale ont délibérément commis de graves fautes professionnelles qui seraient, à n’importe quel poste de responsabilité public ou privé, synonymes de révocation immédiate.
À l’évidence, l’affaire Woerth est des plus graves pour Nicolas Sarkozy car elle apporte l’éclairage public qui manquait sur des rapports avec les puissances d’argent symbolisés non seulement par la nuit du Fouquet’s (la faute originelle) mais également par le yacht de Bolloré ou les vacances dans le ghetto pour milliardaires de Chesapeake. L’affaire Woerth est le chaînon manquant qui relie définitivement dans l’esprit des Français ces marques de connivence avec les grandes fortunes aux dispositions législatives ou fiscales très largement prises en leur faveur, au détriment des classes populaires et moyennes, éreintées par les charges et menacées de paupérisation accélérée.
Tout cela fait évidemment le jeu de Marine Le Pen, probable candidate du Front National, et de ses amis frontistes en alimentant dans les classes populaires le soupçon de corruption et le rejet des élites politiques. L’héritière de la droite populiste n’en demandait pas tant, et elle prend un évident plaisir à attiser le feu en dénonçant la collusion du pouvoir sarkozyste avec le grand capital au détriment des petits, des humbles, de tous ceux qui sont méprisés par ces gouvernants autistes et largement décrits comme des valets serviles des grandes fortunes.
Une mère de famille opiniâtre et respectable
Résultat : Marine Le Pen, pourfendeuse d’un pouvoir de plus en plus honni, voit sa cote augmenter de mois en mois, au gré des déboires d’un exécutif empêtré dans des affaires d’autant plus pénalisantes qu’elles mettent en évidence une absence flagrante de morale insupportable en période de crise. Et pour peu que la situation ne s’améliore pas rapidement pour Nicolas Sarkozy, la candidate du FN pourrait en 2012 cristalliser sur sa candidature le rejet de la politique sarkozyste par un électorat populaire de l’Ump qui estime, non sans raisons, avoir été sciemment trompé. Comme ont été trompées les personnes âgées qui ont porté le Neuilléen à l’Élysée sur la foi de ses rodomontades sécuritaires, largement contredites depuis 2007 par des bilans calamiteux.
Certes, Marine Le Pen n’est encore qu’aux alentours de 12 % des intentions affichées dans les derniers sondages et aucune dynamique ne s’est véritablement enclenchée en sa faveur. Mais, pour peu que la droite s’embourbe dans les marécages où elle s’est elle-même aventurée, tant dans ses actions que dans le langage outrancier de ses caciques, la candidate du FN pourrait progresser significativement à l’approche du scrutin. Et cela d’autant plus que, tout en restant fidèle aux fondamentaux de son parti, elle a su se démarquer des outrances de son père. Elle est même en passe de réussir à donner, dans l’électorat populaire qu’elle veut séduire, l’image d’une mère volontaire et soucieuse de l’avenir de ses enfants, bref d’une femme dont on n’imaginerait pas qu’elle puisse n’être qu’une égérie d’idées nauséabondes car essentiellement tournées vers l’exclusion et la xénophobie.
En cela, la « respectable » Marine Le Pen est un danger pour tous les partis de gouvernement. Pour la droite sarkozyste, évidemment, car « l’héritière » est bien partie pour continuer la reconquête d’un électorat frontiste que le candidat UMP avait réussi à capter en 2007 par un discours démagogique sur l’immigration et l’insécurité, allié à une volonté affichée de rupture avec les dérives du chiraquisme. Danger pour la droite, menacée de voir son score de 1er tour sérieusement érodé, mais danger également pour la gauche, menacée tout simplement d’un nouveau… 21 avril alors qu’elle voit grandir ses chances d’aborder le scrutin du printemps 2012 en position de l’emporter.
Une droite unie derrière son candidat
Un 21 avril bis : une hypothèse pas aussi absurde qu’elle en a l’air. Car, ne nous faisons pas d’illusions, même très affaiblie, la droite UMP réunira sous sa bannière le noyau dur de son électorat. Celui qui, par intérêt bien compris, par esprit de classe ou par idéologie socioéconomique libérale, ne migrera vers aucune autre offre politique, quoi qu’il arrive. Et ce n’est pas le Nouveau Centre, mené par un Hervé Morin étriqué et sans relief, qui pourra sérieusement écorner ce resserrement des rangs autour du candidat désigné de l’actuel parti majoritaire. Sauf à envisager une dissidence assumée de Dominique de Villepin. Mais qui peut sérieusement y croire ? À l’évidence, l’ex-Premier ministre cherche à marquer des points déterminants pour, le moment venu, monnayer très chèrement son ralliement. Ou – pourquoi pas ? – être lui-même candidat au califat si le calife renonce, empêtré dans les affaires et disqualifié par une pitoyable fin de quinquennat.
N’en déplaise à certains analystes qui, alléchés par la déliquescence du sarkozysme, se délectent d’ores et déjà de cette éventualité, il n’y aura pas de 21 avril à l’envers. Mais on pourrait en revanche retrouver Marine Le Pen au second tour dans un duel droite-extrême droite qui ne manquerait pas, cette fois-ci, d’ouvrir une crise de régime et de donner du relief au retour d’une démocratie parlementaire. Encore faudrait-il, pour que ce scénario électoral se reproduise, que Marine Le Pen réussisse un score lui permettant de se qualifier au second tour. Et ce n’est pas avec les intentions de vote dont on la crédite aujourd’hui qu’elle peut nourrir ce genre d’espoir. Ce serait pourtant méconnaître sa pugnacité et sa capacité de progression auprès d’une opinion déboussolée. Ce serait surtout oublier que le Front National est le plus souvent sous-estimé dans les enquêtes d’opinion. Tout est possible, y compris une Marine Le Pen à 17 %. Et là, danger, très grand danger…
Souvenons-nous du 1er tour de 2002 : avec 16,18 % des suffrages exprimés, Lionel Jospin avait été devancé par Jean-Marie Le Pen, crédité de 16,86 %. Un coup de tonnerre dont il faut tout faire pour qu’il ne se reproduise pas. Or à quoi assiste-t-on à gauche et au centre-gauche, en l’état actuel des choses ? À l’expression d’ambitions plus ou moins clairement affichées, mais potentiellement périlleuses. Certes, le PS semble avoir enfin compris – croisons les doigts ! – la nécessité de faire bloc, et le PC est définitivement en voie de dissolution dans le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélanchon. Mais quid des ambitions de Cécile Duflot ? De celles d’Éva Joly ? Et que dire de l’amnésique et pathétique Jean-Pierre Chevènement qui, sortant de sa maison de retraite belfortine, envisagerait un retour sur le devant de la scène ? Sans oublier le dyptique habituel d’extrême-gauche, mené par un Olivier Besançenot redevenu plus fringant, mais plus que jamais coupé du PS. Bref, une offre pouvant se révéler suicidaire pour peu que François Bayrou retrouve quelques couleurs dans une candidature centriste à la finalité équivoque.